Le 14 avril 1930 Vladimir Vladimirovitch Maïakovski se tire une balle dans la tête, il n’a pas encore 37 ans. Figure mythique de la littérature russe, il traverse ce début du XXème siècle tel un météore, imprimant sa fulgurance, tout en feu, ardent et dense, il fait, à la manière de Rimbaud, acte de littérature. Son nom est lié à la révolution russe à laquelle il se livra corps et âme jusqu’à y sacrifier sa vie. On ne lit pas Maïakovski…on entre en poésie avec lui. Poète, il le sera toute sa courte vie et en raison de cela, il sera aussi dramaturge, acteur, théoricien, peintre et affichiste.
C’est à Bagdadi (Géorgie) qu’il fait son atterrissage sur terre le 7 juillet 1893. Il aura sept ans quand naîtra le vingtième siècle, dans une société russe encore marquée par un monde paysan sous le joug d’une monarchie écrasante. La mort de son père, alors qu’il est encore très jeune, réduit sa famille à la misère. Celle-ci s’installe à Moscou en 1906. Précoce, c’est un adolescent visionnaire et illuminé par sa perception et sa sensibilité au monde, c’est à 15 ans qu’il rejoint le Parti social démocrate et adhère aux thèses de sa fraction dite Bolchévique. Il est dés lors un héros au sens romantique du terme, participant aux manifestations de 1905. Il incarne la révolution russe, séjourne plusieurs fois dans les geôles du tsar. Dans le même mouvement, il découvre la poésie et commence à écrire en prison à Boutyrskaïa en 1909, il a 16 ans.
Son nom est lié à la révolution russe, à cette période où cet immense empire va connaitre de terribles séismes : la défaite contre les japonais en 1904-1905 qui humilia profondément le peuple russe. Puis s’enchainent les événements dont la mutinerie du cuirassé Potemkine, les émeutes et la fusillade des ouvriers à saint Petersbourg, la grève à Moscou et l’empire qui écrase puissamment la révolte ouvrière. Ce n’est que le prélude d’un mouvement plus ample : la révolution réussie de 1917 avec la suprématie absolue des Soviets.
Maïakovski traverse ces événement en y prenant part, c’est toute la société russe qui se déchire et se cherche, politique et littérature sont en chasse d’idéal côte à côte.
Il rejoint l’Ecole de peinture, sculpture et architecture de Moscou en 1911.Et commence son œuvre de dramaturge par une pièce de théâtre intitulé Vladimir Maïakovski. Tout l’intéresse la révolution et la poésie qu’il lie intimement, trop sans doute…mais il crée aussi une revue et dessine des affiches pour une agence télégraphique. Il sort beaucoup, boit beaucoup et fréquente les grands noms de la littérature russe : Khlebnikov, dont il sera le compagnon de route et Pasternak qui sera le grand frère.
C’est en 1910 que Khlebnikov écrit le recueil de poésies Le Jardin des juges qui sera à l’origine du mouvement Futuriste, que rejoint Maïakovski. Il s’y engage pleinement et devient l’un de ses principaux leaders. C’est à eux deux que l’on doit l’invention du mot « futuriste », Maïakovski qui l’introduit le 24 février 1913 dans un débat sur l’art contemporain et Khlebnikov par le néologisme slave de boudtelianine, l’homme de l’avenir.
Il va révolutionner les codes mêmes de la poésie en écrivant La flûte en colonne vertébrale (1915), authentique manifeste du futurisme russe. Ce mouvement né en Italie au début du siècle s’oppose aux traditions esthétiques traditionnelles et s’inscrit dans le modernisme naissant en exaltant le monde urbain, la vitesse et les machines. Ce livre de poésies est aussi inspiré par sa relation à Lili Brik, la sœur d’Elsa Triolet. Ils forment le triptyque classique avec le mari Ossip Brik écrivain russe qui lui fera connaitre le monde avant-gardiste russe.
Lili sera sa muse et son mari Ossip, son ami et éditeur. Rejoint par Serge Tretiakov ils créeront ensemble le journal LEF (Levyi Front Iskusstv –Front de Gauche des Arts, en français) qui inspirera toute une génération d’artistes d’avant-gardes : l’écrivain Nikolai Aseev, Le cinéaste Eisenstein, le metteur en scène Meyerhold…
Il sera aussi l’amant d’Elsa Kagan connue en France sous le nom d’Elsa Triolet.
Après avoir participé activement à la révolution d’Octobre en 1917, il se met au service de Lénine auquel il dédie l’un de ses plus beaux poèmes Lénine. Il écrit sur la révolution, en particulier une pièce Mystère-Bouffe dans laquelle sa manière satirique et épique de parler la révolution commence à lui attirer des ennuis. C’est le début d’un conflit incessant avec les instances du parti qui le mine et le déprime, alors qu’il parcourt le monde comme ambassadeur de la révolution russe à Londres et à Paris. Il devient immensément célèbre avec sa voix de tribun déclamant des poèmes, il réunit à Moscou des foules immenses de plusieurs dizaines de milliers de russes sensibles à son charme, sa voix et sa capacité quasi mystique à tirer l’âme slave vers son propos et sa sensibilité. Il incarne la révolution d’octobre et fait de l’agitprop, il écrit et met en image ce que l’on appellerait aujourd’hui des posters à la gloire des révolutionnaires.
Il invente en marchant et va de meeting en meeting où la poésie répond en écho à la politique… il marche sur les mots littéralement comme le christ marchait sur l’eau. Il est le Messie des temps nouveaux. Son physique le sert, il est grand, solide et intense en intériorité. Sa voix résonne encore aujourd’hui puissante et incantatoire, il est dans ces moments là l’un d’entre eux, eux les ouvriers et les paysans de la révolution d’octobre. Il sait être à la fois humble et puissant pour rugir sa poésie en écho à l’ombre tutélaire de l’immense Russie dont les plaines, infinies s’évadent aux confins du monde.
Il est celui qui interroge le monde.
Il entre dans un mouvement incessant de ruptures et de réconciliations avec Lili, même chose avec les instances du parti, dont il vit très mal le conformisme. En 1924, c’est la rupture définitive avec Lilli. Il part aux Etats-Unis pour une série de conférence et rencontre à New York une jeune émigrée russe Elly Jones, dont il aura une fille Patricia Jones Thompson.
Il poursuit une vie sentimentale compliquée, il s’y use…Sa dernière compagne Veronika Polonskaïa assistera à ses ultimes moments, impuissante à contrer les sentiments de Maïakovski qui va de désillusions en désillusions sentimentales, mais surtout politiques. Les bolchéviks ne lui font aucun cadeau. Il voit la révolution, sa révolution sombrer dans une dictature infaillible et inhumaine.
Le 14 avril 1930, à 10h15, dit l’horloge impuissante à sauver les poètes, il se tire une balle en plein cœur, lui qui appelait la jeunesse à vivre à la mort de Sergueï Essenine le 28 décembre 1925, suicidé par désespoir et qui se pend dans la chambre n°5 de l’Hôtel d’Angleterre à Leningrad, après avoir laissé un dernier poème écrit avec son sang.
C’est dans cette atmosphère de passions et de ruines que le poète Maïakovski reprit sa vie. Deux jours auparavant, il avait écrit et anticipé « son départ » :
« Le canot de l’amour s’est fracassé contre la vie (courante). Comme on dit, l’incident est clos. Avec vous, nous sommes quittes. N’accusez personne de ma mort. Le défunt a horreur des cancans. Au diable les douleurs, les angoisses et les torts réciproques ! … Soyez Heureux ! ».
Ses funérailles furent nationales à la demande de Staline. Pas sûr que Maïakovski eut apprécié. D’autant plus que sa place de poète de la révolution fut mainte fois supprimée, puis rétablie, puis de nouveau supprimée…
Mais on ne se joue pas des poètes, il reste indéfectiblement au firmament du cénacle des poètes.
Ce n’est pas le cercueil débordant d’étoffes rouges, et le fleuve de fleurs, la foule qui se presse qui changeront quoique ce soit à ce divorce profond entre le poète et sa révolution d’Octobre. Faucille et marteau lui seront tombés des mains, alors que s’envolait le drapeau rouge au fin fond de l’horizon…la solitude et la trahison seront ses seules oraisons.
Il a réinventé la langue russe, il a combattu vaillamment l’injustice et la tyrannie, il a donné à la rue sa place parmi les mots épars, il a tenté d’inventer la vie. Celle-ci, mauvaise fille, l’a poursuivit, le harcelant sans cesse, Volodia son petit nom, erre dans nos mémoires, porté par une marée de drapeaux rouges. Véritable légende, il habite les esprits inquiets et curieux, auquel il ouvre son cœur… dangereusement, mélancoliquement et heureusement !
Si je croyais à l’outre-tombe…
Une promenade est facile.
Il suffit d’allonger le bras, –
la balle aussitôt
dans l’autre vie
tracera un chemin retentissant.
Que puis-je faire
si moi
de toutes mes forces
de tout mon coeur
en cette vie
en cet
univers
ai cru
crois.
Maïakovski, Cela, 1923
Quelques œuvres, entre autres de Maïakovski :
- Poèmes 1913-1917, traduction de Claude Frioux, Editions Messidor, 1984
- Théâtre, traduction de Michel Wassiltchikov, Editions Grasset, 1989
- Le Nuage en pantalon, trad. Wladimir Berelowitch, Mille et une nuits, 1998
- Écoutez si on allume les étoiles…, choix et traduction de Simone Pirez et Francis Combes, préface de Francis Combes, Le Temps des cerises, 2005.