Son constat de l'état de la France est indéniable, sauf pour les aveugles:
"La France est aux abois au début de 2013. La république de l'envie a institué la médiocrité en mode de gouvernement. Le principe de précaution a mis de grosses lunettes noires sur les yeux de nos inventeurs et de nos entrepreneurs. Le corporatisme et la territorialisation de la république en baronnies, d'autant plus revendicatrices qu'elles sont impuissantes, ont émietté la volonté nationale. Le système productif implose et le chômage gangrène la société. L'explosion haineuse est proche."
Comme François de Closets, il fait la distinction entre "droit de" et "droit à", c'est-à-dire entre droits naturels et droits-créances:
"Le basculement des droits d'être vers les droits "à avoir" [...] a fait entrer dans la médiocrité consentie."
Il inclut dans "les droits de" "les droits d'être éduqués et en bonne santé", mais il ne voit que l'Etat pour les satisfaire:
"Imposer les revenus, en particulier élevés, pour payer les charges communes, notamment celles d'éducation et de santé publiques permettant d'assurer l'égalité des chances est parfaitement légitime."
Cela n'est pas étonnant parce qu'il croit en l'existence d'un contrat social qui lierait individus et Etat. Ce curieux contrat se passerait fort bien du consentement des individus et d'objet précis confié à l'Etat...
C'est pourquoi, de manière tout à fait surréaliste, Christian Saint-Etienne distingue deux grands types de contrat social qui résulteraient des "choix [sic] philosophiques et politiques concernant l'homme et sa nature":
"Le premier type de contrat social suppose le déterminisme de l'homme et donc l'égalité de résultats, le second type associe libre arbitre et égalité des chances."
Or la France aurait choisi le premier type de contrat depuis des décennies avec ce résultat mirobolant:
"Une part croissante de nos jeunes talents quittent le territoire depuis le milieu des années 1990, tandis que nous attirons des personnes peu qualifiées qui viennent pour bénéficier d'un contrat social résidentiel sans contrepartie."
Christian Saint-Etienne constate également qu'ayant fait ce choix de contrat social la France a raté le train du nouveau système technique qui s'est mis en place depuis trois décennies et qui est "le fruit de l'essor de l'économie de l'informatique et d'Internet et de l'économie entrepreneuriale de l'innovation." (il l'appelle "iconomie entrepreneuriale"):
"Notre seule perspective collective est une consommation de produits importés payés par une dépense publique à crédit."
Et un partage du travail, c'est-à-dire un partage des miettes qui restent, mais plus pour longtemps.
Pour que la France se réindustrialise, Christian Saint-Etienne est favorable à une solidarité conditionnelle - il faut sauver le modèle social avant qu'il ne meurt en ne redistribuant que sous conditions -, à une compétition régulée - la liberté d'entreprendre? un poco ma non troppo -, à une volonté d'excellence qui se traduit par l'optimisation de l'entrepreneuriat, du financement, de la fiscalité, autrement dit à une ouverture d'esprit et à une "collaboration confiante entre acteurs privés et publics":
"Comme on est loin de la France du nouveau quinquennat célébrant la "finance sans visage", les entrepreneurs "menteurs" qui doivent être "cadrés" par la puissance publique, les "riches" qui doivent dégorger une richesse mal acquise, le progrès qui est devenu un risque."
Alors il faut transférer la charge des impôts des entreprises vers les individus:
"Il faut [...] provoquer un choc de compétitivité immédiat par la baisse des charges grâce à la CSG sociale et à la TVA emploi, au moment même où nous devons produire un effort majeur de réduction des déficits publics."
Quand on compare les mérites d'une baisse de la dépense publique et des hausses d'impôts pour réduire les déficits, il ressort que:
"Les corrections budgétaires résultant d'une baisse des dépenses publiques conduisent à des baisses plus faibles du revenu national que celle dues à une hausse des impôts, sauf dans la phase baissière d'un cycle de conjoncture où la correction doit avoir l'impact le plus faible possible sur la demande. Mais même dans ce dernier cas, il convient de supprimer d'abord les gaspillages de dépense publique."
Comme les entrepreneurs ne sont pas assez grands pour réindustrialiser tous seuls le pays - "Nous appellerons dorénavant industrie, toute activité de production de biens et services exportables à base de processus normés et informatisés" -, l'Etat doit compléter leur management micro par son management macro:
"Il faut renforcer la capacité d'action à long terme de l'Etat dans le cadre d'un plan d'action national élaboré avec les forces vives du pays."
L'Etat, baptisé de stratège, est, selon Christian Saint-Etienne, un des trois éléments clés de la reconstruction du pays avec
"des métropoles puissantes et des régions responsables du maillage du territoire par un puissant réseau de PME et d'ETI [entreprises de taille intermédiaire,
de 250 à 5000 personnes]."
Comme tout bon étatiste qui se respecte, il faut tout de même faire payer les riches, mais il ne faut ne pas les matraquer parce
qu'on en a besoin pour redistribuer:
"Seul l'impôt proportionnel au revenu [CGS] peut assurer un financement sain de la dépense publique. Il doit être complété par un impôt progressif [IPR: tranches de 0% jusqu'à 7'500 €, de 15% jusqu'à 60'000 €, de 35% au-delà et, provisoirement, de 45% au-delà de 150'000 €] dont le but sera d'assurer une redistribution permettant de contenir les écarts de revenu et de patrimoine entre citoyens."
Evidemment Christian Saint-Etienne évoque la sortie de crise de l'euro. Pour lui il y a deux solutions rationnelles, qui sont toutes deux aussi constructivistes l'une que l'autre:
"Soit la création d'une fédération économique de pays quittant ensemble la zone euro, soit une division en deux de la zone."
Je laisse le lecteur intéressé par ce genre de constructions le soin de se reporter au livre...
Il me semble plus intéressant de souligner le postulat idéologique sur lequel repose l'étatisme intermédiaire de Christian
Saint-Etienne, qui reste un étatisme:
"La société de confiance est construite par la délibération collective en s'appuyant sur le postulat que l'individu reste fondamentalement libre, et non pas totalement prédéterminé, il est à la fois responsable de ses décisions et impliqué dans le processus de délibération collective. Il est ensuite coresponsable des décisions délibérées prises collectivement."
C'est beau, c'est grand, c'est magnifique, mais c'est parfaitement utopique, inefficace et contraignant...
Francis Richard
France: état d'urgence - Une stratégie pour demain, Christian Saint-Etienne, 208 pages, Odile Jacob