Le 26 octobre 2010, disparaissait mon ami Gilles Deserbais, j'avais à cette occasion déposé cette note sur le blog, alors que j'étais en Thailande, texte que je remets aujourd'hui en souvenir de Gilles, car nous devons nous souvenir de ceux qui ont vécu, notre devoir et de ne pas les oublier.
Pourquoi déposer à nouveau cette note ?
J'ai reçu hier par mail, de la part de sa Madame Deserbais, sa mère, un texte magnifique qu'il avait écrit au Sri Lanka au cours de l'année 2000, j'ai été bouleversé par cette écriture, par ce style si touchant, si simple qu'il en devient troublant de naïveté et de vérité. Ce texte représente tellement mon ami Gilles, que je ne puis l'évoquer sans être littéralement bouleversé, c'est comme si Gilles était toujours près de moi, que j'étais près de lui, moi qui le connaissais et qui, grace à ses mots couchés sur le papier, parvient encore à l'entendre, à saisir le timbre si particulier de sa voix. Je n'avais pas eu l'occasion de lire un de ses textes depuis l'adolescence, nous avions 16 ans, nous étions au Lycée et Gilles écrivait des poésies, et moi, je faisais des photos.
j'espère, chers amis lecteurs, lectrices, qui que vous soyez, j'espère que vous serez touchés par l'âme d'un voyageur lunaire, qui joue à saute mouton sur de gros cumulo nimbus en riant comme un enfant et qui embrasse le soleil en se demandant pouquoi celui-ci le brûle.
A mon ami Gilles, pour lequel je n'ai pas fait assez de son vivant et qui me donne chaque jour une profonde leçon d'humilité.
La mort de Gilles, un drame pour tous ceux qui l'ont aimé Il est ici trois heures du matin à Chiang Maï en Thailande, et en relevant mes mails j’apprends que mon vieux camarade de lycée Gilles D. est décédé, j’ai eu un choc, tout d’abord je n’y ai pas cru, puis en lisant le courrier, j’ai commencé à être bouleversé et mes larmes ont coulé involontairement sur mes doigts. De grosses gouttes chargées d’une tristesse indescriptible, inattendue, imprévue.Gilles était un être lunaire, tellement différent des autres et tellement inadapté, il l’était depuis toujours ; déjà au lycée avec une tignasse à la Beethoven, une totale aversion des choses physiques, Gilles était un intellectuel brillant, littéraire, féru de culture musicale et artistique, Gilles était Gilles et je n’ai jamais rencontré un garçon aussi différent de la majorité environnante. Nous le voyions déjà lauréat du prix Goncourt ou musicologue brillant, il nous parlait de Dimitri Chostakovitch à 16 ans, et qui connaissait le musicien Russe à cet âge et qui le connait aujourd’hui à part les spécialistes ? Il me faisait découvrir la musique classique et des auteurs dont je n’avais jamais entendu parler, de mon côté je lui apprenais les rudiments de la photo qu’il aimait mais qu’il ne saisissait pas, Gilles était un être d’esprit, il aimait le dessin, les arts, et il avait développé son style que je n’aimais pas, mais ce n’était pas à moi de juger, il avait sa particularité et elle était louable. Il écrivait également, Gilles avait de nombreux talents. Après sa liscence de Letrres, il était parti au Sri Lanka pour enseigner le Français aux Bengalis, mais il était hypersensible et un jour, Gilles a "pété un plomb", et ce dysfonctionnement psychiatrique ne l’a plus jamais quitté. À force, Gilles est devenu invalide, bourré de médicaments, suivi par des psychiatres en permanence, il devait, il rêvait de s’en sortir, mais il était prisonnier d’une spirale impossible.
Il me téléphonait une fois par semaine, ou par mois, il ne voulait pas m’importuner, souvent je le rassurais, du moins j’essayais, mais Gilles ne pouvait plus entendre, drogué par tant de médicaments pour contrôler son tempérament qui pouvait brutalement et d’un seul coup exploser, il vivait plus dans son monde que dans le notre. Il était parfois très dur et même désagréable, il pouvait dire des choses horribles sans le moindre tact, sans se rendre compte combien il faisait mal, un jour je le lui avais dit et je m’étais fâché, mais un moment seulement, comment lui en vouloir, il souffrait tellement.
J’avoue que parfois il me faisait peur, car je le savais incontrôlable et je crois qu’il se faisait peur également, c’est pourquoi il espaçait ses appels et nos rencontres.
Gilles était dangereux pour lui et pour les autres, alors, il vivait seul, isolé, rencontrant souvent ses médecins et rarement ses amis. Il avait gardé contact avec notre camarade François W, avec lequel ils étaient inséparables durant nos années de Lycée, mais François était parti enseigner en Allemagne, et puis marié, deux enfants, les copains de lycée étaient désormais des adultes avec des obligations d’adultes, et à nouveau, Gilles vivait péniblement sa solitude, il avait tellement besoin de parler, de communiquer, de partager ses idées, ses passions, ses désirs... Il était si seul, à en crever, mais la mort ne venait pas, et il n'était pas certain qu'il la désirait vraiment, cette mort laconique au regard trouble.
J’étais, de mon côté, très occupé, mes devoirs familiaux, mes recherches, l’agence de communication, les cours à la Fac, les écris, les recherches plastiques, enfin, une quantité de choses différentes à gérer, je ne pouvais pas m’occuper de Gilles qui s’ennuyait, qui ne parvenait pas à se concentrer à cause de ses traitements qui le rendaient docile, alors qu’en lui, brûlait un foyer constant, une passion pour le beau, la musique, les arts, la littérature. Mon pauvre ami était bien seul mais il se battait, il rêvait de rencontrer l’âme sœur, mais dans son état il faisait peur et trouver une jeune fille qui puisse le comprendre et accepter son handicap relevait de l’exploit. Je ne cessais de lui dire :
- Seule une femme mure, une femme d’expérience pourrait te comprendre.
Mais il faisait une fixation sur une idée bien précise, sur un type de femme, un peu comme Gauguin qui révait des tahitiennes et de son paradis des tropiques, une idée fixe qui ne pouvait malheureusement pas se réaliser, il désirait qu'une jeune balinaise tombe amoureuse de lui et le porte jusqu'à la fin de sa vie dans un bonheur coupable mais si riche et beau...
Nous en parlions de longues, très longues minutes, j’ignore si ce que je lui disais l’aidait, je crois que le simple fait de pouvoir échanger lui faisait du bien, il parlait librement avec un ami qui n’était pas un praticien hospitalier et ça au moins, ça lui changeait de l’ordinaire. Il aimait toujours autant la musique, l’art et les échecs et il vivait dans le rêve de retourner là-bas, dans son paradis des tropiques, il ne pouvait voyager seul et personne ne souhaitait l’accompagner, d’ailleurs il ne le souhaitait pas vraiment, enfin, je crois qu’il aurait aimé que je l’accompagne, mais je ne le pouvais pas, car il aurait fallu s’occuper de lui comme d’un enfant, lui qui savait tant de choses, était perdu comme un chiot sans sa mère dans cette société qui lui échappait.
Ses parents sont toujours restés proches de lui, malgré les conflits qui touchent tous les enfants et leurs parents, au moins, il se savait aimé et entouré, et c’était très important. Il me proposait parfois de lui rendre visite et de profiter des merveilleux concerts que ses parents organisaient dans leur village d'Alsace, mais je n'ai jamais trouvé le temps et pourtant, je sais que cela aurait fait tellement plaisir à mon vieil ami, il aurait pu dire : - Vous voyez, mon ami est ici en famille...
Je ne veux pas regretter ce que je n'ai pas fait, je l'accompagnais à ma manière. Ce soir, cette nouvelle me bouleverse, car quand on perd un ami, c’est un peu de soi qui s’en va avec lui, c’est un peu de son passé, de son adolescence qui disparaît à jamais. J’espère que là où il est, Gilles a enfin trouvé la paix et qu’il est entouré de musique, de beauté et de jolies balinaises, comme il en a tant rêvé.
- Tu vois mon vieux, en écrivant ces quelques lignes, je pleure en écoutant le Stabat Mater d’Alessandro Scarlatti en pensant à toi, toi, tu aimais des musiques complexes, quasi mathématiques et ma sensibilité me porte et m’a toujours porté vers le Baroque, tu étais dans la logique structurée et moi dans l’ellipse et pourtant, nous partageons le même amour pour la beauté. J’irais prier pour toi demain dans un temple Bouddhiste et je porterais des fleurs et des bâtons d’encens pour honorer ton souvenir et dire qui tu étais et comment tu as vécu...
On nous parle toujours du décès de personne connues, comme dernièrement celui de la chanteuse Joan Sutherland, qui était, certes une grande dame, mais moi j’ai voulu vous parler de celui de mon ami Gilles, qui n’était pas connu du grand public, mais plutôt des hôpitaux, il n’a jamais eu d’article dans le journal, on n’a jamais parlé de lui, mais lui et ses parents on fait plus pour le développement de la musique classique par amour dans leur petit village de Wangen en Alsace, que d’autres qui insistent pour laisser des traces en se faisant remarquer et qui, dans le fond, ne sont que peu de chose. D'ailleurs, Gilles méprisait les arrogants au point de ne pas les voir meme s'ils étaient face à lui. Alors, si en lisant ces quelques lignes vous avez une pensée pour mon ami Gilles, soyez certains qu’il en serait très heureux, ainsi que sa famille, parce que des amis, et des pensées positives il en manquait terriblement.
Aujourd’hui et bien, non, nous ne vivons pas une époque formidable, pardonnez-moi, mais je suis las et bien malheureux car une étoile s’est éteinte dans le ciel. je tiens à signaler que le texte qui va suivre, n'est pas libre de droit et que son utilisation doit faire l'objet d'une validation auprès de Monisieur et Madame Deserbais, demeurant à Wangen en Alsace. Une amie m’avait conseillé... de Gilles Deserbais (2000)
Une amie m’avait conseillé d’écrire quelque chose sur le parc Viharamahadevi.
Pourquoi aimais-je tant cet endroit?
Parce qu’il a un côté British ?
Parce qu’il est une oasis de tranquillité au milieu d’une ville bruyante voire insupportable de pollution ?
Ou bien encore parce que c’est le lieu des amoureux, disons de presque tous les amoureux de Colombo- il y en a aussi à Galle Face – qui, en fin de semaine, viennent s’enlacer sous les arbres centenaires en se souciant très peu des regards indiscrets, en laissant paraître leur joie d’être parfaitement intégré dans ce cadre paradisiaque ?
Bien sur, il y a d’autres parcs magnifiques à Sri Lanka comme celui de Peradeniya près de Kandy, les jardins pentus de Hakgala à quelques kilomètres de Nuwara Eliya ou le parc de Gampaha dont on m’avait vanté la beauté mais le parc Victoria, aujourd’hui appelé parc Viharamahadevi, ce qui signifie littéralement « la Maison de l’image de la grand déesse » pour moi, c’est tout simplement l’un des plus extraordinaires lieux du monde, un lieu où l’on se sent complètement infuser dans l’Asie, un lieu béni par les dieux, un lieux avec ses chiens et ses poneys, avec ses enfants qui jouent au ballon et ses joyeuses familles qui se font photographier, un lieu avec une flore fantastique, des ébéniers, des figuiers, des hévéas, des acacias, des acajous, des eucalyptus, des arbres gigantesques aux branches couvertes de chauves-souris géantes, des plantes sensitives, des fleurs aux parfums capiteux, orchidées, lotus, un lieu d’insouciance et de contemplation, de rêverie et de palabres, un lieu pour les peintres et les botanistes, pour les touristes et pour les autochtones, pour les poètes et pour les muses, un lieu à la fois humain et divin.
Comme j’aimais cet endroit…
« This park will remain open from 6 :00 a.m to 6 :00 p.m » indique l’écriteau qui se trouve à l’une de ses entrées ; ce qui veut dire : « Le parc sera ouvert de six heures du matin à six heures de l’après-midi. »
Mais en règle générale on peut y rester un peu plus longtemps, jusqu’à l’heure du ballet des vampires, de ces bêtes préhistoriques qui quittent leurs branches à la presque tombée de la nuit- qui tombe tôt ici- pour, au terme d’une sieste prolongée, s’envoler en quête de nourriture.
C’est l’heure du soleil rasant et des cieux flamboyants, l’heure où le quartier tout entier est envahi du tintamarre de klaxons des bus bondés, des bus bourrés, des bus bourrus qui reconduisent les employés de bureau dans leurs villages.
Il y a, juste à côté du parc, Town Hall, une copie de la Maison Blanche et un peu plus loin, de l’autre côté, le musée de Colombo qui présente des antiquités et une collection de bronzes intéressantes.
A très peu d’encablures du parc se trouve aussi Barnes Place et l’Alliance française où j’avais effectué mon service de coopérant voici déjà plus de dix ans.
Cet espace magique se trouve en plein quartier résidentiel, près de la mosquée Davatagaha, la mosquée la plus ancienne de la ville, à l’endroit autrefois appelé « Cinnamon Gardens » ce qui signifie « les jardins de cannelle »
J’y avais passé d’innombrables après-midi, un livre à la main, parfois aussi muni d’un parapluie car la mousson n’épargne guère le parc et puis, dans ce pays, un parapluie fait office de parasol lorsqu’il fait trop chaud et puis…la chanson de Brassens et puis…les Cinghalais ont coutume de se déplacer avec cet attribut et d’embrasser leur belles derrière d’un morceau de toile, j’allais dire d’étoile, serais-je inspiré ?
Il y a un coin pour les expositions botaniques, les concerts, le théâtre et les manifestations oratoires, un coin pour les éléphants, un coin où, le dimanche, on peut boire un Fanta, un Pepsi ou une tasse de thé- c’est meilleur-, un coin pour les enfants appelé le Satutu Uyana Viharamahadevi Park avec des boutiques, des montures dociles, des bébés animaux- petits singes, paons- et un vrai train vert au « Tut tut » juvénile qui promène les gamins d’une partie du parc à une autre et, lors des moments les plus graves du conflit opposant l’armée gouvernementale aux terroristes tamouls, le parc presque tout entier s’est temporairement transformé en vaste camp de réfugiés installés sous des tentes de la Red Cross Society. Il y a quelques années, son gardien courait derrière les groupes d’Allemands ou Italiens pour vendre de vieux stamps du temps d’avant l’indépendance ou du règne de Junius Richard Jayawardene (…)
On voyait aussi, naturellement, des corbeaux un peu partout, faire des taches noires dans les palmiers ou sur les pointes de la grille qui enclosait ce lieu.
Regardez celui-ci qui s’est posé sur la statue dorée du Bouddha.
Ou celui-là qui s’envole, fier comme Artaban, un bout de fil de fer dans le bec.
En voici d’autres qui se disputent les restes d’un lunch packet, picorant à qui mieux mieux les derniers grains de riz ou d’autres encore qui barbotent voluptueusement dans la mare laissée par une fuite derobinet, éclaboussant au passage une chienne errante à la recherche d’un coin d’ombre.
Le soir ,quand le soleil allait se cacher derrière la mer, c’était des armées de corbeaux qui tournoyaient dans le ciel orange en faisant des croa croa sans fin.
C’est dans le parc que j’avais découvert Valery Larbaud- ah, les poèmes de Barnabooth !- et Martin Wickramasinghe ; plus tard, au cours de mon deuxième séjour dans l’île, je m’y étais installé avec un journal « The Island » ou « The Sunday Observer » prendre des nouvelles locales, me renseigner sur le programme du cinéma Cosmic après avoir été au Regal où je venais de revoir Avaragira le dernier film de Lester James Peries , me protéger du soleil brûlant et me prémunir contre les fientes des volatiles noirs qui étaient perchés dans l’arbre sous lequel j’avais choisi de m’asseoir.
Je me sentais vraiment en dehors du monde lorsque je me trouvais dans cet univers qui avait alors un avant-goût de paradis...