En fin de semaine dernière, un jugement était rendu entre Dexia, la sulfureuse banque nationalisée après des pertes colossales, et le Conseil Général de Seine Saint-Denis, le célèbre département le plus pauvre de France. La nouvelle, étouffée par le Mali, la démission du pape, et – bien plus important – la présence de canasson dans des lasagnes, est passée inaperçue. C'est dommage puisqu'elle fut l'occasion d'une nouvelle Pignouferie de Presse.
Les éléments de cette nouvelle sont relatés dans quelques articles, mauvaises resucées de Reuters, dont le schéma est évidemment toujours le même : un titre accrocheur, une introduction parsemée d'inexactitudes voire de contre-vérités (pour le dire gentiment), et le reste qui permet à peine de remettre en perspective ce qui s'est réellement passé, en cachant aussi habilement que possible le vrai résultat du jugement.
Ainsi, lorsque le titre est le suivant, "La Seine-Saint-Denis paiera moins à Dexia", ce n'est que partiellement vrai, puisque si le département paiera bien un peu moins d'intérêts, le principal de l'emprunt, lui, reste dû. Lorsque le titre est "Dexia condamnée, Angoulême se met à espérer", là, on est carrément dans la désinformation, puisque le département de Seine Saint-Denis a été débouté, purement et simplement, de ses griefs envers Dexia.
Quant à la suite des articles consacrés, on peut y lire, in extenso, les chouinements et les complaintes lacrymogènes des incompétents qui s'expriment au sujet des prêts qu'ils ont "contractés à l'insu de leur plein gré", expliquant dans quelques sanglots d'opérette que ce jugement redonne de l'espoir à ces collectivités locales abominablement maltraitées par une grosse vilaine banque. Pas de doute, nous avons ici affaire à l'une de ces habituelles Pignouferies de Presse que seule autorise la plus parfaite décontraction à écrire n'importe quoi pour servir la soupe aux imbéciles sans complexes dans ce pays déliquescent.
Reprenons.
Pour financer leurs frasques, certains politiciens locaux se sont retrouvés, dans les années 2006 à 2010, à souscrire une palanquée de prêts complexes offerts par différentes banques, au premier rang desquelles Dexia, d'autant plus volontaire dans sa distribution de pognon que ses dirigeants de l'époque fricotaient régulièrement avec les politiciens en question, dans l'euphorie de champagnes capiteux avalés goulûment avant l'explosion boursière de 2008.
La suite, le public la connaît confusément : les prêts souscrits, à taux très variables, se retournèrent violemment contre ces collectivités qui se retrouvèrent vite aux abois. Les élus, aussi hontectomisés que dépités et jamais en manque d'idées pour se débarrasser promptement de toute responsabilité, accusèrent immédiatement les banques de les avoir roulés dans la coke farine. On retrouvera, dans les premiers à tempêter contre les méchants banquiers, les éternels fumistes et autres tire-au-flancs dépensiers, menés par nul autre qu'un Claude Bartolone, le téléphone décidément vissé à l'oreille, qui dirigeait à l'époque le Conseil Général du 93, département à la fois pauvre, et s'appauvrissant d'autant plus qu'il était (et est encore) dirigé n'importe comment par des incompétents notoires.
Comme je l'avais précédemment montré dans un billet qui publiait, justement, le détail de l'un de ces prêts, la charge des élus soi-disant malmenés par les banquiers était d'autant plus scandaleuse que la lecture des documents bancaires ne laissait aucun doute sur la nature fort risquée du prêt signé. Là où l'élu, pipoteur expérimenté, aura clamé haut et fort la complexité du prêt et sa toxicité, le lecteur pondéré n'y trouvera qu'un prêt adossé à un dangereux mécanisme de change entre devises, mais parfaitement limpide et clairement explicité ; en une paire de calculs sur un petit tableur Excel, ne dépassant pas la règle de trois et quelques multiplications, n'importe qui est à même de se convaincre que la moindre variation dans les devises considérées fait s'envoler les taux pratiqués.
Bref : non, les prêts n'étaient pas complexes, ils étaient simplement très risqués, et le staff impressionnant dont dispose un département pour calibrer ses montages bancaires écarte absolument toute explication sur le mode "On n'y comprenait rien et la banque a manqué à ses devoirs d'information".
Et c'est là que, justement, les derniers jugements rendus rentrent en jeu. Et ça tombe bien, les jugements sont lisibles ici, ici et là ; ils sont écrits de façon correcte, en français normal, et ne laissent aucun doute : les politiciens qui ont commenté les jugements ont menti, purement et simplement, et les pisse-copies qui ont rapporté, sans la moindre distance, les mensonges éhontés de ces politocards de souk marocain sont au moins aussi coupables.
On trouve en effet, en début d'article, la phrase suivante :
Les taux d'intérêt jugés usuraires de trois prêts "toxiques" contractés par le conseil général de Seine-Saint-Denis auprès de la banque Dexia ont été annulés par le tribunal de grande instance de Nanterre, annonce vendredi le département.
Absolument nulle part, dans le jugement, les taux d'intérêt n'ont été jugés usuraire. La phrase ci-dessus n'est que l'interprétation du département, est facilement vérifiable, et, pour tout dire, est parfaitement fausse : le jugement n'a porté en rien sur cet aspect. Les politiciens qui ont sorti cette ânerie mériteraient largement une dénonciation publique par des journalistes consciencieux. Mais on n'en voit pas des masses : la soupe est bonne et les subventions aux seconds dépendent des bons vouloirs des premiers.
Lorsque, plus loin, les mêmes scribouillards rapportent la fausse victoire de Bartolone, on est, encore une fois, dans la même pensée magique et le même camouflage lamentable de la réalité :
Son prédécesseur Claude Bartolone, devenu président de l'Assemblée nationale, a également salué ce jugement. "La justice vient de dire à ces banques que 'ça suffit' et je dois vous dire que c'est une grande journée pour moi qui ai mené ce combat pour la Seine-Saint-Denis et pour toutes les collectivités locales qui sont réunies dans l'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques", a-t-il dit à des journalistes.
Folliculaires paresseux qui se seront empressés de ne surtout pas commenter la fanfaronnade du maintenant président de l'Assemblée Nationale, et qui aurait largement mérité d'être remis à sa place (éventuellement à coup de pieds au cul, le montant de l'addition pour le contribuable de Seine Saint-Denis s'établissant dans des eaux proches du milliard d'euros tout de même). En effet, non seulement la justice n'a pas dit "ça suffit", mais elle a en plus débouté le département de toutes ses demandes.
La seule et unique raison pour laquelle Dexia devra réévaluer les taux pratiqués est l'absence, sur les fax de signature des contrats de prêts, du Taux Effectif Global (TEG), mention normalement obligatoire dans tous les cas, que le prêt soit toxique ou non, complexe ou non, à taux fixe ou à taux variable.
En clair : comme l'explique le seul article du Figaro (qui, pour une fois, a fait son travail), Dexia n'a absolument pas été condamnée, mais été blanchie, le tribunal l'ayant simplement obligée à recalculer les taux pratiqués avec le taux légal, en lieu et place du mécanisme complexe signé par les clowns du département. Et cette obligation est purement technique, issue d'un vice sur les mentions légales totalement indépendantes du type d'emprunt. L'air de flutiau de Bartolone et de ses compères ne parvient à camoufler le bruit de la branlée méritée qu'ils viennent de se prendre que grâce à la caisse de résonance de cette presse lamentable qui se confit dans sa propre médiocrité.
Mieux : si l'on lit vraiment les jugements, le mot "condamne" n'est employé QUE pour le département de Seine Saint-Denis, ce qui démontre l'incroyable parti-pris des pigistes dans leur façon de rapporter l'ensemble de l'affaire.
Et voilà : si l'on cumule le cynisme et l'incompétence des politiciens, toujours prêts à vendre père et mère pour conserver leur pouvoir, à la médiocrité d'une presse aussi veule que subventionnée, on comprend que rien n'infléchira la tendance générale à l'appauvrissement des collectivités locales. Un récent reportage (ci-dessous) illustre ceci à merveille : pas une seconde n'est envisagé qu'on arrête de distribuer l'argent des autres et qu'on équilibre enfin les comptes.
Et de communes en départements, de départements en régions, de régions en territoire entier, la dilapidation, l'incurie et la gabegie continuent.
Ce pays est foutu.
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