Zugvögel: les oiseaux migrateurs s'abattent sur le Théâtre national
Publié le 17 février 2013 par Luc-Henri Roger
@munichandco
Le Ballet d'état bavarois reprend pour quelques représentations le spectacle total que Jiří Kyliàn y avait créé en 2009 en ouverture de la semaine du ballet, une oeuvre conçue à l'intention du prestigieux Théâtre national dont le personnage principal est le Théâtre national lui-même
Les oiseaux migrateurs, ce sont les créateurs qui investissent le théâtre le temps d'une création et puis repartent, ce sont les artistes invités, c'est moi, c'est vous, ce sont les spectateurs qui viennent se poser pour quelques heures dans l'enceinte du théâtre, lieu de passage, lieu de vie temporaire, ouvert à tous les vents de la création artistique, ce sont peut-être les oeuvres aussi qui reviennent de temps à autre s'y modeliser dans de nouvelles formes, dans de nouvelles mises en scène.
Zugvögel est bien davantage qu'un ballet, c'est un spectacle total dans lequel Jiří Kyliàn avec les co-créateurs complices que lui sont le décorateur Michael Simon, le compositeur Dirk Haubrich et le designer japonais Yoshiki Hishinuma présentent une synthèse leurs créations artistiques en élargissant le champ scénique à l'instar de ce que le théâtre européen des années 70 et 80 avait tenté d'instaurer: il s'agit d'explorer les possibilités du lieu, d'ouvrir la carcasse du théâtre et de mener les spectateurs en explorer les entrailles, il s'agit de faire exploser l'artifice de la distance scénique, le spectateur participe du spectacle par le cortège migratoire dans lequel il est entraîné pour se retrouver un moment sur scène, entouré d'autres oiseaux migrateurs.
Kylian nous invite d'abord à une descente aux enfers en nous proposant de parcourir le monde souterrain du Théâtre national. Oiseaux migrateurs ou foule compactée, il nous faut d'abord nous armer de patience et faire le pied de grue devant une porte close où nous serons soumis à un second contrôle des billets. On suivra alors à un rythme soutenu et défini un circuit de couloirs le long desquels courent d'impressionnantes tuyauteries et qui débouchent sur des salles de tréteaux ou de machineries aux puissances insoupçonnées puis sur des escaliers qui dérouteront plus d'un talon aiguille. Un parcours qui se veut initiatique, avec quelques installations de sculptures aériennes qui évoquent des squelettes aviaires, avec quelques tableaux vivants de danseurs emplumés et de gigantesques oeufs pondus par d'obstinés Sisyphes que l'on ne peut s'attarder à contempler car les gardiennes du monde souterrain vous invitent à circuler. Intéressant, quoique trop rapide, et les installations ont quelque chose d'anecdotique, sans la force décoiffante de l'interpellation, on perçoit bien les allusions à ces bizarres folies qui conduisent à l'enfermement sur soi, à la séclusion foetale qui peut aussi être celle des gestations, mais ces images fugaces n'ont pas vraiment de pouvoir de transformation. Le parcours migratoire se termine sur la grande scène du Théâtre national, où l'on devient figurants pour une dizaine de pas entourés du vol de centaines d'oiseaux projetés sur les parois de la salle, avant de rejoindre sagement nos places de spectateurs, ce qui n'est pas sans rappeler certain film d'Hitchkock. Pténorophobes s'abstenir!
La seconde partie marie le cinéma au ballet, quatre films en noir et blanc de Boris Paval Conen où des thèmes chers au chorégraphe rencontrent le Théâtre national: la plage et les dunes sans doute hollandaises, le vieillissement et la jeunesse: Kylian lorsqu’il était directeur du Nederlands Dans Theater, avait créé une troupe de danseurs âgés de plus de quarante ans : une femme adulte, Sabine Kupferberg, et une petite fille se contemplent, se réfléchissent, se rencontrent ou se fuient, ou parfois s'interchangent. L'enfant joue avec la maquette du Théâtre national de Munich à demi ensevelie dans les sables des plages de la Mer du Nord. L'enfant l'explore, en soulève le couvercle. Puis la mer clapote jusqu'aux marches du théâtre réel: Kylian fait clapoter les eaux hollandaises sur le parvis munichois. Le théâtre est aussi au centre de la danse quand une maquette plus grande viendra occuper le centre de la scène.adulte la regarde. Ainsi le Théâtre est-il le premier personnage de la soirée, théâtre que l'on parcourt et découvre, théâtre qui se découvre et dans lequel une danseuses peut aller se lover. Et au centre de la danse, phénomène rare et émouvant, un couple de danseurs âgés donnent le spectacle magnifique de la maturité.
Mais si le spectacle fait appel à tous les arts du spectacle, on a parfois l'impression que la danse est desservie, la monumentalité des lamelles qui font décor semble réduire la taille des danseurs, surtout dans les pas de deux où les danseurs évoluent dans un espace trop vaste pour leur jeu scénique; ensuite, l'utilisation abondante des tissus, - immenses voiles déployés et gonflés qui simulent par exemple les mouvements de la marée, sculptures de tissus gonflées avec des lourdeurs volumiques que traînent les danseurs qui s'en voient transformés en des espèces de grosses volailles dindonnantes-, n'ajoute rien au spectacle, tout au contraire.
S'il y a par moments de magnifiques ensembles dansés comme à l'accoutumée à la perfection par le corps de ballet bavarois, ils ne parviennent pas à compenser les lourdeurs et les absences d'une chorégraphie qui manque de rythme. On sort étourdis de ce spectacle, avec une étrange impression de trop, et de trop peu.
Photos
Underworld © Day Kol
Stage © Wilfried Hösl
Prochaines représentations: les 22 et 28 février
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