A propos de Passion de Brian De Palma
Noomi Rapace et Rachel McAdams
A Berlin (Allemagne), deux Américaines travaillant ensemble au sein d’une agence internationale de publicité exercent l’une sur l’autre un troublant et malsain jeu de séduction et de domination. La blonde Christine (Rachel McAdams) est attirée par le caractère bouillonnant et l’énergie créatrice de la brune Isabelle (Noomi Rapace) tandis que cette dernière est troublée par la puissante sensualité et la beauté plastique que dégage sa patronne. De la perversion naît de ce petit jeu entre les deux femmes. Bientôt, tous les coups sont permis, y compris les plus bas pour Christine, les plus méchants et les plus humiliants. Mais un jour, c’est bien elle qui est retrouvée assassinée à son domicile. Dirk (Paul Anderson), l’associé et amant des deux femmes, est accusé et confondu par des preuves accablantes…
Rarement, Brian de Palma (né en 1940) aura-t-il lorgné à ce point du côté de Hitchcock. Rien pourtant, dans la première moitié de ce film au casting américano-allemand, ne laissait supposer que Passion prendrait une telle tournure de polar. Un polar tendu et haletant malgré une chute où demeurera une certaine confusion, du moins un flou entre rêve (les visions oniriques d’Isabelle) et réalité.
Remake du film d’Alain Corneau, Crime d’amour (2009), dont De Palma estimait qu’« on savait trop vite qui était l’assassin », Passion est une œuvre assez désopilante. Désopilante, parce que pendant quarante cinq minutes, le film ne consiste pas du tout en un thriller ni un polar mais plutôt en un double portrait psychologique de femmes inspiré à la fois par Lynch (Mulholland Drive) et dans les couleurs pimpantes voire un brin outrancières des maquillages et des portraits de Christine (Rachel McAdams est excellente) par Pedro Almodovar. Peu étonnant d’ailleurs que la photographie du film ait été confiée à José Luis Alcaine…
Mais l’intérêt de De Palma pour la psychanalyse, dans la scène où Christine raconte à Isabelle un épisode tragique de son enfance, est sans doute ce qui rapproche le plus le réalisateur américain (toujours en disgrâce du côté d’Hollywood, d’où le montage financier franco-allemand du film) d’Hitchcock et de Lynch. Berceau de sa névrose, l’enfance de Christine permet d’expliquer (en partie du moins) d’où viennent sa perversion et sa méchanceté. Le désir de nuire de la belle blonde serait ainsi lié à un traumatisme et à un sentiment de culpabilité originel, Christine ayant perdu très tôt sa sœur jumelle dans un accident. Mais là où De palma est subtil, c’est dans les retournements de situations et dans l’ambiguïté que suscite soudainement le personnage de Christine, dont on ne doutait pas de la véracité des propos. Ses confidences seraient-elles celles d’une affabulatrice ? Christine n’est-elle pas tout simplement une grande malade perverse dont la jalousie n’a rien à voir avec l’enfance ? Et si rien ne justifiait sa cruauté ni ses vices finalement ?
Rachel McAdams
Ce sont les questions que De Palma pose, par le biais d’une mise en scène dépouillée et beaucoup plus enlevée dans la seconde partie du film, grâce notamment aux compositions inspirées de Pino Donaggio, avec qui De Palma avait déjà travaillé sur L’esprit de Caïn (1992).
Au caractère posé mais énigmatique de Christine s’oppose celui beaucoup plus nerveux d’Isabelle (Noomi Rapace est encore une fois irréprochable). D’un côté, De Palma modèle une blonde platine, charnelle et sexy à souhait (type Marilyn Monroe) à qui il demande parfois de jouer face à la caméra (encore un clin d’œil à Hitchcock), de l’autre il crée un personnage beaucoup plus rentré et « masculin », beaucoup moins exubérant et provocant qui est celui de la brune Isabelle, que l’on sent plus fragile et plus vulnérable, du moins en apparence. Mais attention, car Passion est un film de fausses pistes et de faux-semblants, comme chez Hitchcock.
Outre leur petits tours de séduction, c’est à un jeu de dupes et de vengeances mesquines (fameux crêpages de chignons) auquel les deux femmes exacerbées vont s’adonner pendant une heure trente, avant la fin tragique que l’on connait pour Christine.
C’est d’ailleurs cette dernière qui semble la plus rancunière, la plus mauvaise dans cet épisode central et cruel où elle montre, hilare, à tous les cadres de la boîte une petite vidéo dans laquelle on voit Isabelle, prise en défaut par des caméras de surveillance, bousiller sa voiture dans le garage et piquer une crise d’hystérie.
Point d’ancrage de Passion, épisode qui explique d’où naît la haine que va peu à peu ressentir Isabelle pour sa responsable, la scène de la caméra de surveillance va de pair avec cette contemporanéité qui caractérise Passion, au-delà des citations appuyées à Hitchcock, Lynch, Almodovar, etc…
Car les moyens technologiques auxquels ont recours Isabelle et Christine pour exercer un pouvoir malfaisant et nuire l’une à l’autre sont bien ceux de notre époque : Internet (boîtes mails), Skype, réseaux sociaux, etc…
Tous les moyens sont bons pour faire du mal. Ceux intrusifs d’Internet sont idéals même, parfaits pour exercer une vengeance, susciter de manière perverse de la souffrance morale, etc… De Palma l’a bien compris, qui en use à merveille dans ce thriller sobre et maîtrisé, qui tient bien la route mais ne dépasse pas sa pléthore de références. Ce sont là sans doute ses limites, jusqu’à cette scène finale, où De Palma ne peut s’empêcher de citer, une dernière fois pour la route (maniaquerie ? toquade ?), Hitchcock et Vertigo. Reste à saluer le parcours atypique de celui qui, un peu à l’instar d’un autre grand cinéaste de sa génération, Ford Coppola (né en 1939), continue courageusement sa route de cinéaste affranchi des dogmes hollywoodiens. Affranchi, et beaucoup plus libre sans doute…
http://www.youtube.com/watch?v=uLJWoxFtQkY
Film frano-allemand de Brian De Palma avec Rachel McAdams, Noomi Rapace, Karoline Herfurth et Paul Anderson (01 h 40)
Scénario de Brian De Palma et Natalie Carter d’après Crime d’amour d’Alain Corneau :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Pino Donaggio :