Originaire de Christchurch, ville à jamais meurtrie par une série de séïsmes dévastateurs, Ariana Tikao, l'une des grandes voix maories contemporaines, a récemment publié un splendide album, "From Dust to Light", largement inspiré des événements. Pour Canal Kiwi, la chanteuse néo-zélandaise aux refrains lumineux revient sur sa carrière véritablement débutée en 1993 avec le duo Pounamu.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'endroit de la Nouvelle-Zélande dont vous êtes originaire ?
J'ai grandi à Christchurch, qui est la plus grande ville de l'île du Sud. Cette ville-même qui a récemment été dévastée par une série de tremblements de terre. Mes ancêtres maoris, la tribu des Ngai Tahu, sont originaires de cette région. Je suis très attachée à la péninsule de Banks (un ancien volcan érodé de Nouvelle-Zélande qui forme une péninsule rattachée à la côte Est de l'île du Sud et qui s'avance dans l'océan Pacifique Sud, ndr) et en particulier à la communauté d'Akaroa, où des colons français s'étaient d'ailleurs installés et où l'influence française est aujourd'hui toujours perceptible.
A quoi a pu ressembler votre enfance en ce lieu ?
J'étais la benjamine au sein d'une famille de sept enfants. Nous vivions à proximité de la ville, mais nous avions l'habitude de retourner passer des vacances dans notre village d'origine, notre "marae", surtout l'été…
La musique a toujours revêtu une importance particulière dans les Mers du Sud. Quel est votre premier souvenir musical ?
Les séances de catéchisme, le dimanche, où nous chantions beaucoup. J'adorais ça. J'ai aussi chanté très souvent au sein de chorales ou de groupes de chants maoris, les "kapa haka".
Quand avez-vous appris à jouer d'un instrument ?
J'ai fait un peu de piano au collège, mais très peu de solfège. Je joue surtout les instruments traditionnels maoris, le "taonga puoro", dont j'aime beaucoup le son unique. Je joue aussi du tympanon ou dulcimer, un instrument à cordes pincées joué dans la musique américaine, et qui fait partie de la famille des cithares.
Aviez-vous l'intuition, très jeune, que vous pourriez devenir musicienne professionnelle ?
Non, pas vraiment. J'ai commencé à chanter en public parce que j'ai voulu, à un moment donné, faire quelque chose des chansons que j'écrivais lorsque j'étais à l'université. Mais même si je me souviens très bien d'avoir eu une Barbie superstar à l'âge de 4 ans, pour autant, je n'ai jamais eu l'ambition de devenir chanteuse (rires).
A quel moment cela est-il devenu une évidence dans votre vie ? Etait-ce en 1993, quand vous avez lancé votre duo Pounamu ?
Tout à fait ! C'est en effet à partir de cette année-là que tout s'est joué. Jacquie était l'autre membre de ce duo. Nous avons réalisé quelques enregistrements ensemble et avons pas mal tourné, y compris à l'étranger. En 1995, nous sommes même venues jusqu'en France : nous étions les deux représentantes néo-zélandaises au sein d'une délégation du Pacifique qui souhaitait sensibiliser au sujet des essais nucléaires en Polynésie. Dans l'ensemble, cette expérience avec Pounamu a été très formatrice pour moi. Elle m'a beaucoup appris sur la musique et sur le métier d'artiste. Même si j'exerce en parallèle une carrière d'archiviste et bibliothécaire. Le duo a réalisé un album en 1996, mais tout s'est arrêté lorsque Jacquie est partie s'installer au Royaume-Uni.
La chanson "Ka Roimata", extraite du tout dernier album d'Ariana Tikao :
Il faudra attendre l'année 2002 pour voir la sortie de votre premier album en solo, "Whaea".
Je n'avais rien composé, durant les quelques années qui ont suivi la fin des activités de Pounamu. L'inspiration m'est revenue avec la naissance de mes enfants. "Whaea" veut dire mère en maori. Un certain nombre de chansons sur cet album évoquaient la maternité et lui rendaient hommage en quelque sorte.
Votre musique, toujours très originale, s'avère particulièrement envoûtante. J'ai lu que votre inspiration principale dérivait de votre héritage maori...
C'est vrai. J'estime qu'il est fondamental de ne rien oublier de ce qui constitue notre patrimoine : nos vieilles légendes et chansons, qu'on nomme chez nous "waiata". J'aime particulièrement contribuer à les ressusciter en les présentant aux nouvelles générations. Elles nous disent beaucoup sur nous-mêmes, les valeurs et la culture qui ont fait ce que nous sommes. Mon grand-père, Teone Taare Tikao, était une autorité en la matière. Il connaissait à fond nos traditions culturelles et histoires tribales. Une grande partie de mon travail s'inspire des écrits qu'il a laissés derrière lui.
Tout est parti de l'idée que j'ai eue d'explorer mes racines à la fois maories et celtes. Nous avions créé cette formation en vue du festival international de jazz de Christchurch, en 2006. Mais l'accueil a été tellement enthousiaste - et nous nous sommes tellement amusés en faisant ce concert - que nous avons finalement continué ensemble. Les autres membres du groupe sont Laura Tomlin, James Wilkinson, Jon Hooker, et Argene Montgomery-Hönger.
Pouvez-nous revenir sur l'un des moments-phares de votre carrière, le concert que vous avez donné en février 2012, à Christchurch, en hommage aux victimes des séismes ?
J'ai été invitée à participer à cette manifestation qui était organisée pour le premier anniversaire de ce séisme dévastateur. Celui-ci avait fait 189 morts, en plus de détruire nombre de bâtiments et infrastructures. La commémoration, qui se déroula en plein air à Hagley Park, fut très solennelle, et empreinte d'une grande tristesse. On m'avait demandé d'y interpréter "Whakaaria Mai", une adaptation de l'hymne chrétien "How great Thou art". Les gens de mon "iwi" (ma tribu) Ngai Tahu, m'ont demandée si je voulais bien les y représenter. J'en étais très honorée. Cela s'est traduit par une collaboration avec le guitariste Jon Hooker, l'orchestre des Forces armées néo-zélandaises et la chorale Christchurch Pops.
Diriez-vous que la création contemporaine maorie bénéficie aujourd'hui d'un vent porteur ?
C'est vrai que les créations maories sont aujourd'hui assez demandées, ce qui leur vaut d'être régulièrement diffusées sur les radios et télés néo-zélandaises. Mais les temps sont toujours difficiles pour les artistes d'ici qui choisissent de chanter principalement en "Te Reo Maori" (la langue maorie). La musique maorie contemporaine n'a pas encore vraiment trouvé son public en Nouvelle-Zélande, même si les gens l'apprécient généralement. On ne fait sans doute pas assez pour permettre à cette culture maorie d'infiltrer la culture populaire néo-zélandaise. Les pays étrangers, notamment européens, se montrent par contre beaucoup plus curieux. Peut-être est-ce dû au fait que les gens y parlent davantage de langues et sont plus habitués à entendre des chansons en langue étrangère ? Une chose est sûre : l'intérêt pour la culture maorie est beaucoup plus important à l'extérieur de la Nouvelle-Zélande.
Votre second album, "Tuia", un disque bilingue anglais-maori, été publié en 2008. C'était le résultat d'une autre collaboration…
Oui, j'ai travaillé sur ce projet avec le réalisateur Leyton, connu pour son travail avec les groupes de musique électronique Epsilon Blue et Rotor +. Ce type est vraiment un génie ! Sa manière de me mettre constamment au défi, à la fois vocalement et musicalement… Nous nous sommes vraiment bien entendus.
La vidéo du single "Tuia", réalisée par Louise Potiki Bryant, a reçu un prix international au festival du film ImagiNATIVE à Toronto en 2009. Cela a dû vous ravir...
Oui, j'ai vraiment été très fière de cette reconnaissance. Cette vidéo ne ressemble pas vraiment aux vidéos auxquelles nous sommes habitués. Je la compare davantage à une oeuvre d'art qui rend un bel hommage à nos ancêtres et aux paysages magnifiques de la péninsule de Banks. J'aime beaucoup travailler avec Louise, qui est une artiste exceptionnelle. Elle est aussi chorégraphe et danseuse au sein de la compagnie Atamira.
"Tuia", la vidéo extraite de l'album éponyme :
En 2008, vous avez passé quelques semaines en Grande-Bretagne dans le cadre d'une résidence d'artiste au Centre des études néo-zélandaises, à l'Université de Londres. Est-il vrai que vous y avez retrouvé plusieurs artistes néo-zélandais établis là-bas ?
Oui, j'y ai collaboré notamment avec la formation Hui-a. En plus de rencontrer les membres d'un groupe de "kapa haka" basé à Londres, Ngati Ranana. Lors de mon séjour à Londres, j'ai donné deux concerts auxquels se sont joints plusieurs musiciens kiwis installés en Europe.
Vous ne chômez pas beaucoup, car en 2010, vous avez aussi monté le spectacle multimédia, "Ohaki", avec Richard Nunns. Quelle a été la genèse de ce projet ?
"Ohaki" veut dire héritage ou testament en maori. Dans notre tradition, il s'agit d'un art oratoire; c'est le message d'une personne mourante à sa famille, avant qu'il ne quitte ce monde. Le message de mon ancêtre Tamati Tikao, adressé à son épouse et à son fils, évoquait les valeurs auxquelles il tenait, l'attachement à sa terre et le fait de traiter les gens honorablement. Il mettait aussi l'accent sur l'importance de bien éduquer les enfants. J'ai écrit une chanson intitulée "Ohaki", et nous l'avons enregistrée avec l'aide du mari de Louise Potiki Bryant, Paddy Free, qui est un as de la musique électronique. Cela a donné lieu par la suite à un spectacle associant mes compositions, l'imagerie vidéo de Louise et la musique live interprétée par Richard Nunns, Jon Hooker, Argene Montgomery-Hönger et moi. Nous n'avons donné que deux spectacles, mais chacun d'entre eux s'est conclu par une ovation debout, ce qui nous a naturellement fait très plaisir.
"Korakorako", extrait de son spectacle Ohaki, avec Richard Nunn :
Votre troisième album, "From dust to light", qui est sorti en novembre 2012, est une pure merveille. Où et quand a-t-il été enregistré ?
L'enregistrement s'est déroulé sur quelques mois, l'an passé, à Wellington. Nous avons travaillé avec Lee Prebble et Ben Lemi Wood, qui ont co-produit l'album avec moi, au studio The Surgery. Avec ce disque, j'ai un peu le sentiment de revenir à mes racines folk. Nous avons souhaité donner à cet enregistrement un aspect "live". C'est un album très acoustique.
Quels sont les musiciens ayant participé au projet ?
L'essentiel de la musique a été interprété par moi et Ben. Mais j'ai aussi invité Brooke Singer (des formations Raggamuffin Children ou French for Rabbits), Alistair Fraser (de Tahu et des Woodshed Sessions) et Charley Davenport. Lee Prebble a aussi joué un peu de guitare slide sur le morceau "Expresso".
Pouvez-vous nous dire deux mots sur votre chanson "Te Heke", qui est le premier single extrait de l'album ?
Ce morceau traite de l'un des principes fondateurs de la culture maorie, le "whakapapa", qui pourrait se traduire par la généalogie. Au-delà du respect pour la généalogie, qui est essentiel dans notre culture, il y a aussi une allusion aux liens entre toutes choses de l'univers. A l'origine, cette chanson a été écrite pour illustrer un documentaire dont le but était de protéger un oiseau natif de Nouvelle-Zélande en voie de disparition, le Kakapo.
La chanson "Te Heke", extraite du nouvel album "From dust to light" :
Ce nouvel album bilingue est d'une grande diversité musicale, même si l'empreinte maorie est prédominante. Pourquoi avoir choisi de mêler ainsi différentes traditions ?
Je voulais faire quelque chose d'honnête et reflétant qui je suis. C'est vrai que mes chansons arborent différents styles, mais cela n'a rien d'étonnant puisque je suis moi-même descendante de Maoris et Pakeha (Européens de Nouvelle-Zélande). Je crois que cela s'entend dans cet album...
Etes-vous satisfaite de l'accueil jusqu'ici réservé à cet album ?
Les retours sont en effet plutôt bons. J'étais notamment ravie d'obtenir des réactions positives des gens de Christchurch, qui étaient au coeur de mes pensées au moment où j'enregistrais l'album. Dix mois après le séïsme, j'ai déménagé à Wellington (la capitale néo-zélandaise, ndr) pour un nouveau boulot : je travaille à présent aux Archives maories au sein de la bibliothèque Alexander-Turnbull. Le nom de l'album, "From dust to light" ("De la poussière à la lumière", ndt), est une allusion à cette poussière jaillissant du coeur de la ville de Christchurch après l'effondrement des immeubles. La lumière fait référence à l'espoir et à la reconstruction de cette ville.
Avez-vous d'autres projets pour le reste de l'année ?
Au mois de mars, je me rendrai à la pointe de l'île du Sud pour jouer dans le cadre d'un showcase sur les instruments maoris. Je participerai aussi au festival international de jazz et blues de Christchurch au mois d'avril. Parallèlement, je commence à travailler sur un nouveau spectacle basé sur la voix et les instruments maoris, "taonga puoro". A l'invitation de Toi Maori, j'ai récemment participé à un échange entre musiciens indigènes de Nouvelle-Zélande et d'Australie, "Te Hononga MoeMoea". J'ai trouvé cette expérience extrêmement stimulante et j'espère bien que cela donnera lieu à d'autres collaborations, voire à des tournées en commun.
J'ai entendu que vous seriez de passage en France cette année... A quelle occasion ?
Je serai en effet en Moselle au mois de mai, pour chanter dans les jardins de Laquenexy, où ils édifient un jardin maori permanent. Je donnerai quelques concerts à cette occasion. J'aimerais, pourquoi pas, jouer dans d'autres régions dans la foulée, en mai et début juin. Je suis ouverte à toutes propositions...
LIENS SYMPA :
Le site officiel de la formation Emerald and Greenstone
Le site officiel de l'artiste
Le site MySpace
La page d'Ariana Tikao sur le site Maori Arts New Zealand
Page dédiée sur le site néo-zélandais Native Tongue
Ariana Tikao sur Facebook
LA DISCOGRAPHIE D'ARIANA TIKAO
En solo :
Pour écouter et commander la musique d'Ariana Tikao (CD ou MP3) : la page de l'artiste sur le site néo-zélandais Amplifier