Gènes, Mèmes, Frèmes :
Une cosmologie darwiniste qui
explique la conscience.
Gènes
Il y a quatre milliards et demi d'années, la vie naquit sur la planète Terre, sous la forme d'une molécule qui pouvait se copier elle-même, et que nous nommons aujourd'hui ADN. La vie, ce n'est que cela, par définition : La capacité de se multiplier en utilisant les ressources de son environnement, et la capacité de muter. Toute entité possédant ces deux capacités est vivante.Quatre milliards et demi d'années. Quarante cinq millions de siècles ! Une telle étendue de temps donne le vertige. Pire, elle est inimaginable, à jamais hors de portée de notre expérience quotidienne. Impensable. Comment la vie a-t-elle pu survivre tout ce temps ?
Les premiers êtres vivants étaient si fragiles ! Il suffisait d'un rien pour les détruire. Mais ils étaient programmés pour se multiplier. Ils ne savaient même faire que cela, se multiplier et, parfois, muter, se transformer.. La nature impitoyable sélectionnait alors ceux qui étaient les plus aptes à survivre. Et ils se multiplièrent. Ils évoluèrent. Et comme ils étaient fragiles, ils construisirent des machines. Des machines à survie. Des sortes de carapaces dans lesquelles ils s'encapsulèrent. Bien au chaud dans ces carapaces, ils devinrent presque immortels. Ils purent alors échafauder des stratégies magnifiques pour se multiplier et perdurer encore davantage. Peu leur importait que leurs machines à survie s'usent, ne durent que quelques années, quelques décennies tout au plus. Ce n'étaient que des machines, après tout. Lorsque leur carapace s'usait, ils en changeaient. Ils se construisaient un nouveau véhicule, chaque fois plus performant car ils apprenaient de leurs erreurs passées. Et des milliers, des millions, des milliards d'années même s'écoulèrent, des montagnes s'érigèrent et s'érodèrent, des empires se bâtirent et s'écroulèrent. Leurs machines à survie devinrent de plus en plus perfectionnées, certaines d'entre elles atteignirent même à la conscience. Mais eux, les premiers êtres vivants, n'en avaient cure, car leur unique but était de survivre. Ils sont toujours là. Ils sont partout. Ils sont en nous. Ce sont nos gènes, et nous sommes leurs machines à survie.
Quelle dérision ! Ainsi l'être humain, sommet
de l'évolution, n'est qu'une carapace, un véhicule, une machine
à survie pour nos gènes. Le seul objectif de nos gènes,
c'est la survie. C'est pourquoi notre instinct sexuel est si fort. C'est
pourquoi nous avons du plaisir à faire l'amour. Mais passé
l'âge de la reproduction, les coquilles que nous sommes n'intéressent
plus nos gènes. C'est pourquoi nous vieillissons. C'est pourquoi
nous ne sommes pas immortels. Passé cet âge, nous ne sommes
d'aucune utilité à nos gènes et nous mourrons.
Mèmes
Pourtant, l'être humain fit quelque chose d'original. Il inventa le langage, et plus tard il inventa l'écriture et la civilisation, qui lui permirent de transmettre son savoir. Et alors il créa sans presque le savoir une nouvelle sorte d'êtres vivants, que les premiers organismes, nos gènes, auraient été bien incapables de comprendre, bien que ces nouveaux êtres fussent très semblables à eux. Comme eux, ils pouvaient se reproduire, mais bien plus rapidement et efficacement qu'eux. Comme eux, ils pouvaient évoluer, muter. Comme eux, ils pouvaient se propager, s'opposer, guerroyer entre eux et même se tuer, mais aussi s'unir et fusionner. Comme eux, ils pouvaient aussi mourir. Mais ces nouveaux êtres vivants n'avaient pas besoin d'un support matériel. Ils ignoraient l'ADN et ses contraintes. Ils se propageaient bien plus vite, à la vitesse du son, puis de la lumière. Comme eux, ils n'avaient qu'un seul but : survivre et se multiplier. Mais ils étaient mille fois plus efficaces que nos pauvres gènes, et en un rien de temps ils furent partout, même si nous ne savons pas encore les reconnaître en temps qu'êtres vivants. Pourtant ils ont toutes les caractéristiques des êtres vivant, ce sont des entités indépendantes douées du pouvoir de se reproduire et de se transformer. Nous ne les reconnaissons pas encore comme tels. Pourtant, ils sont là. Ils vivent dans nos esprits. Ils se transmettent d'esprit à esprit. Ce sont nos pensées, nos idées, nos concepts.Les idées sont des êtres vivants. Elles vérifient toutes les conditions de la définition d'un être vivant. Elles se propagent, s'unissent, s'opposent, se dupliquent chaque fois que nous les communiquons à autrui, s'enrichissent mutuellement pour former de magnifiques symbioses, ou bien mutent et se transforment. Elles peuvent dormir pendant des siècles, gravées sur de fragiles tablettes d'argiles cachées sous la glaise asséchée d'un désert, puis reprendre vie, retentir à nouveau, flamboyer dans des milliers de consciences. Elles peuvent aussi disparaître, comme les anciens Dieux, oubliées des hommes. Les idées complexes sont faites de séquences ou d'associations de petites idées primitives : des gènes d'idées, des mèmes, comme les a baptisés le zoologiste Richard Dawkins, qui les a découverts en 1976.
Les mèmes sont des fragments d'information ou d'états mentaux, comme des idées ou des comportements, qui peuvent se transmettre entre des entités biologiques. Ce sont de véritables êtres vivants, qui perdurent depuis que l'homme existe et peut être depuis plus longtemps que cela : les mèmes de la mort, de la douleur, de la faim et du plaisir, ceux aussi de l'alternance des jours et des nuits, de l'existence du monde, et de celle d'autres êtres semblables à nous, ces mèmes primitifs existent depuis des millions d'années sans doute. Les êtres humains sont, par excellence, des propagateurs de mèmes. Mais certains animaux peuvent se transmettre aussi des mèmes, par exemple lorsqu'un groupe d'animaux d'une même espèce cherche à rassurer l'un d'entre eux, ou lorsqu'un animal signale aux autres la présence d'un prédateur. Les mèmes sont au moins aussi anciens que les mammifères, voire que les oiseaux, et probablement plus anciens encore.
Dès lors que certains animaux ont été capable d'imitation, les mèmes ont pu se transmettre et évoluer. Mieux, ils ont pu piloter l'évolution des gènes ! En effet les animaux qui avaient une bonne capacité d'imitation purent imiter certains comportements de leurs semblables (par exemple les signaux d'alerte en cas de présence d'un prédateur) qui augmentèrent leur chances de survie. Et donc l'évolution (des gènes) sélectionnera préférentiellement les gènes favorisant la transmission de certains mèmes. Les individus qui possèdent les plus grandes capacités sont ceux qui peuvent non seulement apprendre et transmettre des mèmes, mais les modifier, créant par la de nouveaux mèmes, " lancer des modes ". Ces individus deviennent très vite dominants, et bénéficient d'avantages sociaux ou sexuels qui favoriseront leurs gènes, donc les gènes qui permettent de créer des mèmes. C'est la raison de la tendance globale à l'accroissement de la taille et de la capacité du cerveau.
Attention, je ne dis pas que les mèmes expliquent toute l'évolution des gènes. Presque tous les animaux ont des comportements innés de reconnaissance de leurs prédateurs, par exemple. Mais les individus qui auront été capable de transmettre le même associé à la reconnaissance d'un nouveau prédateur seront favorisés.
Ce processus culmina dans l'être humain, qui est
l'animal possédant les plus grandes capacités d'imitation
sélective. L'être humain a inventé une multitude de
mèmes : Comment allumer du feu, comment signaler aux autres la présence
de gibier, comment écrire des marques sur une écorce pour
compter les bêtes d'un troupeau. Il inventa des sons, des chants,
des mélodies, qui sont des aussi des mèmes. Tous les mèmes
ne sont pas utiles. Il existe même des mèmes viraux,
qui sont l'analogue des virus biologiques. Vous connaissez certainement
ces chaînes de messages que nous recevons régulièrement
par la poste ou par e-mail, et qui nous ordonnent de recopier le message
et de l'envoyer à nos amis, sous peine de malchance, de catastrophe?
Ce sont des mèmes viraux, de même que toute les instructions
du type " faite ceci et ordonnez aux autres de le faire aussi ". En un
sens, les pratiques religieuses sont aussi des complexes de mèmes
viraux, bien qu'elles puissent être utiles en permettant la cohésion
sociale d'un groupe.
Réplicateurs
Les gènes et les mèmes sont des exemples de réplicateurs. Il en existe d'autres, comme nous allons le voir. Il est une caractéristique que possèdent tous les réplicateurs, qui est leur capacité à utiliser les ressources de leur environnement pour se renforcer, en créant leur machine à survie. Dès leur que l'environnement permet la création de machines à survie, les réplicateurs en construisent, car elles augmentent leur capacité de reproduction. Très vite, les réplicateurs qui ont des machines à survie, même simples, dominent les autres.Il est donc naturel que les mèmes aient crée eux aussi leurs machines à survie, leurs carapaces.
Ces machines à survie existent. Les machines à survie de nos mèmes, nous les connaissons fort bien. Ce sont nos esprits. De la même manière que nos corps sont les hôtes de nos gènes, nos esprits sont les hôtes de nos mèmes.
Ainsi, contrairement à l'idée reçue, ce sont nos idées, nos mèmes, qui créent nos esprits, et non l'inverse. Cela semble a priori paradoxal. Comment des idées, des concepts, pourraient-ils exister en l'absence d'esprit ? La solution de ce paradoxe apparent, c'est que les idées préexistent aux esprits, de la même façon que nombre de nos gènes ont un jour préexisté à nos corps. Les premiers gènes n'étaient que des fragments d'ADN/ARN, c'est à dire des molécules. Ils n'avaient pas besoin alors d'être enchâssés dans des cellules, mais ils étaient fragiles, et c'est pourquoi plus tard ils se construisirent des machines à survie. Cependant, au départ, ils n'avaient besoin que des briques de bases fournies par la nature : les atomes, les molécules, les liaisons chimiques. Les premiers gènes ont put naître car ils disposaient d'un substrat matériel préexistant. Il en est de même pour les mèmes. Ce qui nous fait penser à un paradoxe, c'est que nous savons que les idées/concepts ont eux aussi besoin d'un substrat, ce qui est vrai, mais nous croyons que ce substrat ne peut être qu'un esprit, ce qui est faux. Les mèmes ont préexisté aux esprits, car il existait dès l'origine un substrat pour eux, qui n'était pas un esprit.
Quel est donc ce substrat originel qui permit aux premiers mèmes d'exister ? Ce substrat existe depuis la nuit des temps, depuis l'origine de l'univers. Il attend depuis tout ce temps que nous le reconnaissions comme le support des premiers mèmes, celui qui leur permit de naître, perdurer, et finalement créer l'esprit qui est leur machine à survie. Ce substrat, c'est le traitement de l'information. De la même manière que les molécules-gènes disposaient des atomes, des liaisons atomiques et des réactions chimiques, les premiers mèmes disposaient de l'information, de la sémantique et de la notion de processus.
L'information joue pour les mèmes le même rôle que les atomes pour les gènes. L'information est présente partout dans notre univers, car la forme des objets matériels n'est rien d'autre qu'une information sur leur disposition relative. Mais l'information préexiste en un sens aux objets matériels, car sans cette notion d'information ils ne pourraient exister, alors que l'information préexiste à la matière : la notion de nombre est une notion abstraite, qui existe avec ou sans support matériel, et un nombre est une information.
La sémantique précise comment les informations peuvent être organisées entre elles pour acquérir un sens, de la même manière que les liaisons chimiques permettent aux atomes de former des molécules. Une notion abstraite comme celle de couple de nombres permet de combiner deux vecteurs d'information pour en créer un troisième, qui ajoute à nos deux nombres une information sur leur ordonnancement. Les mathématiques en général préexistent à la matière, et c'est pourquoi l'univers peut être décrit par des lois mathématiques. En philosophie, on dit que les nombres superviennent à la matière, qui ne pourrait exister sans eux. Cette notion subtile de supervénience est plus restrictive que la notion de préexistence qui ajoute en plus l'idée d'un ordonnancement dans le temps.
Enfin la notion de processus permet de combiner des informations possédant une sémantique pour créer de nouvelles sémantiques, de la même manière encore que les réactions chimiques permettent aux atomes et aux molécules de se combiner entre eux. Les réactions chimiques sont des processus. Les gènes ont besoin pour exister des processus chimiques. Les mèmes ont besoin pour exister de la notion abstraite de processus.
Ces trois notions permirent aux mèmes d'exister même en l'absence d'un cerveau ou d'un esprit. Certes, les cerveaux permettent d'instancier les mèmes et donnent un support matériel aux esprits, qui sont les machines à survie des mèmes. Mais la capacité de propager des mèmes supervient à la propagation des gènes. Lorsque une molécule d'ARN se duplique, elle transmet le même qui code sa forme. Bien sur, ce n'est que lorsque l'évolution biologique créa les neurones que les mèmes purent commencer à construire leurs machines à survies, et ce n'est que lorsque l'évolution (guidée par les mèmes) produisit un animal particulier, l'être humain, qui atteignit à la conscience, que les mèmes purent donner leur pleine mesure.
On peut se demander pourquoi, parmi toutes les créatures
biologiques, l'être humain est le seul à pouvoir propager
aussi bien les mèmes. Bonne question. Très bonne question.
Mais avant d'y répondre, il faut observer que les mèmes et
les gènes ne sont pas les seules entités qui utilisent la
notion d'information et celle de processus. Il existe d'autres sortes de
réplicateurs.
Frèmes
Par exemple l'univers dans son ensemble peut être considéré comme un gigantesque processus. Dans ce processus, la matière-énergie réagit sans cesse avec d'autres particules de matière-énergie. L'information, dans notre univers, est codée par la configuration locale de ces particules, par leur forme : la forme d'un objet, d'une molécule, etc. Toutes les formes ne sont pas possibles. Certaines sont impossibles par ce qu'elles violeraient des lois comme la loi de la conservation de l'énergie. D'autres sont hautement instables, comme les atomes des éléments radioactifs. Seules certaines formes peuvent perdurer. Certaines formes ou configurations, comme celle de l'atome d'hydrogène, furent crées dès l'origine de l'univers, lors du Big Bang selon la théorie standard actuelle. Mais toutes les formes possibles n'existent pas dans l'univers. Les atomes d'Or, par exemple, sont si difficiles à fabriquer que les réactions nucléaires nécessaires n'étaient pas possibles pendant le Big Bang, et même pendant les cinq ou six milliards d'années suivantes. Les atomes d'Or ne peuvent être fabriqués que dans les inimaginables conditions de température et de pression qui règnent au coeur d'une étoile en train d'exploser. Ainsi, l'Or qui pare le corps de nos femmes et les rend si belles n'a pu exister sur Terre que parce que, il y a sept ou huit milliards d'années, une étoile proche explosa en supernovæ et projeta une partie de l'Or qui venait d'être fabriqué en son coeur dans l'espace où ces atomes dérivèrent lentement, certains d'entre eux atteignant finalement le nuage de poussière en train de se condenser qui donna naissance à notre système solaire.L'homme lui-même crée de nouvelles formes, à l'aide d'accélérateurs de particules, ou encore lorsqu'il synthétise de nouveaux cristaux. Il existe d'ailleurs à ce sujet un phénomène étrange, qui n'a pas encore pu être expliqué : Dans les laboratoires de cristallographie, on essaye de créer de nouveaux cristaux, par exemple pour synthétiser de nouveaux matériaux. Très souvent, ces synthèses sont très difficiles : les calculs montrent que " ça doit marcher ", mais le labo n'arrive pas à synthétiser le nouveau cristal. Très souvent, des tas de labos essayent en même temps, surtout s'il y a de l'argent à prendre, mais personne n'y arrive. ça peut prendre des années, et puis un jour, ça marche dans un labo. Et presque aussitôt, les autres laboratoires réussissent eux aussi, très facilement, et la synthèse devient une affaire de routine. A tel point que l'on peut se demander si la création d'une nouvelle forme dans l'univers n'imprime pas une sorte de marque ou de sillon dans un " espace des formes ", que les synthèses ultérieures n'ont plus qu'à suivre...
Cette idée est très intéressante, car elle peut s'expliquer par la notion de réplicateur. En effet, il est clair que les lois de la physique déterminent quelles formes sont possibles dans l'univers. Mais il est clair aussi que toutes les formes possibles n'existent pas à un moment donné : La nature, ou bien l'homme, qui fait partie de la nature, inventent sans cesse de nouvelles formes. La création de ces nouvelles formes à partir des anciennes doit suivre un schéma déterminé. Mon idée, c'est que les formes sont les machines à survie qui abritent des entités plus fondamentales que j'ai appelé des frèmes. Les frèmes sont des réplicateurs : en effet la création d'une forme dans la nature n'est que la réplication de leur frème. Un frème, c'est l'essence d'une forme, d'une configuration. La continuité, l'orientation, la finitude, la présence de " trous " sont des frèmes. La science qui étudie les formes s'appelle la topologie, pour cette raison je les avais appelés initialement topèmes. Mais il me semble que " frème " est plus sympa, plus sexy, à cause de sa ressemblance avec l'anglais frame, cadre.
Toute forme possède des propriétés topologiques. Mais ces propriétés ne suffisent pas toujours à les définir. Par exemple, considérons la forme d'un noeud fait avec de la ficelle. En mettant ce noeud " à plat " on peut compter le nombre de fois où la ficelle passe " dessus " ou " dessous ", et dans quel ordre, et tenter de caractériser ainsi un type de noeud comme le noeud de chaussure avec ces nombres. Mais il se trouve qu'il est impossible de caractériser ainsi tous les noeuds, en trouvant pour chaque type de noeud une suite de nombres qui définissent ce type et uniquement celui là. On y arrive presque (le " polynôme de Jones " caractérise presque tous les noeuds sans erreur, mais pas tous...) C'est très étrange. La raison profonde de cela, c'est que les formes ne sont pas définies par leurs invariants topologiques, comme disent les mathématiciens, mais pas leurs frèmes. La forme n'est que le phénotype, la machine à survie engendrée par les frèmes.
Les frèmes nouveaux apparaissent lors de brisures de symétrie, un processus qui a été modélisé par le grand mathématicien français René Thom dans sa célèbre théorie des catastrophes. Un frème acquiert ainsi un bit supplémentaire d'information, qui définit s'il est " gauche " ou " droite " après la brisure de symétrie. C'est un concept difficile à saisir, car nous ne disposons que d'une théorie partielle de la morphogénèse (la création des formes), également due à René Thom, et encore moins d'une théorie de la création des frèmes.
Je propose néanmoins les idées suivantes, base d'une future science, la morphogénique (bof...), ou la frèmétique (mieux !):
- Les frèmes sont des réplicateurs qui codent les formes. Ils existent dans un espace abstrait où ils peuvent se recopier et muter par brisure de symétrie. Comme les mèmes, ils disposent pour cela du substrat qui est constitué par la notion d'information et la notion de processus.
- Dans l'univers physique, les frèmes engendrent les formes. Pour créer une nouvelle forme, on doit dépenser une énergie qui est proportionnelle au nombre de frèmes codant la forme, et une entropie qui est proportionnelle à la différence de générations entre le frème codant la forme initiale et la forme finale.
- Lorsqu'un frème nouveau est crée, il tend à se dupliquer, facilitant d'autant la création de la nouvelle forme. C'est ce qui se passe avec les cristaux dans nos laboratoires de cristallographie.
- Les mèmes ont aussi une forme, qui est leur " grammaire " sémantique. Les frèmes peuvent ainsi aussi bien coder des formes physiques que des idées. Le monde des idées est ainsi aussi riche que le monde matériel, et même strictement équivalent, car les deux mondes ne sont que deux points de vue sur les formes dans lesquelles les frèmes peuvent s'exprimer. Ces deux mondes, le monde physique et le monde mental, ne sont que deux vues de la même chose.
- L'existence des entités biologiques dans le monde matériel est strictement le pendant de l'existence de la conscience dans le monde mental.
- Frèmes et gènes peuvent êtres décrits, et donc peuvent être codés par des mèmes, qui les décrivent. La boucle est ainsi bouclée. Car l'esprit conscient tend à créer de nouveaux mèmes, donc de nouveaux frèmes. L'apparition de la conscience n'est rien d'autre qu'une stratégie imaginée par les frèmes pour se répliquer toujours plus vite.
- Il est donc logique que les frèmes aient cherché à créer de nouveaux esprits conscients, c'est à dire à multiplier les humains, en favorisant les gènes qui codent les cerveaux aptes à la conscience. En effet la création d'une forme physique comme celle d'un gène inscrit sur une molécule d'ADN est d'autant plus facile que le nombre de frèmes qui codent cette structure et important : Nous avons donc une rétroaction positive, qui favorisa la mutation qui fit accéder l'homme à la conscience.
La conscience
Donc finalement, voici pourquoi l'homme est le seul animal qui possède la conscience : il fut simplement le premier, par hasard dirons nous, mais dès lors il était bien plus facile pour les frèmes de multiplier ce premier homme que de créer de nouveaux êtres conscients, ce qui aurait nécessité de manipuler de nombreux gènes.Ainsi, la conscience, parce qu'elle permet de créer de nouveaux mèmes donc de nouveaux frèmes, n'est qu'une stratégie de plus inventée par les frèmes pour se multiplier ! Voilà qui nous rabaisse un peu le caquet, à nous, humains prétentieux...
Les propositions précédentes ne sont pas des idées en l'air, mais constituent la base de la nouvelle science, ou frèmétique. Il s'agit bien d'une science, car on peut faire des expériences pour les prouver ou les infirmer. Par exemple il sera possible de tenter de créer de nouvelles formes moléculaires et de mesurer la difficulté de création de cette nouvelle forme, puis de sa duplication. Selon la frèmétique, la difficulté devrait aller décroissant avec le nombre de frèmes codant cette structure, existant dans " l'espace abstrait des frèmes ": c'est ici qu'il nous faudra inventer des modèles qui expliquent la génétique des frèmes et déterminent quel peut être à un instant donné le nombre approximatif de frèmes codant une forme donnée... Il y a là tout un champ d'étude possible.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là, car il nous faut dire ce qu'est la conscience. Je ne prétends pas avoir trouvé la solution de ce problème qui occupa de nombreux philosophes pendant des générations, mais la frémétique permet de trouver une définition élégante de la conscience, à défaut d'une explication : la conscience, c'est la brisure de symétrie qui permet à l'être humain de croire que le monde mental et le monde physique sont séparés, alors qu'il s'agit de la même chose, à savoir l'ensemble des formes, ou des machines à survie inventées par les frèmes si l'on veut.
Enfin, le point 5) ci dessus mérite quelques explications : j'ai dit que l'existence d'entité biologiques (donc de gènes) est le pendant de l'existence d'entités conscientes (donc de mèmes). Affirmer cela, c'est dire que la vie mène inéluctablement à la conscience. C'est dire aussi que l'univers physique mène inéluctablement à la vie. Et cela est possible parce que la conscience est la clef qui permet à l'univers physique d'exister réellement. Sans la conscience, l'univers n'est que virtuel. Avec la conscience, il acquiert réalité, par brisure de symétrie. Qu'est ce que cela veut dire ? Encore une affirmation sans preuve ? Que nenni !
J'ai écrit plus haut que l'univers dans son ensemble pouvait être comparé à un gigantesque processus. Comme le savent les physiciens modernes, c'est à la fois vrai et faux. Oui, les physiciens pensent que les mêmes lois physiques s'appliquent partout dans l'espace et dans le temps. Mais la physique moderne, ou physique quantique, admet qu'il existe deux sortes de processus à l'oeuvre dans l'univers.
Le premier processus est déterministe, c'est à dire parfaitement prévisible, et peut s'expliciter à l'aide d'une merveilleuse équation différentielle qui est l'équation de Schrödinger. Cette équation décrit comment une fonction particulière, la fonction d'onde, évolue dans le temps ou lors d'interactions entre particules. La fonction d'onde décrit où et dans quel état peut se trouver une particule, un atome, n'importe quel objet matériel en fait possède une fonction d ?onde. Le carré du module de la fonction d'onde (pour les lecteurs non-mathématiciens, peut importe ce que ça veut dire) est un nombre compris entre zéro et un, qui donne la probabilité pour que la particule soit à une position donnée et dans un état donné. C'est pour cela que la physique quantique est souvent prise pour une physique probabiliste. Elle ne fait que donner (avec une précision parfaite) des probabilités. Néanmoins, lors qu'il s'agit d'objets macroscopiques, la fonction d'onde à une valeur quasi nulle partout, sauf en un point, c'est pourquoi on peut dire qu'un objet matériel ordinaire est " ici et pas ailleurs ". Cependant, pour des objets microscopiques comme des particules ou même des atomes, il n'en va pas de même.
Le second processus est plus mystérieux : il précise que si un observateur observe qu'une particule (ou n'importe quel objet, bis repetita) se trouve à un instant donné à un endroit donné, sa fonction d'onde prend instantanément et partout la valeur zéro, sauf au point où elle a été observée. Ce phénomène étrange que l'on appelle en langage savant " réduction du paquet d'ondes " est la seule explication plausible que l'on ait trouvée pour expliquer un certain nombre de résultats expérimentaux.. Il a donné lieu a des interprétations nombreuses et subtiles. L'une d'elles, due à Hugh Everett, troisième du nom (ces américains, quels prétentieux !), porte le nom d'interprétation " en mondes multiples ". Selon cette interprétation, à chaque instant l'univers se scinde en d'innombrables mondes parallèles, autant qu'il y a de valeurs possible pour les fonctions d'ondes de tous les objets qui le composent. Cependant, l'acte d'observation sélectionne en quelque sorte l'un de ces univers particuliers, celui dans lequel la particule observée se trouve pile poil là où elle a été observée. Les autres univers disparaissent immédiatement dans les limbes. Ce rôle magique que l'on fait porter à l'observateur est très mystérieux et a excité beaucoup de philosophes. En particulier, qu'est qu'un observateur ? Comme les observateurs font partie du monde physique, on ne voit pas pourquoi certaines parties de ce monde (les êtres humains) auraient un statut physique différent des autres. Ou bien, serait-ce parce que l'être humain est conscient qu'il possède cette caractéristique spéciale de pouvoir sélectionner le " bon " univers ? Je réponds que oui, et je le prouve !
Selon la frèmétique, la conscience n'est rien d'autre que l'aptitude à prendre des vessies pour des lanternes, c'est à dire à voir deux choses (les idées et les formes) là où il n'y en a qu'une. Et voici l'explication : la réduction du paquet d'ondes, c'est l'instanciation simultanée d'un frème en une forme et un même. La forme, c'est la configuration de la particule observée. Le mème, c'est l'idée qui jaillit dans l'esprit de l'observateur : " la particule est dans cette configuration ". Forcément, puisque c'est la même chose.
Ainsi l'esprit crée le monde. Que c'est beau !
J'en pleurerai.
Pour plus d'infos :
- Le livre de Dan Sperber "La contagion des idées"
- Darwinizing Culture : The Status of Memetics As a Science" Robert Aunger(Editor)
- "The Meme Machine" Susan Blackmore, Richard Dawkins; Paperback.
- Le "journal of memetics" sur le web: http://www.cpm.mmu.ac.uk/jom-emit
- Conscience et univers adimensionnels, une page sur ce site où je prouve par la logique que nos consciences ne se trouvent pas dans notre univers
E-mail author :Serge Boisse
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