«Au bureau, contrairement à ce que l'on pense, les troubles musculo-squelettiques sont liés à l'inactivité», souligne Yves Roquelaure, professeur de médecine du travail au CHU d'Angers et directeur du Laboratoire d'ergonomie et d'épidémiologie en santé au travail. Lorsque le regard est fixé sur un écran, par exemple, des tensions musculaires apparaissent dans le cou, immobile trop longtemps, et provoquent des cervicalgies, au premier rang des troubles musculo-squelettiques (TMS) au bureau. Les TMS sont, en France, les maladies professionnelles les plus indemnisées par la Sécurité sociale. L'Institut de veille sanitaire indique que leur chiffre a été multiplié par dix au cours des dix dernières années, tout en signalant une proportion importante de cas non déclarés. Il existe peu de chiffres détaillés à l'échelle nationale, mais des études régionales permettent d'avoir une image plus précise de ces troubles qui affectent principalement les ouvriers et les ouvrières, mais en deuxième ligne les employés, et notamment, selon une étude effectuée dans les Bouches-du-Rhône, les employés de l'administration publique.
Au bureau, les TMS touchent principalement le cou, les épaules, le poignet et la main. «La position des yeux détermine la position du visage et du cou, rappelle le Pr Roquelaure. Si le travail nécessite une forte charge visuelle pour être précis, on immobilise le cou, parfois des heures d'affilée.» Les cervicalgies sont donc fréquentes dans les métiers de précision comme la chirurgie ou la couture sur machine, mais aussi lorsque le travail nécessite l'utilisation d'un écran.
Un quart des personnes ayant un emploi de bureau se plaignent ainsi de douleurs dans le cou. L'utilisation des téléphones «intelligents» et des tablettes numériques, qui ont des écrans de petite taille, semble augmenter la fréquence de ce type de cervicalgies, d'autant plus que ces appareils sont souvent également utilisés à la maison. Les chercheurs ont pu observer que ce n'est pas l'intensité de l'effort demandé aux fibres musculaires qui favorise l'apparition de ces troubles mais l'absence de pause: les fibres sont stimulées en permanence. Les questionnaires montrent également que les douleurs s'améliorent le week-end ou lorsque l'on change d'activité.
Par ailleurs, certaines personnes sont plus sujettes à ces troubles, lorsque leurs muscles ne se contractent pas de façon homogène. «Dans certains cas, seul un petit nombre de fibres musculaires sont stimulées lorsque la posture ne change pas. Elles jouent alors le rôle de fibres “Cendrillon”: elles commencent à travailler tôt et s'arrêtent tard», précise le Pr Roquelaure. Dans les cas les plus graves, ces fibres ne se relâchent plus et sont responsables de contractures et de douleurs importantes. Le stress est également un facteur aggravant pour ces cervicalgies, car il favorise les tensions dans les muscles du cou et des épaules, ce qui conduit parfois à donner une dimension psychologique à ces troubles, qui ne suffit pas à les expliquer ou à les traiter.
Modifier sa posture de travail
De simples pauses - actives - de 5 minutes toutes les heures permettent aux fibres musculaires de se «remettre à zéro». Se lever, faire quelques pas pour changer de position peut suffire. Lorsqu'il n'est pas possible de faire de vraies pauses, il faut penser à modifier sa posture de travail: travailler debout, orienter différemment l'écran pour changer la position des yeux, du cou et des épaules ou encore alterner les mouvements des bras en utilisant la souris et les raccourcis clavier. Certains logiciels (RSIGuard, MUSKA TMS) permettent de prévenir les TMS en rappelant à l'utilisateur de changer de position, en lui indiquant des exercices simples pour mobiliser ses membres ou des astuces pour varier les gestes effectués à son poste.
Lorsque les douleurs s'installent, et que les fibres musculaires perdent leur capacité à se détendre, les troubles peuvent diffuser dans l'ensemble des membres supérieurs. «La chasse aux temps morts, de plus en plus présente dans tous les types d'emplois, est un élément majeur de l'augmentation de ces pathologies, explique le Pr Roquelaure. Les gens sont de plus en plus culpabilisés lorsqu'ils prennent une pause.» Il ne s'agit pourtant pas de temps inutiles, et les TMS ont des conséquences sur le travail, sur la santé des employés et représentent un coût important pour l'entreprise et la collectivité. La prévention passe donc par la mise en place de stratégies collectives, organisées à l'échelle de l'entreprise.
Source Le Figaro-Santé !