« C’est la fatalité. Quinze femmes se sont présentées aujourd’hui pour la chambre. Quand je vous ai vue, j’ai su aussitôt qu’avec vous le destin pourrait s’accomplir. »
Ce texte, assez court, est une réécriture de Barbe-Bleue comme le titre l’indique. Le légendaire assassin prend les traits d’un espagnol, fort de sa personne, Don Eleminio Nibal y Milcar, qui n’a pas quitté son logis depuis plus de vingt ans. Pour pouvoir tromper l’ennui, il cherche la compagnie de femmes exceptionnelles qu’il trouve en laissant des petits annonces immobilières. Saturnine Puissant, jeune enseignante à l’Ecole du Louvre, se retrouve donc face à cet huluberlu, complètement dérangé et potentiellement dangereux (huit femmes ont disparu avant qu’elle n’emménage dans l’immense appartement)… Mais, après tout, si elle ne se rend pas dans la pièce interdite, la chambre noire, que peut-il vraiment lui arriver ?
Bien évidemment la colocation devient très vite ambiguë. Eleminio s’entiche de Saturnine et l’entraîne dans ses fantasmes photographiques…« Les causalités amoureuses sont byzantines »…
Le personnage d’Eleminio est à lui seul tout le sel du roman : il se considère l’homme le plus noble du monde, se gargarise de la « grandesse » espagnole, se compare au Christ, voudrait que la monarchie s’accommode d’un régime fédéo-vassalique et fait des merveilles en couture !
Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce roman, c’est l’humour, l’art de la formule et les syllogismes quelques peu absurdes du personnage tels que : « La digestion est un phénomène purement catholique. Comprendre l’or, c’est comprendre l’Espagne et donc me comprendre. »
Ce que j’ai trouvé un peu regrettable, c’est cette obsession pour le champagne, que l’on trouvait déjà dans Le Fait du prince… On l’aura compris, Amélie Nothomb en raffole, à partir du moment où il ne s’agit pas de champagne rosé : « L’inventeur du champagne rosé a réussi le contraire de la quête des alchimistes : il a transformé l’or en grenadine. »
Bien que le récit prête souvent à sourire, il aborde quand même une question importante : celle du jardin secret dans une relation amoureuse. « Je ne suis pas un fou mais un homme épris d’absolu, confronté par neuf fois à une question terrible : quelle est la juste frontière entre l’aimée et moi ? »
Mais, ce que je retiendrai peut être du roman (qui fait la part belle à la forme dialogique) c’est cette petite phrase : « Le Christ, c’est Don Quichotte en mieux.«