J'ai déjà écris à peu près
la même chose l'année dernière sur ce même sujet, mais comme celui-ci reviens
sur le devant de la scène et comme il m'exaspère sérieusement d'entendre
toujours les mêmes indignations simplistes diffusées par tout ce que la France
comprend de bonnes âmes, je reprends en le réactualisant légèrement mon
précédent billet.
Le danger qui menace certaines des plus fameuses associations caritatives:
Restos du Coeur, Secours Populaire... est récemment revenu sur le tapis. A en
croire ce qu'on nous dit, l'Europe aurait brutalement décidé de couper l'aide
alimentaire accordée à ces associations remettant ainsi en question le sort de
millions de repas distribués chaque hiver aux plus démunis de nos
compatriotes !
Des députés nationaux et européens ont publié une
tribune pour appeler à défendre « Le formidable travail des
bénévoles et des militants, qui oeuvrent pour la survie et la dignité de
personnes en situation de précarité ».
Bien évidemment, la première réaction de tout homme de coeur, et gageons
qu'elle fut partagée par un grand nombre de français, fut de se révolter contre
ce qui parait être une infamie européenne. Pour ceux pour lesquels l'Europe
n'est de toute façon qu'un monstre froid ultralibéral prêt à distribuer des
milliards à ses banques tout en laissant ses pauvres le ventre vide, ça n'a été
qu'une confirmation et une occasion supplémentaire de crier haro sur le baudet
européen. Pour les autres, dont je fais partie, ce fut une surprise teintée de
déception.
J'ai donc voulu comprendre pourquoi l'Europe avait soudainement pris la
décision d'endosser des habits d'affameur de pauvres.
Historiquement, le programme PEAD (comme Programme Européen d'aide
Alimentaire aux plus Démunis) a été lancé dans l'urgence lors de l'hiver
exceptionnellement froid de 1986/1987, lorsque des stocks excédentaires de
produits agricoles furent donnés à des associations caritatives pour qu'elles
les distribuent aux personnes qui étaient dans le besoin. Par la suite, cette
mesure a été officialisée et basée sur les stocks d'intervention.
La réforme de la politique agricole commune (PAC) ayant rendu de plus en
plus inutiles les stocks d'intervention, ce programme a été alimenté par une
contribution financière directe.
A partir du plan de 2008 et sur une base triennale, la Commission a décidé
d'allouer une enveloppe financière aux associations caritatives agréées afin
qu'elles puissent acheter de la nourriture sur le marché.
Ainsi, d'une distribution des surplus agricoles, on est passé à un système
de subventions. Subventions qui ont d'ailleurs largement augmenté puisque
passées de près de 100 millions d'euros en 1988 à 480 millions d'euros en 2011.
C'est donc à cause de ses origines que le PEAD s'inscrit dans le cadre de la
PAC.
C'est dans ce contexte, qu'en 2011, 6 pays menés par l'Allemagne ont saisis
la Cour Européenne de Justice pour remettre en cause ce programme. En substance
leurs arguments ont été, d'une part que ce programme n'a rien à faire dans une
PAC déjà fort couteuse et d'autre part que c'est à chaque pays d'assurer la
subsistance de ses pauvres. Je vous passe l'argumentation juridique mais la
Cour Européenne de Justice a effectivement considéré les arguments des
abolitionnistes recevables et rendu ce programme illégal.
En 2011, le PEAD a été sauvée in extremis avec une prolongation du plan pour
deux ans, en 2012 et 2013, en échange d'un abandon de ce programme en
2014.
On ne peut donc pas dire que les Etats et les associations aient été pris
par surprise.
Pour bien comprendre la position allemande, il faut savoir que les allemands
ne profitent pas du programme PEAD, mais ce n'est pas pour autant qu'ils ne
font pas preuve de solidarités vis-à-vis de leurs nécessiteux.
Leur système s'appuie essentiellement sur les dons privés à travers de
multiples associations. La philosophie de leur modèle est de redistribuer aux
plus pauvres l'excédent produit par la société.
Concrètement, cela prend la forme d'accords avec de grandes enseignes de
distribution, des producteurs et des magasins d'alimentations locaux, qui
offrent leurs surplus. Les associations sont également aidées par les
gouvernements régionaux et les communes pour le côté logistique (camions, les
lieux de stockage et de distribution).
A contrario, pour bien comprendre l'indignation française, il faut savoir
que les principaux bénéficiaires du PEAD sont la France, l'Italie et la
Pologne.
Sur les 480 millions annuels dont dispose le PEAD, 72 millions d'euros sont
distribués aux associations françaises.
Du coup, d'une première réaction marquée par l'indignation voire la colère,
j'en arrive à considérer les arguments des allemands et des 5 autre pays comme
tout à fait recevables.
Il est pour le moins surprenant qu'un pays comme la France se permette
d'exiger de l'Europe qu'elle nourrisse ses propres nécessiteux.
Pourquoi chacun de ces pays n'assume t'il pas lui-même le nécessaire soutien
aux formidables associations qui interviennent auprès de leurs citoyens ?
Que gagne-t-on en efficacité à faire financer ces aides par
l'Europe ?
Certes je regrette fortement le mauvais symbole. L'image de l'Europe va
encore en pâtir et le moins que l'on puisse dire c'est que le moment est mal
venu. Pour autant, je suis persuadé, d'une part qu'à budget égal, les aides
sont mieux gérées au niveau national sinon local et d'autre part
qu'effectivement, ces subventions n'ont rien à faire au sein de la PAC...sinon
même dans un programme européen.
Je tire de cette histoire la conclusion qu'il faut se méfier des
indignations trop évidentes assénées sans éléments de contexte et répétées à
l'envie par des personnes qui trouvent là une occasion facile de s'en prendre à
l'Europe. Elles peuvent amener à des réactions, conclusions et jugements moraux
excessifs sinon erronés.