9 avril 1552/Mort de François Rabelais

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 9 avril 1552 meurt à Paris François Rabelais.


  Médecin à l’Hôtel-Dieu de Pont-du-Rhône (Lyon), l’humaniste François Rabelais est l’auteur d’une œuvre considérable. Sous le pseudonyme de Maître Alcofribas Nasier, son anagramme, François Rabelais publie sa première œuvre, Pantagruel, à Lyon, chez Claude Nourry en 1532, lors des foires de novembre. Les Horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes, sont suivies en 1533 de la Pantagruéline Prognostication et d’un premier Almanach. Vient ensuite Gargantua (1534 ou 1535). Puis Le Tiers-Livre, édité à Paris en 1546, Le Quart-Livre, édité en 1548 à Lyon pour les premiers chapitres, en 1552 à Paris en œuvre complète et enfin, en 1564, Le Cinquième livre.



Le Quart Livre

COMMENT ENTRE LES PAROLLES GELÉES PANTAGRUEL TROUVA DES MOTZ DE GUEULE

Chapitre LVI


Le pillot feist réponce :
   « Seigneur, de rien ne vous effrayez ! Icy est le confn de la mer glaciale, sus laquelle feut, au commencemnt de l’hyver passé, grosse et félonne bataille entre les Arismapiens et les Néphélibates. Lors gelèrent en l’air les parolles et crys des hommes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, des hannissements des chevaulx et tout aultre effroy de combat. A ceste heure, la rigueur de l’hyver passée, advenente la sérénité et tempérie de bon temps, elles fondent et sont ouyes.
  ― Par Deiu ! (dist Panurge) je l’en croy ! Mais en pourrions-nous veoir quelqu’une ? Me soubvient avoir leu que l’orée de la montaigne en laquelle Moses receut la loy des Juifz, le peuple voyait les voix sensiblement.
  ― Tenez, tenez ! (dist Pantagruel) voyez-en cy qui encores ne sont dégelées. »
Lors nous jeta sus le tillac plenes mains de parolles gelées, et semblaient dragées, perlées de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz dorés. Lesquelz, estre quelque peu eschaufféz entre nos mains, fondoient comme neiges, et les oyons réalement, mais ne les entendions, car c’estoit languaige barbare. Exceptez un assez grosset, lequel ayant frère Jan eschauffé entre ses mains, feist un son tel que font les chastaignes jectées en la braze sans estre entommées lorsque s’esclattant, et nous feist tous de paour tressaillir.
  « C’estoit ( dist frère Jan), un coup de faulcon en son temps. »
  Panurge requist Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.
« Vendez-m’nen doncques ! disoit Panurge.
   C’est acte de advocatz (respondit Pantagruel), vendre parolles. Je vous vendroys plustost silence et plus chèrement, ainsi que quelquefoys la vendit Démosthènes, moyennant son argentangine. »
   Ce nonobstant, il en jecta sus le tillac troys ou quatre poignées. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes (lesquelles le pillot nous disoit quelquesfoys retourner on lieu duquel estoient proférées, mais c’estoit la guorge couppée), des parolles horrificques et aultres assez plaisantes à veoir. Lesquelles ensemblement fondues, ouysmes : hin, hin hin, hin, his, ticque, torch, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, on, on, on, on, ououououon, goth, magoth et ne sçay quelz aultres motz barbares ; et disoyt que c’estoient vocables de hourt et hannissement des chevaulx à l’heure qu’on chocque. Puys en ouysmes d’aultres grosses, et rendoient son en dégelant, les une comme des tabours et fifres, les aultres comme de clérons et trompettes. Croyez que nous y eusmez du passetemps beaucoup. Je vouloys quelques motz de gueule mettre en réserve dedans l’huille, comme l’on garde la neige et la glace, et entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le voulut, disant estre follie faire réserve de ce dont jamais l’on n’a faulte et que tousjours on a en main, comme sont motz de gueule entre tous bons et joyeulx Pantagruelistes.
  Là, Panurge fascha quelque peu frère Jan et le feist entrer en resverie, car il le vous print au mot sus l’instant qu’il ne s’en doubtoit mie, et frère Jan menassa de l’en faire repentir en pareille mode que se repentit G. Jousseaulme vendant à son mot le drap au noble Patelin, et, advenent qu’il feust marié, le prendre aux cornes comme un veau, puysqu’il l’avoit prins au mot comme un homme. Panurge luy feist la babou, en signe de dérision. Puys, s’escria, disant :
  « Pleust à Dieu que icy, sans plus avant procéder, j’eusse le mot de la Dive Bouteille ! »

François Rabelais, Le Quart Livre, Œuvres complètes, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1955, pp. 693-694.


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