Extension du domaine de la transition

Publié le 14 février 2013 par Rolandlabregere

Pour les dictionnaires, le mot transition désigne le passage d’un état à un autre, d’une situation à une autre. Quand il s’agit d’expression, écrite ou orale, la transition désigne la manière ou les procédés qui permettent de passer d’une idée à une autre. La transition exprime ce qui se trouve « entre » deux états ou deux situations. Dans les médias, sur le Net, dans les organisations, lentement mais avec aplomb, transition vole la vedette à crise, vocable qui semblait jouir d’une rente de situation indéboulonnable. Crise, sans nous avoir formellement abandonnés, doit composer avec transition, plus consensuel, moins polémique et surtout passe-partout. Est-ce à dire que les crises qui émaillent notre vie s’éloignent ? Faut-il estimer que la crise sociale, la crise énergétique, la crise morale, la crise de l’emploi sont derrière nous ? La crise de l’adolescence décrite avec gourmandise par les psychologues est-elle devenue un hoax irrésistible ? Que dire de la crise syrienne, de la crise malienne et maintenant de la crise tunisienne ?

Crise est désormais un mot embarrassant. De quelque côté (médecine, économie, politique, santé, psychologie…), qu’on puisse le considérer, ce mot caractérise des situations qui bouleversent les équilibres acquis, qui interrogent l’avenir et qui génèrent des souffrances de toute nature. Une crise met à mal les certitudes et exacerbe les conflits. Une crise suppose des retentissements et entraîne des bouleversements. Les effets d’une crise nourrissent les décisions que prennent les dirigeants. Il est donc tentant, au fur et à mesure que s’accentue la crise de l’Etat central, de remiser sur les aires des autoroutes de l’information, un mot qui appartient au modèle de l’organisation hiérarchique de l’Etat. Ce modèle, idéalement décrit par Max Weber fonctionne avec des directives qui vont du haut vers le bas qui en assurent l’exécution en suivant des règles formelles et impersonnelles. Le déclin du capitalisme industriel auquel a succédé le capitalisme financier, avare de régulations mais néanmoins caractérisé par l’activité de réseaux enchevêtrés, a fait surgir la notion de gouvernance. La gouvernance, dite bonne en toutes circonstances, est l’objectif revendiqué des institutions. Cette notion est utilisée pour signifier les tentatives de recomposition des relations entre les nombreux acteurs et partenaires des politiques publiques. C’est dans ce contexte que crise s’efface pour faire place à transition.

S’il est un domaine où cette tendance est à la manoeuvre, c'est incontestablement dans celui de l’environnement et de l’écologie. Pour aboutir à l’élaboration d’une loi de programmation énergétique le gouvernement a initié un débat « sans tabou » qui doit permettre de recueillir l’avis de nombreux acteurs de tous horizons. Cette consultation fait référence à la transition énergique qui oblige de réduire de 75 à 50% la part du nucléaire en 2025. Cette démarche sera fondée sur la demande d’énergie, et non sur l’offre, comme ce fut le cas jusqu’ici. Elle intègre une réflexion sur nos modes de vie et nos besoins en s’attachant à privilégier la « sobriété et l’efficacité énergétiques ». Venant un peu plus d’un an après la catastrophe de Fukushima, le dispositif intronise la transition énergétique et environnementale. Face à ce jeu de passe-passe sémantique, des organisations comme Greenpeace et les Amis de la Terre ont refusé de participer à la consultation et au débat.

Si une crise se constate et laisse voir des effets immédiats et à venir, en est-il de même pour une transition ? Les experts estiment qu’une transition énergétique est indispensable. Elle consisterait à installer progressivement un système énergétique durable, compatible avec les défis socio-économiques actuels ou proches. Ce passage d’un système à un autre ne peut se réaliser sans le traitement de nombreuses questions concernant l’adhésion des populations aux changements. Les choix énergétiques gouvernent ceux de la société qui vient. La transition énergétique supplante le développement durable, enlisé dans le marécage du Grenelle de l’Environnement. Cependant parler intensément de transition énergétique ne revient-il pas à oublier les fondements et les racines des difficultés d’une société qui ne pense son devenir que lorsque ses crises virent à leur paroxysme, les catastrophes ? Transition s’impose comme le terme fétiche de la gouvernance des territoires et des institutions. Généraliste et rassembleur, il accepte les longues temporalités et offre l’avantage de se prêter au débat local comme à celui situé à d’autres niveaux. Il laisse entendre la possibilité d’un autre modèle de société. Face à de tels atouts, crise fait pâle figure. Une crise se gère dans l’urgence. Une crise s’apparente à des dysfonctionnements, des ratés comme quand on découvre qu’un cheval roumain se prend pour un bœuf charolais. Les crises sont cadencées comme les transports en commun aux heures de pointe. Une transition se prépare comme un projet. On subit une crise. Une dynamique sociale accompagne une transition. Une crise fait peur et peut par ailleurs affoler les marchés. Une transition annonce des intentions alors qu’une crise nécessite une technologie sociale ad hoc. Par euphémisation des effets d'une crise, travailler  à une transition apaise les tensions.

Transition, mot d’aujourd’hui qui a un pied dans l’avenir, prend des couleurs par rapport à crise, mot de l’histoire, des révolutions, des conflits et des remises en cause. Il va falloir s’y résoudre, la crise de la transition n’est pas à l’ordre du jour.