Magazine
Jour 04. Guillaume. - THE RUBY SUNS, Adventure Tour (sur l'album Sea Lion, 2008)
Publié le 31 mars 2008 par Oagd
1°) Imaginez, à votre échelle : un Paris-Brest par les petites routes, accompli d'une traite, huit heures d'affilée cramponné au
volant, à rouler tambour battant sous des trombes d'eau puis, camping à Plouarzel avant de gagner l'île d'Ouessant. C'est peu ou prou le genre de périple diluvien (« This
adventure tour / has turned out / to be a driving raining / MESS») que raconte Ryan McPhun dans Adventure Tour, à une différence près : c'est arrivé très loin de chez nous, à
l'autre bout du globe, en Nouvelle-Zélande. Et le trajet relaté, Auckland-Wellington - avant de rejoindre l'île Sud - n'a certainement jamais prêté son nom à quelque sorte de pâtisserie.
2°) Y a-t-il d'ailleurs seulement des pâtisseries là-bas ? Et l'herbe est-elle plus verte qu'ici ? Les gens jouent-ils vraiment
au cricket le dimanche ? Le soleil se diffracte-t-il donc en plusieurs astres couleur rubis ? Ce sont ces questions candides, et d'autres encore, qui me vinrent à l'esprit lorsque je
rencontrais Ryan et ses Ruby Suns, il y a tout juste un an, alors qu'ils venaient donner leur premier concert à Paris. Nous avons partagé un repas tous ensemble et nous avons ri, beaucoup. Nous
avons convenu que manger du poisson, c'est plutôt cool (« fish is fashion »), à leur demande je me suis hasardé à la traduction de « french toast » en « pain perdu »
et ils m'ont raconté cette fois où, lors d'une tournée américaine, leur mobil-home prit feu avec toutes leurs affaires dedans. Mais avec eux, pas d'autre échappée possible, même ce drame déboucha
sur la joie : un concert de charité dans une église avec des instruments prêtés pour l'occasion, et la une du journal local.
3°) Je ne suis pas avide d'exotisme quand il s'agit de pop, je me méfie du folklore. Je n'attends pas d'une chanson qu'elle me déguise en
un autre, au contraire, j'y cherche mon propre reflet. Et pourtant, je vire volontiers ma cuti avec les Ruby Suns, je veux bien grimper dans leur carlingue, avaler des miles et des miles avec eux, traverser le Detroit de Cook et camper à Farewell, chanter en maori et enfiler des colliers de fleurs. « I
would like to say goodbye to television for my visions foresees no better opportunities to research, reason and learn » chante Ryan sur le « pont », entre les deux couplets.
Oui, je veux bien moi aussi oublier mes habitudes civilisées.
4°) En réalité, Ryan McPhun est un garçon comme vous et moi : assez discret, un peu timide, ayant parfois comme il me l'a confié
quelques difficultés à sociabiliser sans le recours à quelques bières (« hard time being social without a little alcohol »), mais heureux de vivre au fond de lui. Californien de
naissance, il voue comme vous un culte à Brian Wilson et écoute de la pop des sixties, mais aime aussi, comme vous, Arthur Russell ou Animal Collective et conçoit ses propres albums dans sa
chambre ou dans son sous-sol. Aussi, il aime enregistrer toutes sortes de choses sur son dictaphone et prendre des notes. Vous pouvez vous dire qu'il y a un « lointain familier », un
être semblable avec qui vous pourriez passer une nuit entière à partager des goûts communs. Et boire des bières.
"Un garçon comme vous et moi..."
5°) Introduites comme par la manivelle d'un manège de poupées (« winchs »), un ressort que l'on tend, les guitares gonflent les
voiles. Si polyrythmie il y a, aucun doute, l'effet vient violemment d'elles. Elles ancrent le temps et son pendant, balancier permanent, envoûtant, rassurant. Elles sont à la fois la voix et le
claquement de mains, le vide et le plein, la houle et le roulis, les bouées de sauvetage. À l'approche du continent nouveau, elles
changent de tempo, traduisent le chaloupé, le vahiné, parlent la langue de l'étranger, changent d'humeur. Et s'en vont comme elles sont arrivées, mais plus lentement, plus longtemps ré-embobinées.
6°) Lors des premières écoutes, le texte est avalé. Mais les mots de fin de phrase clamés collectivement (« MESS » -
« GROSS » - « DRY » - « WEEKS » - « DOWN ») assujettissent aussitôt. Le texte n'est apparemment pas capital : j'ai eu
un mal fou à l'obtenir de Ryan. Son « Hope this helps !! » en p.s. de son mail suffit à condenser notre affaire. Car si nous ne sommes pas en face d'un poème de Keats ou
de Lord Byron, les mots font leur « pop job » et vont même jusqu'à, une fois chantés, prendre le large. Ils glissent, se hissent, fluides sur la trame musicale. Ils se précisent,
garantissent l'allitération et l'assonance en permanence. « Just south of Murray's / on beach road was where i saw / the most spectacular thing i'd seen in WEEKS ». Hope this
helps !!
7°) « The « Chrismas » segment on 8 was recorded on dictaphone in an old jail near the rose gardens in Lyttleton, NZ.
Lauren McPhun, Chris Scanlon & Ryan were singing » nous avertissent les notes de la pochette de l'album « Sea Lion » qui figurait en un exemplaire unique au rayon
Indie du Virgin des Quatre Temps. Je ne sais fichtre rien de cette prison ni de ces jardins mais, même si j'ai tenté de vérifier sur Kiwipédia, pardon, Wikipédia, je ne doute pas un
instant de la véracité des informations en question. Je crois Ryan sur parole et, bien que le livret m'ait privé du plaisir de les distinguer enfin, ses paroles, je ne regrette rien : ça
m'aura au moins aidé à me rapprocher encore un peu de mon exotisme assumé.
[Quatre chansons de l'album en écoute ici.]