Vous vous souvenez de cette scène d’Amadeus dans laquelle le jeune Mozart, enfiévré et quasiment proche de la folie, dirige un orchestre emporté par ses géniales mesures? Eh bien, c’était un peu notre état, la coiffure et la baguette en moins, quand on a su qu’on allait déjeuner au Passage 53. L’Histoire le dira – la littérature le sait déjà (2 étoiles dans le petit livre rouge) – mais le talent du chef Sato Shinichi et le savoir-faire de son compère en salle Guillaume Guedj promettent au Passage un avenir radieux, bien loin de toute fin anonyme. On a beau dire, il vaut mieux être célèbre de son vivant.
Le P53 est un joli élément de la nomenclature gastronomique parisienne. Un décor très sobre en noir et blanc, de la porcelaine colorée, des convives d’élite (normal, 20 couverts) mais décontractés, et un menu de bouchées qui vous en boucheront justement un coin si ce n’est deux.
Passé par l’Astrance, notre ami Sato a depuis longtemps délaissé ses exercices pour s’atteler à des morceaux plus brillants, des œuvres qui demandent une parfaite maîtrise du solfège culinaire et un brin de folie. Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do, allegro presto. La montée en gamme est fulgurante. Les mesures parfaitement orchestrées s’enchainent sans faute. Avec un peu d’oreille, de goût et les explications du chef, on déchiffre cette partition avec délice avant de la mémoriser, et de vous la retranscrire ici…en clé de sole.
L’air marin domine en effet assez largement l’arrangement musical de l’œuvre du discret compositeur. Huitres pochées aux copeaux de foie gras et gelée de granny-smith, il fallait oser. Assemblage de couteaux au choux-vert et champignons blancs, il fallait essayer. Assiettes blanche de calamars grillés et choux fleur cru, il fallait goûter. Filets de sole de ligne, il fallait succomber. Jusque-là, sans faute.
Sans faute non plus pour le vin. Le P53 possède certainement une des plus belles caves de Bourgognes de Paris. Le choix du connaisseur s’est porté sur Meursault Coche Dury 2008. On l’a laissé faire : en ces temps de crise, il faut être libéral.
Sato réfléchit son menu en fonction des saisons. Nous aussi, on est pour le respect des aliments, surtout quand c’est la saison des truffes noires…On n’est pas du genre à contrarier la nature, alors, quand elles viennent à vous, là, comme ça, innocentes offertes dans leur bocal design, avant de se faire apprêter dans les coulisses puis de revenir par deux fois apporter une touche de sublime à votre repas, on applaudit de la fourchette. Première surprise, l’oignon doux confit qui abrite, intercalés, d’épais morceaux de la bête noire.
Seconde surprise, le dôme de truffe qui dissimule de l’ice-cream truffe façon stracciatella. Le contraste entre le croquant et la douceur de ce dessert est aussi extraordinaire qu’inattendu. Avec autant d’entrainement, on pourrait presque se faire embaucher dans le Périgord… après tout, cochon truffier, c’est un métier.
Sato excelle également dans les cuissons. Veau et bœuf rejouent la Méthode rose en totale harmonie avec les chips de topinambour et le cromesquis (décidément à la mode) de purée de céleri à la truffe (rien à voir avec Picard pour ceux qui se reconnaitront).
Le concert s’achève en très grande beauté par un pot-pourri de desserts : tarte au chocolat, crème aux litchis, mousse de clémentines et soupe vaporeuse au riz soufflé. La foule se lève, conquise.
Où : 53, Passage des Panoramas, 75009 Paris
Quand : en début de mois, à moins que vous entreteniez d’excellentes relations avec votre conseiller de la SG
Avec qui : justement, avec votre conseiller de la SG, ou plus simplement avec un autre JL
A vos pieds : ballerines vernies / mocassins en daim
Dans votre ipod : Victoire Passage