La vente des livres en librairies : Une réalité souvent difficile…

Par Dedicaces @Dedicaces

La plupart des auteurs rêvent que leurs livres se retrouvent en bonne place sur les étagères des librairies. Certains d’entre eux croient même que leurs oeuvres se retrouveront dans les librairies et ce, même après plusieurs mois après leur publication. Ce rêve est bien légitime, mais la réalité est souvent toute autre ! En effet, trois questions ont énormément d’importance dans le fonctionnement de l’industrie canadienne du livre : les invendus, les délais de paiement et les publicités à frais partagés.

À la différence de la pratique commerciale dans de nombreux secteurs de la vente au détail, tous les ouvrages vendus par le circuit des librairies traditionnelles peuvent être retournés. En effet, les libraires peuvent retourner les livres aux distributeurs ou aux éditeurs s’ils ne sont pas en mesure de les vendre. L’origine de cette pratique remonte aux années 1950 et a été motivée par la concurrence intense et par une entente entre les libraires et les éditeurs afin de partager les risques de l’entreprise.

Nathalie Ferraris écrit dans le magazine Lurelu : « Les libraires, qui voient arriver à chaque semaine et par centaines les livres d’ici et d’ailleurs dans leurs magasins, doivent rapidement en retourner une bonne quantité chez les distributeurs pour céder la place aux suivants ». Stéphanie Durand, chez Québec Amérique, et Sylvia De Angelis, chez Pierre Tisseyre, se désolent face à cette situation : « Actuellement, la durée de vie du livre en magasin est très courte. Au bout d’un mois seulement, certains libraires retournent les nouveautés ».

Publicités à frais partagés

Un autre aspect de la pratique commerciale, la question des publicités à frais partagés, est devenu plus pertinent, ces dernières années. Le concept coopératif est bien établi au sein de nombreuses industries et désigne un budget qu’un vendeur (dans le contexte du livre, un éditeur ou un distributeur) met à la disposition d’un détaillant pour subventionner un programme de promotion particulier conçu pour soutenir les produits du détaillant et du vendeur. Dans le contexte d’une relation éditeur-détaillant, les publicités à frais partagés pourraient aller d’un événement promotionnel en magasin, à une publicité dans un journal, en passant par une présentation en vitrine et une lettre de publicité destinée aux consommateurs.

Comme l’expression l’indique, « la publicité à frais partagés » est en quelque sorte une initiative conjointe du vendeur et du détaillant et souvent, une initiative où chacun partagera les coûts en jeu grâce à une combinaison d’apports en argent et de contributions en nature. De plus en plus, cependant, l’expression est employée pour qualifier les frais de placement qu’un détaillant reçoit pour maintenir une place de premier choix en librairie pour le titre ou les titres de l’éditeur, par exemple, un présentoir, un mur dédié à la présentation d’un titre ou un étalage aux caisses de sortie. Même s’il s’agit d’une pratique courante dans de nombreux secteurs de la vente au détail, ces frais de placement étaient inconnus auparavant dans le secteur de l’industrie du livre. Depuis dix ans, on a de plus en plus recours à cette pratique, particulièrement parmi les gros détaillants.

Stéphanie Durand explique : « Si on veut que les libraires mettent nos livres en vedette, ça coûte cher. Par exemple, il faut débourser 1200 $ pour inscrire un livre au Club de lecture Archambault. Nous payons le gros prix pour annoncer nos livres dans les catalogues des libraires, mais nos publications ne se retrouvent pas à l’entrée des magasins ». Pour sa part, Angèle Delaunois est révoltée face aux coûts des publicités : « Aucun petit éditeur n’est capable de débourser 3500 $ pour annoncer ses livres dans un quart de page du catalogue Noël d’Archambault ». Les succès de librairie à rabais mis de l’avant se vendront en grand nombre. À l’inverse, les livres qui ne sont pas mis de l’avant de cette façon resteront sur les tablettes ou ne seront tout simplement pas offerts en librairie.

Disponibilité des ouvrages en librairies

Dans un contexte où les ventes sont de plus en plus concentrées, la question de la disponibilité des ouvrages d’auteurs canadiens se pose tout naturellement. Cette disponibilité est difficile à mesurer de façon globale, en partie parce qu’il y a plusieurs aspects à la question de la disponibilité. Au niveau le plus élémentaire, la sortie des titres, dont nous avons déjà parlé, est un de ces aspects. Cependant, il y a aussi la question de la sélection des stocks qui détermine si un livre est retenu pour être vendu dans un point de vente au détail et en quelle quantité. Enfin, il y a la mesure dans laquelle un titre retenu dans un stock sera visible aux consommateurs dans la librairie (à savoir, son placement dans le magasin et la façon dont il est présenté ou commercialisé).

En ce sens, on peut imaginer un continuum de disponibilité. Même si un ouvrage est publié, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il sera facilement accessible aux consommateurs. En outre, même si un titre est tenu en stock, cela ne signifie pas qu’il sera largement distribué dans une chaîne de détaillants, qu’il sera offert en grande quantité ou qu’il sera facilement visible aux consommateurs qui parcourent les étalages. « Les distributeurs avouent que la vente des livres est en chute libre, et plusieurs maisons d’édition ont de la difficulté à joindre les deux bouts. Le livre se porte à ce point mal que même la chaîne Zeller’s a suspendu en automne 2011 l’entrée de nouveautés dans ses magasins afin de liquider les livres déjà présents sur les tablettes » (Nathalie Ferraris, Lurelu).

Distribution des ventes à la caisse d’une librairie

Mais, à ces faits déjà établis, s’ajoute une autre réalité pour les éditeurs qui souhaitent vendre leurs ouvrages dans les librairies traditionnelles. Les livres sont vendus aux grossistes et aux détaillants à un « rabais de gros » du prix de catalogue, ce qui représente effectivement la marge qu’un grossiste ou qu’un détaillant touche sur chaque exemplaire vendu. Par exemple, si un éditeur vend un livre à un prix de catalogue de 20 $, à un rabais de 50 p. 100, l’éditeur recevra 10 $ pour le livre et le détaillant réalisera une marge de 10 $, en supposant que le livre est vendu au plein prix de catalogue (Patrimoine canadien). L’exemple suivant illustre une ventilation type du prix de catalogue d’un livre, à la lumière des renseignements fournis par une petite maison d’édition littéraire du Canada, ce qui correspond à la distribution d’un dollar reçu à la caisse d’une librairie pour le livre d’un éditeur :

  • 0,48 $ au détaillant
  • 0,10 $ à l’auteur (pour les droits)
  • 0,10 $ au représentant de commerce (pour la commission pour la vente)
  • 0,15 $ pour la gestion des commandes (frais de distribution au distributeur ou remboursement des frais à un éditeur assurant lui-même sa distribution)
  • 0,08 $ pour les coûts de production du livre imprimé (papier, impression et reliure)
  • 0,09 $ à l’éditeur (pour l’administration, le marketing, le contenu rédactionnel et la production prépresse).

La question des invendus est associée à une autre pratique commerciale dans l’industrie du livre : les comptes fournisseurs. En partie en raison de la pratique établie des invendus, la plupart des éditeurs acceptent un délai de paiement de 90 à 120 jours pour les comptes débiteurs des librairies. Il s’agit d’une longue période, comparativement à de nombreuses autres industries et d’une période pendant laquelle l’éditeur est responsable de prendre en charge tous les besoins de trésorerie liés au contenu rédactionnel, à la conception, à la production et au marketing. Si le détaillant est lui-même financièrement serré, ce délai de paiement peut s’étendre au-delà du cap des 120 jours où l’éditeur peut recevoir un envoi d’invendus, plutôt qu’un paiement de facture, afin de diminuer les comptes fournisseurs pour la période en cours.

En un mot, c’est souvent l’éditeur qui fait les frais de l’ensemble de la chaîne du livre, du moins au Canada et au Québec. Selon nous, il n’est pas normal que l’éditeur et l’auteur se retrouvent tout deux au bas de l’échelle, puisque c’est grâce à eux que le livre existe. Ne faudrait-il pas revoir de fond en comble le fonctionnement de l’industrie du livre pour qu’il en ressorte une revitalisation de cette économie chancelante ? Nous le croyons.

Bien sûr, nous pouvons continuer à rêver, mais il nous faut aussi être capable de regarder cette dure réalité qui est souvent cruelle… et en être conscients

SOURCES :

  • Magazine Lurelu, hiver 2012, par Nathalie Ferraris, pp 5-6.
  • Patrimoine canadien, La vente au détail traditionnelle du livre.
  • Investir dans l’avenir des livres canadiens : Examen de la Politique révisée sur les investissements étrangers dans l’édition et la distribution du livre (Patrimoine canadien)
  • La diffusion et la distribution du livre de langue française au Canada (Patrimoine canadien)
  • Le secteur de la vente de livre au détail au Canada (Patrimoine canadien)

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