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Ils se sont rencontrés par hasard. Dans un restaurant italien de New
York au début des années 90.
Deux filles : Kazu Makino et Maki Takahashi, jeunes japonaises venues étudier l'art à New York.
Deux garçons : Amadeo et Simone Pace, italiens, frères, jumeaux même, débarqués à NYC pour la musique.
(On aurait pu d'ailleurs dévier sur le parcours de ces derniers : Milan, Montréal, Boston où ils étudient le jazz...
On aurait pu...). Belle symétrie, étrange, ce double couple; mais le parfait équilibre viendra plus tard, quand il n'en
restera plus que trois : Kazu, Amadeo et Simone.
Dans ce restaurant italien, j'aurais pu les rencontrer. A table avec eux, on s'imagine parler de gastronomie, de Gainsbourg (une icône
pour eux : ils reprennent la chanson « Slogan », la rythmique de « Requiem pour un con »...), de cinéma, la Nouvelle Vague, Michel Legrand, Georges Delerue (leur quatrième album est baptisé « In an
expression of unexpressible », une citation de Delerue à propos du rôle de la musique dans un film). On ressert le chianti.
On parle aussi - évidemment - de la scène no wave / noise new yorkaise : Lizzy Mercier Descloux, Mars, Liquid Liquid,
ESG, Glenn Branca... de DNA...- évidemment DNA - ...et de Sonic Youth...- évidemment Sonic Youth - ...
Blonde Redhead c'est le nom d'une chanson de DNA (le groupe d'Arto
Lindsay)...
Sonic Youth, Ils leur doivent d'être sortis de l'ombre. Steve Shelley,
batteur de SY, les signe sur son label Smells Like Records pour deux albums, après qu'ils aient joué ensemble en Italie. Autre lien, plus gênant, entre les deux groupes : on accuse
souvent Blonde Redhead de plagier leurs aînés...ça n'a duré qu'un temps.
Dans ce restaurant italien, j'aurais pu les rencontrer. ...et passer à côté de Ça...
La Mia vita violenta vu
par Thibault Balahy (blog ici)
Ça : c'est découvrir cette pochette « La Mia Vita Violenta » dans la discothèque d'un pote au début du lycée. Les
découvrir alors que j'ai 16ans...Ne rien savoir d'eux, de là où ils viennent, juste que c'est sur le label d'un mec de Sonic Youth...ça donne envie à 16 ans...et toujours
aujourd'hui.
Mettre le cd dans la platine et se liquéfier. Les sons, les voix, tout appelle à la jouissance, à l'orgasme.
« I still get rocks off », le morceau d'ouverture, est une parfaite mise en bouche. Littéralement : « Je jouis
encore/toujours ». Deux corps crient leurs désirs, leurs souffrances. Rien ne semble plus douloureux que d'avoir aimé. Partout on sent une violence latente des rapports entre les
deux sexes : dans « Violent life » (traduction anglaise du titre italien de l'album) : « With a thousand kisses / Every second I think of you / Come back it's
fine / Bring some wine / And leave my mind forever » ; dans « I am there while you choke on me », comprenez : « Je suis là pendant que tu suffoques sur
moi » ; dans Bean : « Nothing to share / I just want it back / I never thought to leave / To be so brave »...
« Harmony », morceau charnière, cinquième titre sur dix, est peut être la seule respiration de l'album : cithare et
encens, corps plus las que lascifs. Une respiration qui annonce une accalmie, rythmique seulement, car le propos reste inchangé : éventrer doucement, à coups de cutters, les tableaux
campant des scènes d'amours parfaites.
J'ai 16 ans à chaque fois que j'écoute cet album. J'ai 16 ans alors que j'écris. Replonger en adolescence à l'envie, ça se refuse
pas. J'ai 17 ans et demi quand ils viennent jouer près de chez moi dans un festival appelé sobrement « La Bite Generation », qui interdit l'accès au moins de 18 ans. Mes amis, eux,
ont tous plus de 18 ans...La frustration, on peut très bien s'en dépêtrer quand on a les bonnes armes ... ou les bonnes drogues. J'avais « La Mia Vita Violenta » en boucle dans ma
chambre : j'avais une arme et une drogue. Je crois m'en être sorti.