La leçon de lecture des anthropologues. Compte-rendu de Terrains d’écrivains. Littérature et ethnographie

Publié le 14 février 2013 par Antropologia

 Terrains d’écrivains. Littérature et ethnographie, ouvrage collectif dirigé par Alban Bensa et François Pouillon (éditions Anacharsis, Toulouse, 2012), est l’aboutissement des échanges qui se sont tenus au cours de séminaires à l’EHESS : pourquoi et comment de grands écrivains réussissent-ils mieux à dire le monde – « les gens et les choses » -, à être plus convaincants que les anthropologues dans leurs écrits ?  Les anthropologues auraient-ils trop tendance à déréaliser le monde en délaissant le terrain, et en se soumettant à des « codes et langages académiques » contraignants ? D’où le titre de l’introduction : « la leçon d’ethnographie des grands écrivains ». Douze chercheurs en sciences humaines et sociales (une majorité d’anthropologues)[1] se sont donc prêtés « au jeu de l’analyse » d’une œuvre littéraire de leur choix. Est-il possible, en interrogeant systématiquement la façon dont l’écrivain a mené son enquête, de saisir le cheminement qui conduit de l’investigation de terrain au texte littéraire, de repérer les traces de l’expérience vécue ? Et d’en tirer des leçons qui aident à combler la « brèche entre le terrain et le texte » des écrits des anthropologues ?

 

Survol

Je suis entrée dans Terrains d’écrivains en braconnière en quelque sorte, en curieuse du regard posé par des anthropologues sur de grands écrivains, motivée par le voisinage des deux disciplines – ethnologie et littérature -, et sensible à leur perméabilité (en témoignent les incursions de l’une chez l’autre : A. Gide, J. Agee, T. E. Lawrence, M. Leiris, Y. Verdier[2], entre autres). L’ouvrage réunit les textes très contrastés de chercheurs qui se sont penchés sur cette porosité, en étudient la réalité en scrutant les voies de passage empruntées par les écrivains lorsque, pour mieux dire le monde, ils enquêtent sur les terres des anthropologues (et des historiens). Parcourir leurs écrits fut donc une expérience riche, une rencontre avec d’« autres lecteurs » singuliers, s’avançant de face ou plus ou moins masqués.

D’entrée de jeu on observe que le cadre géographique et historique représenté dans l’œuvre littéraire choisie par chacun des auteurs entre souvent en résonance avec son champ de recherche et sa spécialité. Avec cette coïncidence des deux terrains, l’expérience du chercheur se trouve directement sollicitée (il est particulièrement légitime pour rechercher et apprécier les sources – de « première main » ou de « seconde main » – utilisées par l’écrivain). Cependant, quel que soit le choix opéré, les modes d’entrée et d’approche, les points de vue et méthodes se distinguent de bien des façons.

Certains auteurs tiennent d’abord à exposer leurs motifs : Bensa, par exemple, a raison de s’expliquer sur son choix du « Rimbaud négociant », car sa justification et ses intentions, clairement exposées, éveillent alors la curiosité du lecteur sur les écrits abyssiniens de l’ancien poète ; Lagrave tient davantage à « situer son regard » afin d’éclairer un intérêt – a priori paradoxal – pour La Petite Fadette (associé à des souvenirs scolaires en milieu rural où le roman de Sand non seulement l’ennuyait mais suscitait son aversion).

La plupart s’attachent à présenter le contexte particulier (historique et politique, géographique, culturel) dans lequel se déroulent et prennent sens les œuvres étudiées (quelques unes ayant pour cadre des pays colonisés à l’époque de la grande vogue de l’orientalisme) : Gutron, Casajus et Cauvin Verner  entrent rapidement dans leur sujet en abordant la question des voyages entrepris par leur écrivain (lieux parcourus, découvertes, impressions) pour servir un projet romanesque : Flaubert pour Salammbô, Nerval pour son Voyage en Orient, et Montherlant pour La rose des sables ; tandis que Sellès Lefranc nous invite tout de suite à suivre le regard de Camus pour affronter les réalités du colonialisme français puis de la guerre d’Algérie … quand, à peu près au même moment, Cauvin Verner présente un Montherlant qui refuse d’assumer ouvertement, et surtout officiellement, sa condamnation  du colonialisme.

Avec Assayag nous sommes propulsés au cœur de l’Inde coloniale, ce joyau de l’empire britannique auquel est étroitement lié Kipling lui-même – « Patriote professionnel » devenu « symbole national » – et toute son œuvre ; tandis que Berelowitch, pour introduire l’œuvre de Pouchkine en historien,  nous transporte dans la Russie de la fin du xviiième siècle, plus précisément au cœur de la steppe, en Oural, où des populations se sont révoltées contre le pouvoir central (« la révolte de Pougatchev »)… Mais ces révoltes paysannes ne sont pas du goût de Sand : Lagrave situe son roman dans un contexte où désenchantement politique, histoire des idées (socialisme) et expériences propres (liberté des mœurs) se rencontrent chez « la bonne dame de Nohant » qui publie, avec La petite Fadette, une pastorale berrichonne, utopique, sensée défendre la « cause du peuple » paysan.

Pouillon cependant nous propose un autre type de dépaysement : après avoir dressé un portrait à charge de son auteur en « Monsieur de Lamartine au désert », il nous immerge dans le continent de la recherche en racontant une histoire passionnante dont les acteurs sont des chercheurs, l’histoire d’un manuscrit arabe perdu, puis retrouvé plus de 150 ans après (manuscrit acquis par Lamartine), et devenu « texte de référence sur l’Arabie bédouine ».

A contrario, et dès la première phrase, Terray, en se proposant de « pénétrer dans l’atelier de l’écrivain », nous parle tout de suite, en lecteur, des «  pages que Céline consacre à l’Afrique dans le Voyage au bout de la nuit » ; ainsi procède également Traimond en introduisant tout de suite la question de la lecture des Essais, la problématique de la lecture de l’œuvre étant située au cœur même de son propos.

Et, en bout de course, il arrive que nos auteurs s’émerveillent, ou restent plus dubitatifs, devant leur mise à jour du travail d’enquête effectué par l’écrivain : Flaubert est sacré « historien-archéologue » ; Woolf devient une « ethnologue du proche » ; tandis que Sand préfigure les « études de genre » mais n’est qu’une « ethnologue des idées » ou « ethnologue en chambre » ; Rimbaud, quant à lui, est « peut-être géographe », voire « ethnographe » mais au sens d’une « anthropologie appliquée ».

Humeurs …

Le travail extrêmement documenté et référencé, puisant à la fois à des sources scientifiques (historiques, ethnologiques, sociologiques) et littéraires, est souvent très impressionnant. Néanmoins on est tenté de faire quelques réserves quand « la restitution » de la recherche effectuée donne lieu à un exercice laborieux qui occupe tout l’espace du texte. Respectueux, à la lettre, du titre de l’ouvrage, Terrains d’écrivains, ces contributions manifestent le souci scrupuleux de démontrer, ou pas, l’existence d’un véritable travail d’enquête de terrain de la part de l’écrivain. Cette obligation déontologique ne devrait-elle pas conduire la critique à procéder elle-même à un travail d’enquête sur le travail d’enquête ? (on pardonnera sans doute à la visiteuse que je suis de ne pas suivre pas à pas, elle-même, cette enquête au carré).

En raison sans doute des difficultés de l’exercice, qui consiste en quelque sorte à aller à rebours de la pratique habituelle, certains chercheurs multiplient les références à d’autres travaux, les citations rapprochant sources et texte, et parfois aussi les points de vue ; surtout (et c’est souvent le cas) quand l’œuvre a donné lieu à de nombreuses interprétations et à tout un appareil critique. Il est donc tentant d’aller y puiser. Mais une telle accumulation, faite sans doute avec le souci bien compréhensible de démontrer que l’œuvre n’a pas surgi ex nihilo, finit par épuiser le lecteur qui non seulement ne voit plus le sens de tout ce travail mais surtout perd de vue la réalité du texte de l’écrivain. Lequel disparaît. Le « terrain » qu’on s’applique ainsi à mettre à jour lui fait écran.

Effets pervers de l’exercice qui conduirait plus à construire du « terrain » qu’à donner à voir, dans le texte, les traces de ce terrain, les traces de l’expérience et leurs transformations, voire leurs métamorphoses, par l’écriture ?

Force est de reconnaitre que ces effets se cristallisent en particulier sur les écrits dans lesquels domine une approche biographique (Cauvin Verner et Champion). En dépit, ou peut-être à cause, de la somme impressionnante de références additionnées par Champion, on est troublé par l’interprétation qui est faite de Vers le phare : on ne s’y retrouve pas (comme s’il ne s’agissait pas du même écrivain, pas du même livre). C’est pourquoi je me contenterai de citer ici la belle étude qu’en a faite D. Rabaté, [3] d’abord parce qu’il l’introduit en évoquant ce que fut sa première lecture du roman de Woolf (et ce n’est pas une pratique si courante dans la critique littéraire), ensuite parce qu’il révèle bien ce qui fait l’essence même de ce roman sur le temps (y compris dans sa structure même : l’interruption brutale du fil narratif et le saut temporel assénés par la deuxième partie pour dire l’indicible), un roman irrigué par la question lancinante de la durée, de l’in-fini dans le fini.

Ce roman était-il un bon choix ? Vouloir reconstituer le « terrain » de Woolf paraît un exercice à haut risque : ce n’est pas parce qu’on dispose de nombreux matériaux sur sa vie (biographies, correspondance, journal, entre autres) que le recours à la critique biographique est justifié. Et qu’il s’avère pertinent. Je renvoie à ce qu’a écrit Proust à ce sujet : « cette méthode [celle de Sainte-Beuve] méconnaît ce qu’une fréquentation un peu profonde avec nous-même nous apprend : qu’un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices ».[4]

Par contre  – et c’est apparemment paradoxal – le texte d’Assayag, qui ne se réfère pas à un texte précis de Kipling, ne donne pas cette impression.  Sans doute parce qu’en parlant de l’Inde coloniale il ne cesse d’évoquer, de nous parler de l’œuvre elle-même, en nous éclairant sur ce que fut sa gestation à travers l’expérience de l’écrivain.

Enfin l’abondance de notes de bas de page dans certains écrits – comme s’il s’agissait d’une publication académique, précisément le genre de textes décriés dans l’introduction – fait naître une autre source d’étonnement, et de lassitude. Car trop de notes de bas de pages nuisent à la lecture, tuent la dynamique du texte ; surtout quand, en sus de nombreuses références, des commentaires et des citations entières (pas tout à fait hors de propos, mais paraissant superflus), n’ayant pu trouver place dans le texte, viennent ainsi grossir les notes qui envahissent la page. Heureusement un certain nombre d’auteurs nous dispensent du fardeau, et justement, leur texte gagne en lisibilité (je m’adresse d’ailleurs à moi-même la recommandation de suivre leur exemple).

Plaisirs de lecture

Si l’ensemble des contributions présente beaucoup d’intérêt ce sont néanmoins les textes sur Nerval, Céline, Kipling, Camus et Montaigne, qui retiennent le plus l’attention. Sans doute parce qu’ils ont répondu à la problématique – telle que je l’ai comprise – qui ne consistait pas seulement à reconstituer l’enquête « terrain » d’un grand écrivain, mais aussi à montrer comment l’œuvre écrite, non pas la « restitue », mais la redéploie et la transforme. Parce qu’ils ont su parler de l’écrivain, en anthropologues certes, mais d’une façon que je n’hésiterai pas à qualifier d’« impliquée », c’est-à-dire disant chacun à sa manière, une rencontre personnelle avec un texte. Ils m’ont ainsi embarquée à leur suite dans une traversée littéraire riche en découvertes et reconnaissances.

Il y a ceux qui ont su parler de leur lecture comme en sourdine. Je pense en particulier à « Qu’alla-t-il faire au Caire ? ».  Casajus y manifeste non seulement une connaissance fine de l’œuvre de Nerval, mais il donne de la fluidité et du piment à son texte en faisant dialoguer habilement les deux registres d’écrits, le roman et ses sources (la correspondance principalement) : Gérard est le narrateur touriste de Voyage en Orient, et Nerval, l’écrivain « feuilletoniste » en voyage. En lisant, on entend, telle une basse continue, sa propre lecture : par exemple quand il expose en quoi l’ennui et les déceptions de Nerval au contact de la réalité se transmuent en « matière scripturaire », et en nous donnant à lire de nombreux et larges extraits. Et cette basse monte peu à peu en puissance pour soutenir l’écrivain avec justesse et sensibilité ; et s’élève, jusqu’à suggérer avec humour, que la distance entre le voyage de Nerval et celui de Gérard n’est peut-être pas plus grande que celle qui sépare les enquêtes des anthropologues de leurs écrits académiques ; avant de s’effacer peu à peu dans un diminuendo poignant qui rend hommage à l’écrivain : à « la limpidité d’une prose qui transfigure et nous dissimule, suprême élégance de sa part, l’abîme où il a fini par sombrer ». Suprême élégance aussi de la part de Casajus !

Terray nous offre une démonstration brillante qui à la fois illustre très bien l’engagement demandé aux contributeurs (ici les transformations opérées par Céline entre sa correspondance africaine et son roman : « tout y est déjà, et pourtant rien n’y est encore »)  et témoigne de sa propre expérience de lecture. En effet,  tout au long d’un texte bien rythmé, il nous rend présentes les pages tournées du Voyage au bout de la nuit – et pas seulement l’épisode africain -, en particulier avec « la troisième transformation » effectuée par l’écrivain : l’invention de son style. Il nous en donne lecture grâce à de nombreux exemples qui illustrent, avec le passage de Céline à Bardamu, comment les souvenirs d’une expérience assez positive se transmuent en noirceur dans le roman.  Nous entendons alors la langue de l’écrivain, en particulier avec les chapitres africains que l’anthropologue qualifie de « moment du retour au tuf, [quand] le récit est comme envahi par la matière et par l’animalité, points de départ de toute l’aventure humaine » et qu’il nous laisse entrevoir dans un éblouissant développé anaphorique. Avant de terminer, face à nous, en sujet lecteur et anthropologue se découvrant devant Céline : « je l’avoue hautement l’image qu’il me propose de l’Afrique est – avec la peinture de Conrad dans Au cœur des ténèbres – la plus convaincante de toutes celles qu’il m’a été donné de rencontrer ».

De son côté, sans parler directement de sa propre lecture, Assayag a su relier sur un mode discursif, la « formation » de Kipling (son enfance dans la société des domestiques indigènes, les langues vernaculaires, les histoires racontées et qu’il s’est raconté, la communauté anglo-indienne…) aux motifs, situations, milieux et décors présents dans ses œuvres. En particulier, il a cherché à nous faire sentir – en contrepoint de l’Inde réelle, de l’Inde coloniale – « l’empire des sens », c’est-à-dire l’« Inde enchantée » de l’enfance, cette « géographie pure de la sensation » dans laquelle baignent les nouvelles et romans de l’écrivain. Là il n’est pas question d’enquêtes, il n’est pas question de réalisme, même pour Le livre de la jungle, quelques informateurs suffisent ; d’ailleurs sa visite de la salle des machines d’un vapeur est connue : en quelques instants seulement il trouve, au cœur de ses ténèbres, ce qu’il cherchait, « comme un artiste peut se permettre de le faire ». Car le « terrain » est en lui, c’est sa vie même, remémorée, qu’il commue en récits imaginaires, Kim par exemple (dont le nom ravive de lointains souvenirs de lecture).

Dans un tout autre registre littéraire,  avec Sellès Lefranc et Traimond nous arpentons la totalité, ou la quasi totalité, du territoire d’un écrivain tel qu’il s’exprime dans le concept d’œuvre. Si ce n’est pas tout à fait exact ici pour Camus, le texte de Sellès Lefranc, en dévoilant la porosité des frontières entre les différents textes publiés de l’écrivain – journalisme, essais, fictions, carnets –,  embrasse largement son expérience propre. Avec les Essais, texte unique dans l’histoire de la littérature, Traimond donne aussi à voir comment Montaigne irrigue constamment ses réflexions et sa pensée de ce qu’il retire de son propre rapport au monde : ses enquêtes, ses expériences, ses lectures. Deux textes, judicieusement placés en fin d’ouvrage, qui témoignent implicitement d’une sorte d’intimité de leur auteur avec l’œuvre étudiée.

Sellès Lefranc trace un parcours en boucle : partant de « Misère de la Kabylie », elle traverse l’œuvre jusqu’à Premier homme, pour revenir  aux articles sur la Kabylie, en passant par La Peste, L’étranger, L’exil et le royaume, entre autres.  Elle nous livre ainsi son analyse, à la fois dense et sensible, et très documentée, d’une œuvre dans laquelle « l’immersion du journaliste et de l’anthropologue s’incorpore directement à l’invention romanesque », où Camus, en observateur de la vie quotidienne, développe la posture du « témoin ». Mais un témoin « sans réserves » qui pose la question essentielle, et lancinante, du « témoignage à la place de l’Autre ».

Tandis que Traimond, pour donner son analyse du « processus d’élaboration de la pensée de Montaigne », procède davantage par élargissements successifs. Partant d’une « échelle microscopique » (le commentaire d’un extrait des Essais sur le village de Lahontan), il démontre, de manière très convaincante, la façon dont Montaigne, en véritable anthropologue, nourrit sa réflexion des « discours naturels », des récits d’expérience, de contes, et donc des savoirs populaires qu’il privilégie et oppose aux savoirs lettrés (et insiste sur cette dimension du singulier, du cas, de l’exemple). Puis, prenant de la hauteur, il se propose « d’expliquer et de nuancer » cette contradiction chez un grand lecteur (faisant ainsi une incursion passionnante dans le chapitre « Livres ») ; avant d’aborder le passage décisif qui va de l’expérience à l’écrit – donc la question de « la poétique » de l’écrivain -, et montrer le cheminement d’une écriture qui procède, entre autres, par « sauts périlleux » tout en gardant un « style coulé ». Traimond fait œuvre pédagogique en partageant sa lecture (illustrée de nombreux exemples) : il déplie ainsi, sous nos yeux, les « façons de faire » de Montaigne.

*

Ces auteurs, on le voit, ont su montrer le cheminement qui va de l’enquête à l’écriture. Or, paradoxalement, cette question a été souvent éludée au profit d’une mise en lumière du seul travail d’enquête ou de « terrain » de l’écrivain (ce que justifient d’ailleurs et le titre et « la leçon d’ethnographie des grands écrivains »).

Mais, à propos de terrain, celui de l’écrivain ne reste-t-il pas d’abord, et avant tout, celui de la page (ou de l’écran), c’est-à-dire le lieu même du travail d’écriture, du combat avec la langue ? De la métamorphose de la vie en écriture ? C’est la boîte noire que la critique génétique tente d’ouvrir (cf. les travaux sur les manuscrits de Flaubert ; les cahiers, les ébauches et les « paperoles » de Proust …).

Les approches transdisciplinaires sont en effet très enrichissantes, elles nous font sortir du « chez nous » et de l’« entre nous ». Mais si l’anthropologue et l’écrivain ont en commun le langage comme mode de communication, ils s’éloignent cependant l’un de l’autre en ce sens que le premier est un scientifique quand le second est un artiste. Il convient de le rappeler, la littérature est un art où s’exerce, pour paraphraser Terray « le pouvoir mystérieux du génie créateur ».

Je vois néanmoins une analogie entre les travaux des anthropologues et ceux des littéraires (critiques, chercheurs) : celle d’une mise à distance, voire d’un effacement, de l’expérience – du terrain pour les premiers, de la lecture pour les seconds – dans leurs écrits.

Colette Danieau Kleman

Doctorante en Lettres à Paris 7


[1]  Jackie Assayag, Alban Bensa, Wladimir Berelowitch, Dominique Casajus, Corinne Cauvin Verner, Renée Champion, Clémentine Gutron, Rose-Marie Lagrave, François Pouillon, Michèle Sellès Lefranc, Emmanuel Terray, Bernard Traimond.

[2] Y. Verdier, Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais, Gallimard, 1995.

[3] Le roman et le sens de la vie, 3ème partie : « L’irrémédiable et l’inoubliable », José Coti, 2010

[4] Contre Sainte-Beuve, Gallimard, La Pléiade, 1971,  p. 221-222