Cette grande réforme sarkozyenne, l'une des seules sociales que l'on aurait pu mettre au crédit de l'ancien monarque, affiche un piètre bilan: cette prestation est trop peu sollicitée par ses bénéficiaires éventuels, et son impact est de facto restreint.
Le fiasco...
La Cour vise le RSA dit Activité, mis en œuvre en métropole depuis le 1er juin 2009 puis dans les départements d’outre-mer à compter du 1er janvier 2011 (2012 pour Mayotte). Ce revenu complémentaire versé au-delà des 475 euros mensuels que représente le RSA-socle, était censé compenser l'écart de rémunération entre les minima sociaux et la prise d'activité. Ce RSA Activité est financé par le fonds national des solidarité actives (alors que le RSA Socle est financé par les conseils généraux, en substitution du RMI qu'il remplace).
Le "socle", ces misérables 475 euros, a rapidement atteint sa cible, et pire encore: dès 2011, on compte quelque 1,2 millions de bénéficiaires. Mais le RSA Activité, cette prétendue incitation à l'activité qui justifiait l'effroyable bas niveau précédent, n'a jamais rencontré le succès escompté. A sa création, son coût avait été estimé à 3 milliards d'euros annuels en rythme de croisière. Il devait concerner 9% des ménages, soit près de 1,4 million de personnes. A fin 2011, la Cour ne relevait que 477.971 bénéficiaires, un effectif stable depuis juin 2010 ! "Cette stabilisation de la composante « activité », intervenue très tôt après le début de sa mise en place, est analysée comme un phénomène anormal pour une prestation nouvelle " note la Cour des Comptes. Le rapport est précis:
"Le taux de non-recours au RSA « activité » a été mesuré en confrontant les effectifs de bénéficiaires relevés dans les fichiers de la caisse nationale d’allocations familiales aux résultats des estimations de la population éligible au RSA « activité ». L’enquête quantitative conduite fin 2010, par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) dans le cadre de l’évaluation du RSA, confirme ce résultat. En effet, selon cette enquête, le taux de non-recours est de 36 % pour le RSA « socle », 33 % pour le RSA « socle + activité » et 68 % pour le RSA « activité » seul."En d'autres termes, c'est un fiasco. Les conseillers notent certes qu'il y a une grande volatilité dans le recours au dispositif: un grand nombre de personnes font des "allers et retours". Mais la Cour livre aussi une conclusion sans détour: "on estime que deux foyers éligibles sur trois ne demandent pas à bénéficier du RSA Activité." Là est le vrai scandale. Tandis que quelques ténors de la droite saumon fustigeaient le prétendu assistanat - rappelez-vous Laurent Wauquiez - le système était suffisamment tordu pour que les bénéficiaires n'en réclament aucun bénéfice.
Au passage, la Cour des Comptes livre un autre résultat, connu et désastreux: "Le non-recours au RSA «activité» est donc particulièrement élevé, sachant que les taux de non-recours pour d’autres prestations sociales (hors RSA) sont de l’ordre de 25 à 33%." A l'automne dernier, une belle étude avait permis de documenter la chose. A force de complications administratives, des centaines de milliers de foyers ne réclament plus l'aide à laquelle ils ont droit. Une triste réalité exposée par des chercheurs, une réalité invisible pour les chantres de la Droite forte. Nous en avions une autre preuve, cette fois-ci, dans ce rapport de la Cour des Comptes à propos du RSA.
... à cause des lacunes...
La Cour des Comptes avance plusieurs explications à cette sous-utilisation d'un dispositif d'aide sociale en pleine crise: d'abord, le dispositif est resté mal connu. Depuis le printemps 2009, les CAF ne mènent aucune action d'information sur le sujet...
Ensuite, la Cour des Comptes relève la multiplicité incroyable des services instructeurs, la complexité des formulaires de demandes, les contraintes de la déclaration trimestrielle de revenus ("La nécessité de renouveler tous les trois mois la déclaration de ses revenus semble être également un motif de non-recours ou de sortie prématurée du dispositif."), le tout pour une prestation in fine jugée trop "imprévisible" par ses bénéficiaires. La Cour note que d'autres dispositifs "concurrents" du RSA Activité ont été maintenus (exception des DOM, cumul d'indemnisation chômage avec des revenus d'activité partielle, ASS, allocations familiales, et Prime pour l'emploi).
Il y a aussi ce défaut a priori majeur: le barème et le mode de calcul du RSA Activité "ne permettent pas toujours aux foyers bénéficiaires de sortir de la pauvreté."
... et du flicage
Mais il y a plus surprenant, plus grave, plus honteux encore: la Cour relève que la population bénéficiaire rechignerait à réclamer à cette aide, considérée comme "stigmatisante". Cette allocation engage "des démarches trop compliquées pour une allocation perçue comme peu sécurisante."
Sur ce point, la Cour confirme une analyse apportée dès 2009: l'ampleur du flicage mis en place avait surpris. Tout était fait pour décourager les bénéficiaires. Les formalités de contrôle du RSA sont strictes et intrusives comme jamais: il fallait lire le décret d'application "n° 2009-404 du 15 avril 2009 relatif au revenu de solidarité active" pour mesurer le désastre: le contrôle des bénéficiaires est autorisé à leur insu, via l'interrogation de toute "personne morale", publique ou privée, disposant d'informations électroniques sur le bénéficiaire du RSA. Toute "personne morale" compétente sur des sujets aussi variés que le crédit à la consommation, la vente de matériel hi-fi, les déplacements, ou les hébergements en hôtels. De même, les risques de radiation y ont été définis de façon plus larges que pour le RMI que le RSA remplaçait.
Il y avait aussi ce fichier @RSA, administré par la Caisse Nationale des Allocations Familiales. Il était alimenté et consultable par un nombre incroyable, et peu maîtrisable, d’administrations publiques et de services sociaux (CCAS, fonctionnaires départementaux, associations et organisations à but non lucratif ayant délégation RSA du conseil général, CAF, Pôle Emploi). Ce fichier ajoutait également de nombreuses informations nouvelles par rapport à celles recueillies dans le cadre du RMI; 13 items complémentaires, parfois surprenants, doivent être renseignés sur le demandeur.
Imaginez que les mêmes informations soient réclamées ou "réclamables" à l'encontre de bénéficiaires de niches fiscales destinées à des foyers plus fortunées... Imaginez le tollé, le scandale et la pression des lobbies... Imaginez...
On résume: un dispositif social créé en grandes pompes, assortis d'un flicage inédit, qui finalement ne sert à rien...
Stop ... ou encore ?
Lire le rapport de la Cour des Comptes: ici.