J’en suis à mon neuvième jour sur place. Après de longues journées et de courtes nuits, j’arrive gentiment au bout du festival et de mon anti-cerne. Et pour finir en beauté, la première du film que j’attendais impatiemment. Pas de star sur le tapis rouge cette fois, et c’est regrettable de ne voir pour ainsi dire personne devant le Berlinale Palast. Car si quelqu’un mérite les applaudissements et les pancartes, c’est bien George Sluizer.
On nous demande d’être patients, car le réalisateur a de la peine a marcher. George Sluizer n’a plus l’âge, ni la santé, mais il a du courage, c’est le moins que l’on puisse dire. Toute l’audience est debout et applaudit le vieil homme alors qu’il se déplace péniblement jusqu’au micro, puis se fait totalement silencieuse (mais reste debout). Il n’aura pas la force de monter sur scène, mais a tenu à faire un discours. Lorsque George Sluizer a appris qu’il était mourant, il a tout mis en oeuvre pour sauver son film inachevé depuis 1993. On ne peut rester insensible,alors qu’il sanglote en mentionnant les noms de ceux qui ne sont plus là pour assister à cette première. Parmi eux, celui de l’acteur principal, River Phoenix, décédé avant la fin du tournage. Pour utiliser les mots du réalisateur: « En 1993, le film était comme une chaise avec deux pieds. Assez de matériel pour faire un film, mais pas assez pour le faire tenir debout ». En 2012, il décide cependant de le compléter, il réécrit le script, et termine le film avec un peu de narration et de dépoussiérage. « Il manquera toujours le quatrième pied à la chaise, mais au moins on a réussi à la faire tenir droite ».
DARK BLOOD est tout ce que j’attendais. Une sorte de comédie noire très étrange. Le film a une telle emprise qu’on n’a pas le temps de laisser son esprit vagabonder, les scènes sont bien trop bizarres, bien trop surprenantes. L’histoire se déroule sur des terres « empoisonnées par l’homme blanc et maudites par les natifs américains », soit le film dénonce les essais nucléaires en faisant honneur à ses victimes, contrairement à « La colline a des yeux ». Un couple en deuxième lune de miel tombe en panne et se fait « secourir » par un jeune marginal qui a perdu sa femme suite à un cancer, conséquence de l’exposition aux radiations. Le jeune homme développe une obsession pour la nouvelle venue et ne veut la laisser partir à aucun prix. River Phoenix, que l’on compare souvent à James Dean, a une apparence radicalement différente de celle qu’on lui connait. Des cheveux foncés, courts et gras, taillés en pointe. Une maigreur qui se voit jusqu’à son visage et des ongles noirs de crasse. Et le pire, c’est cette sympathie que l’on développe pour son personnage, aussi horrible soit-il. Le film joue plus sur les images que sur le dialogue, c’est peut-être pour cela qu’il est si bon. Détrompez-vous, ce long-métrage a beau se tenir sur des béquilles, il n’en reste pas moins redoutable.
Petit retour sur River Phoenix:
Nominé pour l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans « Running on Empty », il était considéré comme l’un des acteurs les plus brillants de sa génération. Son interprétation d’un jeune prostitué dans « My Own Private Idaho » aux cotés de Keanu Reeves est un excellent exemple de son talent. Après son décès, on offre à Leonardo Di Caprio et à Christian Slater les rôles qui lui étaient destinés, celui de Rimbaud dans « Total Eclipse » et celui du journaliste dans « Entretien avec un vampire » (l’adaptation cinématographique du roman d’Anne Rice lui est d’ailleurs dédiée). Il décède dans des conditions dignes d’un film avec un cast surprenant: « Johnny Depp jouait sur scène avec son ami Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, lorsqu’ils virent River quitter les lieux en titubant. Les deux musiciens sautèrent de scène pour le suivre dehors. Mais une fois à l’extérieur, River s’effondra sur le trottoir et fut pris par des convulsions. Il succomba quelques instants après par arrêt cardiaque dans les bras de sa sœur Rain, de son frère Joaquin, de sa petite amie Samantha Mathis, de l’actrice Christina Applegate et de son ami Flea, Il avait 23 ans. River Phoenix décèdera assommé par une surdose composée de plusieurs drogues. »
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