Retrouvez l’interview de Thierry Marchal-Beck dans le dernier numéro de “Regards sur la droite” consacré à la lutte contre les extrémismes :
Le MJS a entrepris un important travail de caractérisation et d’analyse critique sur la droite et l’extrême-droite. Comment cette entreprise se décline-t-elle ?
L’essentiel de notre réflexion porte sur la droite, l’extrême-droite et la radicalisation de certaines franges de la droite républicaine. Nous nous efforçons d’analyser et de disséquer les
propositions et l’idéologie des partis qui forment l’opposition, en mettant l’accent sur les politiques libérales et conservatrices dont ils se font les promoteurs. Ceci vaut, en particulier,
pour le mariage pour tous auquel ils sont naturellement hostiles, la fin du CDI, la remise en cause de notre modèle de retraites, ou bien encore le salaire minimum…
Ce travail critique est complété par une entreprise de veille systématique, menée depuis deux ou trois ans, sur les questions identitaires. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, la
droite ne se positionne plus uniquement sur les sujets économiques et sociaux, mais sur des aspects citoyens et sociétaux. Avec l’ambition de définir un nouveau périmètre national. L’exemple vaut
également pour les questions migratoires et l’identité, avec la remise en cause du droit du sol. Et, à la clé, une stigmatisation de plus en plus pressante des personnes de confession musulmanes,
que d’aucuns assimilent à tort au radicalisme et à l’islamisme.
Ce positionnement radical d’une partie de l’UMP et de la droite forte s’est opéré sous le mandat de Nicolas Sarkozy, au prix d’une véritable emprise idéologique de l’extrême-droite sur la droite.
Oui. L’organisation, par le Bloc identitaire, d’« apéros saucisson et pinard » ou de la « soupe au cochon » en est d’ailleurs la parfaite illustration. Elle se poursuit par une véritable
réappropriation du vocabulaire frontiste par l’UMP, sous l’égide de Patrick Buisson, et ce parmi les plus hautes fonctions de l’Etat.
Tout cela, nous l’analysons. Et, nous constatons qu’il existe une véritable tentation unitaire, à droite, autour de la question de l’Islam. L’interdiction du port du voile ou de la burqa aussi
légitime qu’elle soit, s’opère ainsi dans un climat permanent de stigmatisation vis-à-vis de la communauté musulmane. Et, il ne fait aucun doute, à cet égard, que l’alignement que vous évoquez
sur les thèses du Front national a été manifeste au cours de la dernière campagne présidentielle. Il s’est traduit, entre 2007 et 2012, par un niveau d’expulsion des populations issues de
l’immigration jamais atteint jusqu’alors. Avec des contrôles d’identité systématiques et une politique de stigmatisation qui donnent une nouvelle définition de ce qu’est le « nous ».
Tout cela est à mettre en lien avec le rôle prétendument positif de la colonisation, l’absence de repentance, après les actes de tortures perpétrés durant la guerre d’Algérie, ou bien encore le drame lié à l’abandon des Harkis par la République.
Oui. Il est important de mesurer le poids de l’héritage colonial dans le discours aujourd’hui entretenu par la droite extrême et l’extrême droite. Le terme « d’assimilation » par exemple est issu
de l’administration militaire lors de la colonisation en Algérie. Le colonisateur distingue dès lors les populations juives et Kabyle qui seraient semblables aux « musulmans », à qui on ne
reconnaît d’ailleurs pas la qualité d’Algériens, qui seraient eux-mêmes culturellement inassimilables, comme le démontre les travaux de Patricia Lorcin. Nous constatons à quel point la rhétorique
sur l’assimilation, qu’il faudrait par ailleurs distinguer de l’intégration souhaitée par le Front National, vise à véhiculer l’idée que certaines populations seraient culturellement
inassimilables.
On peut y ajouter l’inflation sécuritaire et la thématique migratoire. Ce sont d’ailleurs souvent les jeunes issus des quartiers populaires qui sont la cible de ces attaques, dont Nadine Morano
s’est fait une spécialité. À droite, il est écrit que la peur doit changer de camp et que l’inflation des lois sécuritaires est la norme. L’empreinte idéologique et culturelle de l’extrême-droite
est ici très prégnante. Le plus surprenant, c’est que le nombre de policiers n’a cessé de diminuer entre 2002 et 2012. Ce qui tend à démontrer qu’au-delà de l’interpénétration entre la droite et
l’extrême-droite, nous sommes bien dans le discours et l’idéologie.
La structure de l’électorat FN et UMP est pourtant loin d’être homogène…
Absolument. L’entre-deux tours de la campagne présidentielle l’a d’ailleurs parfaitement démontré. Nicolas Sarkozy a certes réussi, en 2007, à capter dès le premier tour de la présidentielle une partie des voix du FN. La mise en place d’une politique favorable aux plus riches a toutefois changé la donne, au fil du quinquennat. Parallèlement, les ouvriers et employés, issus des territoires périurbains, se sont rapprochés peu à peu de l’extrême-droite, au détriment de la gauche et de la droite républicaine. Sarkozy l’a parfaitement saisi. Pour qu’un ouvrier ou un employé puisse voter Sarkozy au second tour, c’est à dire contre ses intérêts matériels, il doit passer par un « sas » qu’est le vote Front National. Nous constatons à quel point la droite a besoin de substituer la question raciale à la question sociale pour obtenir une majorité politique. D’où sa stratégie d’empiètement sur l’idéologie frontiste dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2012. Mal lui en a pris.
Une étude de la Fondation Jean-Jaurès et du CEVIPOF pour le journal Le Monde en date du 25 janvier, met en exergue les crispations alarmantes de la société française. Elle pointe également la très forte demande d’autorité et la tentation du repli national. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Ce constat, nous le faisons également. Il n’y pas de fatalité, à l’heure où 20 % des jeunes optent pour le Front national. Ils ne votent d’ailleurs pas différemment de leurs parents. Lorsque le
FN est faible, il l’est tout autant chez ces publics, et inversement. Je constate, par ailleurs, que ce parti jouit d’une très faible audience dans le milieu universitaire, tandis qu’il peut
recueillir 30 à 35 % des suffrages chez les personnes peu qualifiées, issues, pour la plupart, des territoires périurbains. Les zones urbaines et rurales, votent en revanche clairement à droite
ou à gauche. Le FN y enregistre ses plus faibles audiences.
Au-delà de ce constat, le travail de déconstruction que nous avons entrepris doit être accompagné par l’affirmation d’un projet de société. Existe-t-il ou non une dimension xénophobe dans le vote
FN ? Bien-sûr. Y a-t-il une demande d’ordre et d’autorité dans cette offre politique ? Clairement, oui. La crainte et la peur d’être confronté à des cultures différentes de la nôtre ? Cela va de
soi. De tout cela, nous tirons des conséquences. Avec la volonté d’apporter des réponses à celles et ceux qui vivent quotidiennement sur ces territoires. Et qui sont touchés de plein fouet par la
crise, l’absence de services publics de proximité, la difficulté d’accéder à la culture, la santé ou à une école de qualité, la peur du déclassement, et qui seraient tentés par le repli sur soi.
La question du pouvoir d’achat occupe naturellement une place centrale dans leurs préoccupations. Ce que Marine Le Pen a compris de longue date.
Dans chacune de ses interventions, la présidente du FN insiste, effectivement, sur la peur de la mondialisation et ses effets sur la crise du multiculturalisme et du pouvoir d’achat, en reléguant au second plan les questions sociétales, qui figurent pourtant au cœur des préoccupations citoyennes.
J’ai grandi entre le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine. Deux territoires aux prises à d’importantes difficultés industrielles, dont les habitants ont des préoccupations souvent éloignées de
celles et ceux qui vivent dans des grands centres urbains. Ces disparités nourrissent la thèse frontiste d’une France « invisible » et de l’idée savamment entretenue par la droite selon laquelle
la gauche ne s’adresserait qu’aux populations issues des grandes métropoles.
S’ensuit la nécessité, pour nous, d’entretenir nos lien avec les acteurs des quartiers populaires, plus sensibles que d’autres au discours frontiste sur l’immigration et la priorité nationale.
Ceux-là mêmes qui voient dans Marine Le Pen une personnalité attentive à leurs préoccupations. Leur vote ne fonctionne pas tant sur des items que sur des considérations liées au pouvoir d’achat.
Mais, qu’on ne se méprenne pas : le programme du FN repose sur le principe de la préférence nationale qui transite par un changement constitutionnel et une remise en cause radicale de la
déclaration universelle des droits de l’homme et des citoyens. Au FN, la modernité n’est que de façade. Seule la communication prime.
Il nous faut donc impérativement réarmer les jeunes militants contre l’extrême-droite, son programme et sa conception du pouvoir, en ciblant, plus particulièrement, les zones géographiques où
elle enregistre ses résultats les plus flatteurs.
Justement, quelles actions le MJS met-il en œuvre pour combattre l’extrême-droite et le Front national sur le terrain ?
Là où nos militants se sentent les plus forts, le FN se retrouve souvent en position de faiblesse. En Ile-de-France, à Lyon, Toulouse, Marseille, Lille, Nantes et dans les villes universitaires.
À l’inverse, les bassins éloignés rendent le militantisme plus ardu. Ce qui pose clairement le problème des moyens. Comment fait-on pour toucher ces populations ? À l’occasion des campagnes
présidentielle, législatives et cantonales, les Jeunes Socialistes ont organisé de nombreuses caravanes militantes, dès que la situation l’exigeait. Il nous faut poursuivre cet effort, en
procédant à un véritable travail de caractérisation du Front national. Ce qu’a fait Laurianne Deniaud, en 2011, en interpellant Marine Le Pen, à plusieurs reprises.
Il nous faut expliquer clairement ce qu’est ce parti, en insistant sur les liens qu’il tisse avec des groupes d’extrême-droite et identitaires, son racisme antimusulman, le fait qu’il n’a jamais
été du côté des ouvriers, ou les attaques ciblées qu’il mène contre le droit des femmes. C’est notre priorité. Parallèlement, nous devons former les militants pour argumenter et répondre aux
interrogations légitimes de nos concitoyens. Enfin, il nous faut créer du lien et faire connaître notre projet de société. Et ce, en mettant l’accent sur les questions liées au pouvoir d’achat,
la santé, le logement et la mobilité dans les territoires périurbains. L’attente est forte et il nous appartient de rappeler avec force que la gauche est du côté des services publics car c’est le
patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas.
Les valeurs qui fondent le pacte républicain sont, de ce point de vue, essentielles. À charge pour nous de les défendre avec la même détermination que celle qui a valu à Nicolas Sarkozy et ses
troupes d’en saper les fondements. Notre rôle est d’affirmer les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. Il n’est pas question de s’excuser au motif qu’on est de gauche ! Nous sommes
pour la justice, la fin des peines plancher, la lutte contre les inégalités, l’intégration, la hausse du pouvoir d’achat. Montrons-le ! Nous sommes le parti de la liberté, de l’égalité et de la
fraternité.
Nous sommes persuadés qu’à périmètre culturel constant nous perdrons dans les urnes c’est donc une reconquête des têtes et des cœurs qu’il nous s’agit d’entreprendre. La gauche a besoin d’un
discours fort et clair sur ces sujets. Nous ne possédons pas les médias, ne faisons par le 20h de TF1, notre force, ce sont nos militants sur tous les territoires, qui convaincront leurs amis,
leur famille, leurs voisins.
La gauche éprouve souvent des difficultés à s’adresser, de manière homogène, aux populations issues des zones urbaines, périurbaines et rurales. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Les militants doivent occuper le terrain, rassembler, être présents dans le tissu associatif. Ce n’est pas facile. Il nous faut donc des moyens. Tout est affaire de volonté politique. Mais,
j’insiste sur une dimension essentielle : lorsque le déterminant du vote est à dominante économique et social, nous l’emportons. Employés et ouvriers doivent donc figurer au cœur de nos
préoccupations. La bataille idéologique et frontale avec la droite est en cela indispensable, d’autant qu’elle se réfère à un récit différent du nôtre. Non, la France n’est pas ce manteau de
clochers que Buisson tente de nous vendre, depuis des années. Elle est une terre d’accueil et d’égalité qui s’enracine dans la Révolution française. Assumons pleinement ce positionnement.
Il est tout aussi important de s’adresser aux habitants des quartiers populaires abandonnés à leur sort par les amis de l’ex-président de la République et qui subissent de nombreuses
stigmatisations, qu’à ceux qui vivent sur des territoires plus favorisés. Il y a un vrai danger à opposer plusieurs éléments issus de la classe populaire, au risque de trahir l’idéal d’égalité
porté par la gauche. Chacun doit pouvoir accéder à l’école de la République, aux services publics ou aux soins les plus élémentaires…
Toute stratégie visant à opposer des catégories de personnes est dangereuse, parce qu’elle ne fait que diviser et fractionner la société. Ceci n’apporte rien de positif à la gauche.
Interrogeons-nous plutôt sur l’encadrement des loyers, l’aide aux transports ou l’accès à la santé. François Hollande n’aurait jamais été élu s’il n’était pas parvenu à accumuler entre 6 et 8
millions de voix dans les quartiers populaires.
Propos recueillis par Bruno Tranchant
http://issuu.com/jeunes-socialistes/docs/regards_sur_la_droite_n__13
MJS