Miscellanées # 2
“Il n'existe que deux sortes de musique : la bonne et la mauvaise.” Derrière cette sentence definitive du Duke se cache une galéjade. Parce qu’évidemment les choses
ne sont pas si simples. Question musique, la raison n'est pas la chose la mieux partagée du monde. Et c'est ce qui fait le sel des confrontations de goûts. On a beau publier des anthologies, des
tops 5, 10, 30, 50 sur tout et n'importe quoi, écrire des chroniques ou les consulter, affiner une définition valable de la bonne musique, le sujet nous échappe toujours. Il suffit de rencontrer
sur le parcours un fan hystérique des B.B Brunes, un inconditionnel de techno allemande, un autiste de la new wave, un "moi j'écoute de tout", un "moi je n'écoute que ça" pour se rendre
compte que tout n'est pas si aussi simple que la formule d'Ellington. La musique écoutée, adoptée, revendiquée se transforme souvent en alter-ego identitaire. Le fameux dis-moi ce que tu écoutes
et je te dirai qui tu es. Et à ce petit jeu, on peut y laisser des plumes. Tout dépend de qui vous fréquentez et de ce que vous écoutez.
Donc top 5 des pièges à éviter dans la quête honorable d'aimer la musique pour ce qu'elle est :
1) L'ami no-life Facebook qu'on ne connait pas forcément (c'est à dire en vrai). Celui qui poste au minimum dix liens par jour. Au début on l'a trouvé sympa. Cette culture, cet amour de la musique. On a même découvert plein d'artistes injustement ignorés grâce à lui. Et puis au fur et à mesure, on n'arrive plus à suivre : en politique ça s'appelle la méthode Sarkozy, un sujet chassant l'autre. Avec sa part d'exclusion radicale sans toujours savoir pourquoi. Alors on se demande quel est son disque de chevet, à quel moment il prend le temps de faire pause. Parce que quand on y réfléchit bien, tout ça ressemble à un appel au secours : je veux qu'on m'aime, je suis présent perpétuellement, mais à quoi bon ? Si l'on menait une enquête sérieuse, on se rendrait compte que sa proposition pléthorique est écoutée une fois sur cent. C'est peut-être dommage mais c'est comme ça : la plupart du temps on ne peut pas ingurgiter amoureusement plus d'un ou deux titres par jour. Le reste n'est qu'une affaire d'ostentation. Mais au moins, de temps en temps, on a envie de lui dire merci.
2) L'inverse du cas précédent. Lui, c'est le taiseux qui ne gaspille pas sa salive ni ses références. Pour lui décrocher un conseil musical, faut se lever de bonne heure. On peut lui reconnaître un certain sens du suspens, de l'essentiel. On peut se dire que quand il se décide à sortir de sa caverne pour nous éclairer, la proposition a longtemps été réfléchie, mesurée, soupesée. Il viendra nous révéler le nouveau génie musical du XXIème siècle. Sauf que parfois, sa névrose le condamne à la péremption. Hier, un de leurs représentants m'a glissé en secret sous le manteau le premier album de Dj Shadow. Bon. Comment lui dire ?
3) Celui qui en est. Le musicien, le programmateur, le producteur, le chargé de com', le journaliste. Tout ce joli monde a pour point commun de défendre, souvent sincèrement, un artiste, un label, un genre. Que voulez-vous c'est la crise. Vous pourrez toujours vouloir discuter de la qualité d'un album de Woodkid, de la pertinence du dernier Granville, de l'originalité du nouveau Villagers, Yo la Tengo ou Tame Impala, parfois dans la même conversation, vous reconnaitrez celui qui en est à la potentielle élasticité de son visage : sourire et pupille ouverte quand on évoque en bien son domaine, regard ailleurs et figure sombre dès que l'on parle d'un artiste qui joue à l'extérieur.
4) N'ignorons pas cependant celui qui ne prétend rien. Vous passez à la cool un week-end chez un ami, adepte d'escalade et de scrap booking quand tout à coup, au hasard d'une conversation hasardeuse, il souhaite vous faire écouter ce qui selon lui a changé musicalement sa vie. Possible crispation. Volonté de respecter malgré tout. Si c'est Stone et Charden, reconsidérez votre relation. Si c'est Vangelis, bottez en touche, tout dépend du morceau. Si c'est Orelsan insultez-le. Pour le reste, il y a de grandes chances qu'il vous ramène à l'essentiel : Bob Dylan, Marvin Gaye, Radiohead. Profitez alors.
5) Ultime et dernier piège à éviter : vous-même. Si jamais vous décidez un jour d'entrer dans le monde complexe des mélomanes, vous subirez une tension permanente : ce que j'aime, ce que je serais censé aimer, selon les quatre catégories précédentes. Mais là je ne pourrai pas vous aider. Selon les moments, j'appartiens moi aussi à l'une ou l'autre catégorie.
Pour finir, petit test de tolérance musicologique : dix morceaux issus d'univers différents. Si vous en aimez plus de cinq sur dix, vous êtes officiellement et
musicalement souples et ouverts. Enfin je crois.