Au-delà des justifications sécuritaires ou humanitaires se cachent derrière l’intervention française au Mali de grands enjeux géopolitiques avant même d’être économiques ou énergétiques.
Par Soufiane Kherrazi.
Selon l’hebdomadaire français Charlie Hebdo, le président François Hollande aurait demandé au groupe français des télécommunications Vivendi de maintenir ses 53% qu’il détient dans le capital de Maroc Télécom. En effet, l’opérateur qatari, Qatar Télécom, a déjà à plusieurs reprises exprimé sa volonté de s’implanter en Afrique du nord. Ses ambitions nord-africaines ont été concrétisées en grande partie grâce à l’acquisition en août dernier de 42,7% dans une entreprise koweïtienne, Watanya Télécom, implantée en Tunisie et en Algérie. Pour renforcer davantage sa position naissante dans le marché maghrébin, la compagnie publique du Qatar, Qtel, n’a pas craint de manifester son intérêt pour le secteur marocain des télécoms, notamment le rachat des 53% détenus par Vivendi dans le capital de Maroc Télécom. De son côté, le groupe français Vivendi a exprimé son intérêt à conclure l’accord et, par conséquent, la vente de ses parts dans le premier opérateur du Maroc vers la fin du premier trimestre de l’année en cours.
Cette transaction viendrait ainsi comme résultat de la saturation du marché marocain des télécommunications, et répondrait à une logique commerciale de contrôle. En effet, avant que la saturation du marché ne se traduise par un déclin de celui-ci, et tant que les plus-values restent confortables (le cours actuel est de 104,85 Dh/Action de Maroc Télécom selon la bourse de Casablanca, le 11 février), il serait bien mieux pour l’opérateur français de refourguer ses parts à cet investisseur qatari si intéressé.
Cependant, d'après ce que Charlie Hebdo vient de nous révéler, le président français aurait demandé à ce que cette transaction, qui se chiffre à pas moins de 5,5 milliards d'euros, ne voit pas le jour immédiatement. Cette crainte s’explique par le rôle géostratégique que joue dans la zone le réseau marocain, Maroc Télécom, qui détient le contrôle majoritaire des principaux opérateurs de la région du Sahel, notamment en Mauritanie, au Burkina Faso, au Niger mais aussi et surtout au Mali. Avec cette cession, la France pourrait perdre un avantage dont elle dispose et a besoin. En matière de stratégie militaire, les réseaux de télécoms revêtent aujourd’hui une importance capitale. De ce point de vue, Maroc Telecom serait d’une très grande utilité dans la région du Sahel pour les services de renseignement français, qui, grâce à cet avantage, peuvent contrôler plusieurs communications dont celles des Jihadistes d’AQMI ou du Mujao.
À cette raison géostratégique s’ajoute également une raison militaire, qui serait d’ailleurs à l’origine du retard souhaité par l’Élysée dans la vente des actions du groupe français. En effet, les services de renseignements français ont des doutes sur de probables liaisons qu’entretient le Qatar avec les bandes armées du Mali. Dans la mesure où le Qatar souhaite ardemment obtenir cette offre de rachat via Qtel, une telle cession pourrait être néfaste pour la suite de l’opération Serval que mènent les forces françaises au nord du Mali. En d’autres termes, si, durant cette période de guerre, la France venait à céder ses parts, celles-ci, une fois détenues par le Qatar, lui permettraient de contrôler le réseau subsaharien et pourraient se transformer en une véritable arme dont bénéficieraient les djihadistes de la région. Les services de renseignements français pourraient perdre les avantages qu’offre un tel réseau en tant qu’outil efficace d’espionnage, notamment la possibilité de maintenir les groupes terroristes sous contrôle, d’identifier leurs zones, leurs numéros ou de mettre leurs communications sous écoute.
Toutes ces questions stratégiques et géostratégiques pourraient enfin servir des considérations économiques, géopolitiques et énergétiques majeures. En effet, derrière l’engagement militaire français aux cotés des forces maliennes d'une part, et le soutien logistique qatari aux groupes djihadistes d'autre part, personne ne peut nier l’existence des parfums d’intérêts énergétiques et économiques contradictoires qui animent les deux parties.
Pour comprendre la place du Qatar dans l’équation nord-malienne, il faut se référer à son jeu d’équilibriste qu’il essaie toujours de mener en soutenant à la fois les uns et les autres. La politique étrangère qatari est complexe et multidimensionnelle. Son positionnement est à géométrie variable : s’il a appuyé les mouvements populaires du réveil arabe en Tunisie, en Égypte, puis en Libye avec l’OTAN, il a soutenu en revanche le régime du Bahreïn. On l’a vu ainsi sur la question du détroit d’Ormuz où il a joué sur plusieurs fronts : tantôt du côté de Téhéran, tantôt du côté de Washington et Riyadh. Dans cette guerre du Nord Mali, le rôle du Qatar est majeur et ne doit pas être négligé. Il se positionne à la fois comme ami et ennemi de l’occident en général, et de la France en particulier. Ami et allié de la France quant aux investissements en matière de ressources minières dans la région sahélienne et ennemi "parce qu’il soutiendrait logistiquement et financièrement des groupes tels que Anser Dine, les insurgés du MNLA, le mouvement Aqmi- Mujao" et d’autres coalitions terroristes présentes en Afrique de l’Ouest. Une présence qui se justifie par des intérêts économiques, selon le géographe Mehdi Lazar : "Le Mali dispose d'un potentiel gazier et a besoin d'infrastructures pour le développer. Or le Qatar maîtrise ces techniques. Il pourrait ainsi, en cas de bons rapports avec les dirigeants d'un État islamique au nord du Mali, exploiter le sous-sol qui est riche en or et en uranium et le potentiel gazier et pétrolier", précise-t-il.
De même, l’intervention de la France au Nord du Mali soulève de nombreuses interrogations. Aujourd’hui, cela fait un mois que "la France est en guerre" et on compte déjà 70 millions d’euros dépensés, uniquement liés à la première phase de déploiement de l’opération Serval, la plus coûteuse. Au total, la France débourse un montant de 2,6 millions d’euros en moyenne par jour, selon les chiffres de la défense, soit environ le double comparé à celui de l’intervention en Libye (1,246 million d’euros/jour). Ces chiffres, et bien d’autres, nous amènent à nous demander si la France supportera toutes ces dépenses colossales sans exiger de contrepartie pour le seul et unique bien du peuple malien, si son engagement militaire dans le pays sera suivi d’un plan de reconstitution, ou si, bien au contraire, son intervention ne sera qu’un instrument, parmi d’autres, de sa politique françafricaine dont le gouvernement socialiste fera usage en vue d'exploiter d’immenses découvertes gazières et pétrolifères de l’Eldorado africain, et plus particulièrement, le potentiel du sous-sol du nord malien !
Au-delà des justifications sécuritaires ou humanitaires se cachent derrière l’intervention française au Mali de grands enjeux géopolitiques avant même d’être économiques ou énergétiques. Géopolitiques parce qu’en réalité la France ne cesse d'être en perte de vitesse en Afrique depuis quelques décennies, et que, si cette mauvaise tendance devait se confirmer sans anticipation ni intervention militaire, la France forte ne ferait que "subir la montée de l’influence américaine dans toutes ses anciennes colonies".