"Furioso" de Carin Bartosch Edström

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
L’histoire des pays nordiques et les polars se résume en un mot : Millénium. Selon le décompte du site http://www.stieglarsson.se/, 63 millions d’exemplaires de la saga se seraient ainsi vendus depuis sa sortie, entre 2005 et 2007. On a eu droit au film, à la série et au remake US, signe de reconnaissance s’il en est, et le temps de se poser plein de questions sur le personnage de Lisbeth Salander. De nombreux ouvrages rouges et noirs écrits par des auteurs en « son » sont donc venus peupler les rayonnages polars de nos chères enseignes. La bataille continue de faire rage contre les poids lourds américains du secteur qui rivalisent de couverture en 3D et bas de page accrocheurs pour attirer le client. Même si nous critiquons de temps à autres des auteurs scandinaves, nous sommes finalement passés un peu à côté du phénomène. La maison JC Lattès ayant eu la gentillesse de nous offrir le dernier ouvrage de Carin Bartosch Edström, l’occasion était trop belle de nous faire notre propre opinion…
L’avis de JB :
Sur un air de violon 
C’est en octobre 2012 que parait « Furioso », le même mois que « 50 nuances de Grey » dont nous aurons l’occasion de reparler très bientôt. Eviter de googler « Furioso » trop vite, la première correspondance parle en effet de « race de cheval de selle hongroise originaire du haras de Mezőhegyes ». Quelques perspicaces recherches plus tard, Wikipédia nous apprend que « Orlando Furioso, ou Roland furieux est un poème épique de 46 chants, écrit par Ludovico Ariosto, dit en français l'Arioste; écrit au début du XVIe siècle (le Cinquecento italien), il est publié en 1516, puis, avec variations, en 1521 et 1532 », et que Vivaldi s’en inspira pour son opéra du même nom. A moins qu’il ne s’agisse de la traduction littérale italienne de furieux, mon habile travail d’investigation tombant alors complètement à plat. On peut cependant en douter en lisant la biographie de l’auteur « Née en 1965, Carin Bartosch Edström a grandi à Rome et à Lund. Après avoir étudié la musique, elle est devenue directrice d'orchestre. Elle compose des opéras ainsi que de la musique de chambre, et a par ailleurs traduit des opéras italiens. », et en découvrant assez rapidement la place centrale de la musique classique dans l’ouvrage.
Caroline, Anna, Helena et Louise doivent enregistrer le dernier Quatuor à cordes de Stenhammar. Mais cette dernière se blesse et décide alors de faire appel à un talentueux ami de longue date pour la remplacer. Au large de Stockholm, sur un îlot battu par les vents, l’enregistrement débute. Quelques jours plus tard, elles retrouvent Raoul Liebeskind mort sur une des berges en plein milieu de la nuit, une large blessure à la tête. Secret de famille, trahison, vengeance, toutes semblent avoir eu une bonne raison de faire disparaitre le beau violoniste. Le commissaire Ebba Schröder est alors chargé d’élucider le mystère et de retrouver la, ou les, coupable(s)…
Volumineux ouvrage de près de 600 pages, « Furioso » est assez distinctement découpé en deux larges parties. La première présente les personnages, leurs relations et se poursuit sur l’île jusqu’à la mort de Raoul, la deuxième marque le début de l’enquête jusqu’à la résolution de celle-ci. Peu de personnages mais bien travaillés, un lieu unique aux contours pittoresque et une enquêtrice chevronnée, les éléments du polar sous fond de huit clos psychologique sont réunis.
Un polar intéressant qui oublie parfois la partition
Au rayon défaut, difficile de ne pas parler de la relative longueur de l’ouvrage. J’ai un peu l’impression que ces 600 pages ne se justifient pas forcément et que la moitié aurait largement suffit. Le premier vient à mon sens d’avoir pris 300 pages pour décrire les personnages, poser le décor et lancer de trop nombreuses pistes. Résultat on a envie de savoir qui a tué Raoul, mais on a du mal à se dégager des coupables potentiels successifs. Les interrogatoires se succèdent, un petit élément apparait et rebelote. On arrive un peu confus et fatigué à la conclusion qui, même intéressante, n’est pas amenée dans de bonnes conditions. Le récit manque, à mon sens, un peu de peps et de rebondissements, sans doute également parce que l’auteur a voulu trop tirer sur la corde du huit clos psychologique, posture difficile à tenir sur une telle longueur. L’auteur a également tendance à intervenir dans le récit, donner son avis ou faire un peu d’explication de texte ce qui est parfois peu à propos ou clivant :
« Kjell se contenta de répondre avec un soupir, à la manière des habitants du Norrland »

« Mais c’était souvent ce à quoi les femmes habituées à se maquiller excessivement ressemblaient, au naturel. Des êtres palots et maladifs. »

« Ebba considéra Louise un moment. Elle espérait qu’elle allait dévoiler son vrai visage. Mais Louise avait des nerfs d’acier ».
Un petit regret également sur le personnage de Ebba, commissaire chargé de l’enquête. L’auteur en a fait un peu un archétype de la femme affirmée, indépendante, bosseuse, juste blindée ce qu’il faut par la mort de son mari, soit. Pas forcément importun cependant d’humaniser le personnage via quelques minauderies sur Raoul Likesbind ou avec Pontus. On sent que l’auteur s’est fait quelques petits plaisirs égoïstes et autobiographiques, et il n’y a pas de mal à ça. Ils sont justes un peu trop voyants dans « Furioso ».
A l’inverse, certains personnages sont plutôt bien réussis, je pense par exemple à Caroline en femme fatale à fleur de peau, ou Peder en aristocrate rustre. La relation Raoul-Caroline est bien retranscrite, et on s’imagine facilement la tension émotionnelle dégagée. Et puis il y a Louise, qui est sans doute le personnage de l’ouvrage, un peu trop dans le cliché homosexuelle-guindée-aristo-musique classique mais sans pour autant perdre de l’épaisseur. C’est son combat platonique contre Ebba qui est la colonne vertébrale de toute la deuxième partie du récit. Les descriptions de l’ile, notamment pendant la première partie de l’ouvrage, sont intéressantes. On aurait également tort de penser que la musique classique imbibe lourdement le récit. Le dosage est bon, et on en redemanderait presque. Quant à la lecture, elle ne pose pas de problème particulier, l’ensemble se lisant très facilement.
A lire ou pas ?
« Furioso » est un honnête polar qui souffre cependant de quelques longueurs et de choix d’écriture hésitants. Il est cependant facile d’accès et plutôt prenant dès lors que l’on est au fait de ces quelques défauts. A conseiller en priorité aux amateurs du genre, à revoir pour les autres si second roman il y a, dans un format plus incisif.
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