Vénus anadyomène
Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.
Ceci n’est probablement pas le plus « beau » poème de Rimbaud, au sens lyrique et poétique, mais je l'ai choisi car il garde un intérêt assez particulier dans l'ensemble de son oeuvre. Pour situer brièvement l’auteur, rappelons-nous tout simplement que ce poète du dix-neuvième siècle appartenait à la deuxième génération des Parnassiens, aux côtés de Verlaine et Stéphane Mallarmé avant de rompre et de développer un sarcasme aigu envers cette esthétique – dont illustre parfaitement ce poème.
En effet, les Parnassiens avaient recours à la représentation mythologique des nymphes pour exalter la beauté. Or Rimbaud réactualise cette allégorie de la beauté ici mais pour la désacraliser radicalement en l'associant à l’image d’une vieille prostituée dégoûtante. Cet avilissement volontaire est rendu d’autant plus grotesque dans la forme noble du sonnet et dans les qualificatifs ayant trait à l’immonde pour désigner cette vieille femme. On retrouve aussi un lexique purement scatologique avec la rime de « Vénus » et de « l’anus » pour lier les deux et également l’oxymore « belle hideusement » qui a pour fonction de dire le sentiment paradoxal du poète, car celui-ci éprouve un plaisir sadique à découvrir à quel point la beauté est profanée et la jeunesse défraîchie.
Ce sacrilège de la mythologie mais surtout de l’écriture lui permet entre autres de se distinguer des Parnassiens, mais n’est pas représentatif de l’oeuvre complète de Rimbaud, car ce même poète est avant tout une incarnation mythique de la poésie dotée de l’innocence, tout en étant proche de la marginalité. Autres grands poèmes à découvrir sont : « Sensation », « Le bateau ivre » ou encore « Un coeur sous une soutane » que je préfère en toute subjectivité parmi la centaine de poèmes présents dans ce recueil.