Les Français sont devenus des loups les uns pour les autres à partir du moment où l’État leur a promis la richesse gratuite.
Un billet d'humeur d'Aurélien Biteau.
Le parasite suce les énergies du pays en son nom, dit-il. C’est la France qui l’appelle et sans lui la France n’est plus rien. Qu’il l’écrase de son poids, qu’il la broie sous ses lois et qu’il la tue de ses ponctions, c’est sans doute pour le rayonnement de la Nation et la prospérité des Français.
Là est le malheur de la France : si l’État-Providence a échoué sur le plan économique, il a vaincu le peuple. Celui-ci est corrompu.
Ainsi les Français sont devenus des loups les uns pour les autres lorsque l’État leur a promis la richesse gratuite. Pas trop idiots, ils ont bien compris que la richesse gratuite venait de la richesse produite par autrui. Ils auraient pu porter la promesse de l’État en horreur, ils auraient pu rester fidèle à la vertu et à la justice, ils ont applaudi et réclamé davantage. Pourquoi ?
Il y a plusieurs façons de faire une promesse malhonnête. On peut la faire en assumant être malhonnête, expliquant la combine à voix basse et à l’abri des regards, comme le font les gredins. Mais cette manière ne corrompt pas un peuple, elle corrompt l’inévitable part des pourris. On la pratiquera plutôt entre sois, dans les salles de partis et les assemblées politiques.
Il y a une autre manière de faire une promesse malhonnête. C’est de ne rien assumer du tout et de la faire passer pour une honnête promesse. L’honnête homme est séduit, le peuple est corrompu. Quels coups portés à la vertu font du pillage un honnête principe ?
Un changement du sens des mots peut bien y aider. Un peuple vertueux peut-il refuser d’être libre, d’aimer et aider son prochain, et de préserver l’ordre ? Que la liberté devienne donc un ensemble de capacités, que la charité soit fondue dans la solidarité, que le droit soit perdu dans la morale au profit de la loi, et voilà. Peu importe aujourd’hui comment cela est arrivé, mais c’est arrivé.
L’État fait la promesse de la richesse gratuite au nom d’une vertu viciée. Le peuple veut la liberté, l’entraide et l’ordre, à juste titre, mais lorsqu’il veut dire ces mots désormais, il ne réclame que l’esclavage, le pillage et le chaos.
L’État dit au peuple qu’il partage ses valeurs, qu’il l’entend, et pour cause, il l’entend mieux que quiconque. Il y gagne beaucoup, le parasite, sur le dos de la France. Le peuple n’y gagne rien. Il se défait sous la volonté politique.
Le peuple est corrompu. Il a abandonné la vertu pour le vice. On l’y a aidé. La loi encourage le vice, ou plutôt les lois chaque jour plus nombreuses couvrent le pays comme un énorme nuage noir et réduisent la légalité comme peau de chagrin. Quoi que tu fasses, cher peuple, une loi t’imposera la façon de le faire, tandis qu’une autre plus sournoise t’interdira de le faire. La République de Kafka réalise la métamorphose : peuple de cafards que les hautes devises moqueuses des administrations, cyniques labyrinthes, écrabouillent.
L’État-Providence, ami du Diable, réduit le peuple à l’état de la meute, lentement. Et le peuple est perdu, s’accrochant à la liberté, l’amour et l’ordre : mais c’est l’esclavage, le pillage et le chaos que l’État a étiqueté avec ces mots.
Voilà le peuple qui finit par les aimer. Il réclame l’esclavage au nom de la liberté. Il prend le pillage pour de l’amour. Dans la mesure du possible, les individus, pas encore bêtes, préféreront d’abord faire goûter cette nouvelle recette de vertu aux autres.
C’est que dans la cage qui se construit, le vice devient peu à peu la règle de la survie. Comme les lois font de tout honnête profit une perte sévère, et bientôt un délit, l’encouragement est au vice. Quand il est interdit de gagner sa vie à la sueur de son front, on la gagne à la sueur du front des autres. Et chacun, médiocre, se pense plus malin qu’autrui.
Lentement mais sûrement, le peuple perd le sens commun. Il oublie que sur Terre rien n’est acquis pour l’Homme, que la Terre ne lui doit rien et ne lui offre rien, qu’il doit tout faire par lui-même pour satisfaire ses besoins. Ils oublient que tout le capital et les richesses de la France ne sont pas descendus du ciel, qu’ils ont été produits et transmis par des générations d’hommes durant des dizaines de milliers d’années.
Retournant à l’enfance, le peuple veut ignorer les contraintes. Il les fuit plutôt que de les affronter. Mais la fuite fait davantage de mal que le courage : l’épée de Damoclès étourdit les têtes en furie. Le peuple offre un chèque en blanc à l’État : que celui-ci fasse tout ce qu’il veut dans la mesure où le peuple n’entend pas parler de contraintes. L’illusion étouffe la réalité.
Le peuple est corrompu. Il réélit les pourris. Il accepte la mafia syndicale. Il voit les dettes de l’État s’envoler sans broncher. On lui prend le fruit de son travail dans des proportions toujours plus fortes, il laisse faire. Les lois s’empilent par milliers chaque année et il ne dit pas un mot. Les résultats de l’Éducation Nationale sont catastrophiques, il n’entend rien, et ne sait pas lire. Le principe-même d’une école unique ne le fait pas frémir de peur. Il attend toujours plus longtemps pour recevoir des soins et être remboursé, qu’à cela ne tienne. Qu’elle est amorphe, la masse des cafards sur le dos.
Le bon sens a fini par lui filer entre les doigts, mais la presse et l’université ont trouvé de quoi le remplacer. La France vit sous le règne de l’idéologie. L’anesthésie est réussie. Une cohorte de mots puants est lâchée tous les jours dans les journaux et les bouches politiques, qui peuvent, sans vergogne, dire des cercles qu’ils sont des carrés. Et bien sûr, toi l’individu, toi le Français, ose dire des cercles qu’ils ne sont pas carrés : tu es réactionnaire. Après tout, c’est un progrès que les cercles puissent être des carrés.
Aujourd’hui, la France est gravement malade de son État, économiquement, politiquement, moralement et philosophiquement. Le peuple est atteint. Tout ceci ne peut que mal finir. Le point de non retour dans la corruption du peuple semble être atteint. Il semble pouvoir tout accepter, puisqu’il s’estime responsable de rien. Et l’État, lui, s’est dédouané sur des boucs-émissaires : les riches, les libéraux, les catholiques, les étrangers, etc. La sainte sanglante Révolution poursuit son œuvre et détruit ses idoles.
À la santé du peuple de France, qu’il la recouvre sans vengeance.