Il est difficile pour moi d’aborder Body Kouros comme si de rien n’était, froidement.
Il est pour moi un parfum qui ravive tant de souvenirs et d’émotions qu’en parler et y penser me laisse souvent pensive.
Mais c’est aussi et surtout un parfum fabuleux.
Le genre de parfum à bouleverser, à déranger, à réveiller la face mystérieuse et sombre de chacun.
J’ai découvert ce parfum durant l’été 2004. Un homme qui me troublait par son regard si profond, semait ses effluves envoûtants dans son sillage.
Il portait fort bien Le Mâle, ainsi qu’un autre parfum aux notes aussi bouleversantes, qui exhalait aussi un mélange de notes aromatiques et de senteurs orientales, plus sensuelles.
Son odeur, aussi plaisante était elle, ne me rappelait aucun parfum que je connaissais à cette époque où mon éducation olfactive était encore en devenir. J’appris plus tard à ses côtés qu’il s’agissait d’une version beaucoup plus sexy de la mythique fougère virile des années 80 : Kouros, avec son odeur caractéristique de sauge et ses facettes outrageusement animales.
Cet homme m’a troublée des mois durant. Je l’ai fréquenté comme connaissance dans un premier temps, puis comme ami « plus » (il m’attirait irrésistiblement comme son parfum), et pour finir nous sommes sortis ensemble pendant un temps suffisamment long pour que j’aie le sentiment d’être complètement droguée à son odeur.
Quand la vie a séparé nos routes, j’ai longtemps été à la recherche de ce parfum qui me manquait cruellement.
Je n’avais de cesse de passer en parfumerie pour le vaporiser sur une touche, la mettre dans mon agenda et la respirer dans les moments d’angoisse.
J’avais même appris sa pyramide olfactive précise, à cette époque là. C’est ainsi que je découvris ma vénérée fève tonka, en plus du benjoin que j’aimais déjà et d’épices bien sélectionnées.
J’ai aussi le souvenir très précis d’un jour, peu de temps après notre rupture, où j’avais pris le tramway pour seulement quelques centaines de mètres. C’était midi, heure de pointe s’il en est, et un homme était monté derrière moi.
Il faisait une certaine chaleur et son parfum se mit rapidement à envahir la rame. Il était mêlé à la sueur mais aussi à la senteur de son blouson en cuir. Et malgré le délice de ce parfum, j’ai trouvé que cet homme ne le portait pas très bien, qu’il ne lui collait pas à la peau comme c’était le cas de mon ex amant.
Je m’étais demandé d’ailleurs, tellement ce jus se faisait rare dans la rue, si c’était un présage. Peut être allais je voir mon ex bien-aimé ?
Il n’en a rien été.
Je n’ai plus trop été confrontée à Body Kouros pendant deux ou trois ans.
En effet, j’avais décidé de mettre cet homme entre parenthèses, au placard comme ses photos, de le sortir de ma mémoire, et pour cela, il me fallait oublier son odeur.
Puis, un soir de tête à tête avec celui qui allait devenir mon nouveau compagnon, il m’avait demandé si je connaissais le parfum qu’il portait.
Il était allé se parfumer le poignet et me fit sentir ensuite.
J’ai eu d’un coup un flash mais n’étais sûre de rien car sa peau transformait légèrement la fragrance.
La tête de ce parfum révélait une note assez fraîche et chaleureuse en même temps, comme de la bergamote. Elle était relevée de notes épicées et anisées et d’une pointe de muscade qui laissait présager de la chaleur du cœur, mélange d’herbes aromatiques et camphrées et d’épices chaudes.
La fève tonka et son onctuosité laissait enfin libre court à la sensualité des baumes, résines et d’une note musquée subtilement cuirée, dans un ravissement légèrement gourmand sans être écœurant.
Je lui dis quand même « Body Kouros » et il fut sidéré car presque personne ne le connaissait dans son entourage immédiat.
Et je me fis soudain la réflexion que, de nouveau, quelqu’un portait bien ce parfum, et de nouveau, ce jus éveillait non la tristesse et le regret, mais le bien être et le désir.
Je ne dirai pas que je suis avec mon cher et tendre grâce à Body Kouros, mais disons qu’il a contribué à sa modeste mesure au processus de séduction, et également au fait que je sois bien avec lui.
Et même s’il ne ressemble en rien à mon ancien petit ami, c’est assez drôle de constater qu’en portant Body Kouros, c’est une part de personnalité qui s’exprime chez ces deux hommes. Et que c’est certainement cette partie d’eux qui m’a attirée. Est-ce le côté latin et séducteur qui s’exprime ainsi ? Je ne le saurai certainement jamais, mais cela paraît plausible.
Toujours est-il que j’ai croisé par hasard mon ancien compagnon il y a quelques temps, après plusieurs années de néant.
Je fus perturbée, non pas que je l’aime encore, mais car il m’a semblé étranger. De visage tout d’abord, il avait vieilli, comme moi certainement. Il avait l’air las, fatigué. Sa voix aussi, n’avait plus l’accent rieur que je lui connaissais. Ses yeux enfin, semblaient emmurés ; c’était une autre personne.
Puis, soudain, quelques minutes après, j’ai compris.
Bien entendu il avait changé à bien des points de vue, plus sombre, plus lointain, moins charmant. Peut être les yeux de l’amour avaient ils pour ma part, bel et bien cessé leur magie.
Mais ce n’était pas la seule explication de cette difficulté à reconnaître celui que j’ai aimé.
En effet, soudain je me fis la réflexion qu’il n’avait rien laissé, aucune odeur, dans son sillage. Sa personnalité olfactive semblait elle aussi du passé. Il m’avait paru « inodore ».
Ce jour là, Body Kouros n’était plus sa signature. Elle fait visiblement partie intégrante d’antan, de nos amours d’un autre temps …
Et même si Body Kouros se fait de plus en plus rare en parfumerie, j’ai encore l’espoir qu’il subsiste pour ravir les privilégiés, car c’est incontestablement un parfum de qualité, et pour faire rêver les nostalgiques d’une peau réchauffée par ces suaves effluves … (Comme moi …)
Peut-on tomber amoureuse d’un parfum ? Assurément oui, et accessoirement de celui qui le porte, s’il n’y a pas imposture …