Certains font l’Histoire. D’autres l’observent. Max Gallo est de ceux qui la popularisent. À l’issue de plus de cent dix ouvrages d’historien, d’essayiste et de romancier, il vient de publier ses mémoires chez son complice Bernard Fixot : "L’oubli est la ruse du diable". Il la déjoue en près de quatre cents pages avec son panache habituel. Doté par son père d’une antique machine à écrire lourde comme un tank Sherman de la dernière guerre et par dame nature d’une belle facilité d’écriture, il rédige sans désemparer depuis cinquante ans. Son obsession : se débarrasser des oripeaux de fils de pauvre émigré italien qui lui collent à la peau et à l’âme et accéder ainsi aux sommets. Alors il se nourrit de cette Histoire qu’une belle puissance de travail l’aide à fouiller et creuser sans relâche et noircit mille et mille feuillets de faits, de sagas et de personnages. Quelle trace laissera-t-il ? Le citera-t-on encore dans trente ans comme les Michelet, Furet, Corbin ou Georges Duby ? Il aura en tout état de cause somptueusement arpenté les biographies de Napoléon, de Gaulle, Victor Hugo et Louis XIV et dignement raconté les Chrétiens, les Romains et Jésus le Nazaréen. Il aura également inspiré nombre de vies sublimes ou misérables dans ses romans et suites romanesques comme "La Baie des Anges" qui lui procura la notoriété. Il aura surtout porté avec un extraordinaire succès la vie de Mietek Grayewski, dit Martin Gray. C’est un peu grâce à lui et à son éditeur Robert Laffont (et je ne les en remercierai jamais assez) que je dois de l’avoir trop brièvement rencontré le temps d’un frugal déjeuner place Saint Sulpice. Formidable personnage dont la richesse de cœur aurait dû réveiller l’auteur de sa biographie. Mais Max Gallo persistera avec ses "arrangements", comme il dit, « parce que je n’étais pas capable d’oublier d’où je venais, l’injustice, l’inégalité, l’humiliation dont je pensais être victime ». Il oubliera par contre sa fille Mathilde en chemin. Son suicide lui laissera une plaie à l’âme jamais refermée. Jusqu’à quel point d’ailleurs sa boulimie d’écriture ne deviendra-t-elle pas au fil des ans un cautère de plus en plus dérisoire? Mais le fils du petit émigré italien se hisse bientôt au niveau des "visibles" de la presse et de la télévision. Il croise les plus grands dans les allées du pouvoir, côtoie même le Roi Socialiste en son Palais républicain et devient son ministre. Et, consécration suprême en forme de revanche, il accède à l’Académie Française. Il mesure aujourd’hui, à travers ses mémoires en forme de repentance, combien fut lourd le tribut payé par lui et par ceux qu’il a aimés à cette soif inextinguible d’ascension sociale. "El destino" aurait marmonné sa grand-mère émigrée elle aussi de son Émilie natale ! Mais il ne veut pas n’être qu’un atome de quelque chose qui passe, selon la formule de Georges Clémenceau. Et c’est par là peut-être que viendra sa rédemption. Au moins aux yeux de ceux qui l’aiment. (© Roland Bosquet) "L’oubli est la ruse du diable", Max Gallo, Éditions Fixot.
Pour suivre régulièrement ces chroniques, il suffit de s'abonner gratuitement aux "Newsletter".