[anthologie permanente] Guillaume Apollinaire

Par Florence Trocmé

Les éditions Gallimard publient une édition d’Alcools dans la collection Folioplus Classiques 20ème siècle : texte intégral et mise en perspective du texte sous la direction de Sophie-Aude Picon 
Je n’ai plus même pitié de moi 
Et ne puis exprimer mon tourment de silence 
Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoiles 
Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun de mes yeux 
Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses 
Qu’ai-je fait aux bêtes théologales de l’intelligence 
Jadis les morts sont revenus pour m’adorer 
Et j’espérais la fin du monde 
Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan.  
J’ai eu le courage de regarder en arrière 
Les cadavres de mes jours 
Marquent ma route et je les pleure 
Les uns pourrissent dans les églises italiennes 
Ou bien dans de petits bois de citronniers 
Qui fleurissent et fructifient 
En même temps et en toute saison 
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes 
Où d’ardents bouquets rouaient 
Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait la poésie 
Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore 
Dans le jardin de ma mémoire 
Pardonnez-moi mon ignorance 
Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers 
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement 
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes 
Je médite divinement 
Et je souris des êtres que je n’ai pas créés 
Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide 
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour 
J’admirerais mon ouvrage 
Guillaume Apollinaire, Alcools, collection Folioplus Classiques 20ème siècle : texte intégral et mise en perspective du texte sous la direction de Sophie-Aude Picon, Gallimard, 2012, pp. 126 à 128 
Apollinaire dans Poezibao :  
bio-bibliographie, découverte de deux poèmes inédits, extrait 1, Calligrammes dans tous ses états