Jour 12, Julien : MICHAEL HEAD & THE STRANDS, Something Like You (sur The Magical World of The Strands, 1997)
Publié le 09 avril 2008 par Oagd
The Magical World of the Strands vu par Thibault Balahy (blog ici)
De cette chanson, un illustre musicien pop anglais dit un jour qu'elle « n'aurait pas pu être écrite ailleurs qu'à Liverpool » (Liverpool, Wondrous Place, Paul du Noyer).
Gardons-nous pour l'instant d'en dévoiler l'identité. Et prenons d'abord le parti, si vous le voulez bien, de tenter de
déceler ce que cet homme a voulu dire ; et plus bêtement encore, s'il dit vrai. Nous sommes mardi 8 avril 2008, à peu près 14h00. Les circonstances de la vie font que je sors du bureau du
« citizens advice » de Liverpool d'où j'espérais, en pure perte, recueillir quelque information encourageante quant au litige qui m'oppose à mon employeur. Il fait beau. Il fait froid.
Face à moi, l'hôtel de ville surplombe une rue en descente vers la Mersey. J'enclenche mon baladeur CD avec, dedans, l'album de Michael Head & The Strands, et décide de musarder sur le chemin
de mon home, sweet home, à la recherche de la vérité.
Michael Head fut le leader des Pale Fountains dans les années 1980. Il est aujourd'hui, avec son frère John, celui d'un
autre groupe de Liverpool, Shack. Entre les deux, en 1997, il signe ce disque de son nom propre (ce qui étonne d'autant plus qu'il y est toujours accompagné du même cercle fidèle de proches, dont
son frère). Mais il y ajoute ce curieux side-band fictif, les Strands (les mèches, si j'ai bien compris). Michael Head et les Strands. Comme hier Gerry et les Pacemakers. Billy J.
Kramer et les Dakotas. Rory Storm et les Hurricanes. Bref un nom qui évoque instantanément, dans sa forme, cette litanie surannée de groupes étendards de la scène
Mersey Beat du début des années 60, ce temps où les Beatles (eux-même un temps nommés Long John and the Silver Beetles), loin de songer à conquérir le monde, n'étaient encore qu'un groupe parmi
tant d'autres dans la scène locale.
Je passe devant le Cavern Club reconstitué à quelques mètres de son emplacement initial, attrape-touriste notoirement
déprimant où ne sévit guère autre chose que des groupes hommage aux Beatles de quatrième zone. Premier couplet de la chanson : « Et quelqu'un a dit que le monde était prêt à être vendu aux enchères. Je pense que c'est vrai ».
Cela se tient.
A proximité de la gare centrale et de l'artère commerçante Bold Street, des mouettes volètent dans le ciel légèrement
assombri, on devine plus qu'on ne voit la présence des docks depuis lesquels on devine plus qu'on ne voit la mer d'Irlande. Deuxième couplet : « Et combien de fois sommes nous allés et venus dans cette ville qui est la nôtre, où la pêche est gratuite. / Le problème,
c'est que l'on refusait de payer le conducteur du Ferry » Là il ne fait guère de doute que
cette phrase n'aurait effectivement pas pu être écrite, au hasard, à Sheffield, Birmingham ou Stoke-On-Trent. Encore moins à Londres - où, comme chacun sait, rien n'est gratuit.
Sur la question des couleurs, évoquée ici même ces derniers jours, l'homme qui pense que cette chanson n'aurait pu être
écrite ailleurs qu'à Liverpool a aussi une théorie. Dans son esprit, la musique de chaque groupe renvoie à une ou plusieurs couleurs dominantes. « Celle de New Order est bleu et argent. Celle d'Oasis, rouge et marron. Celle de Dylan a des tons organiques, de sable, de
bois. » Et ainsi de suite. Que voit-on alors dans cette chanson de Michael Head ?
L'introduction, instrumentale commence dans des tons de rose et de violet clair, puis s'obscurcit très soudainement avant d'effleurer le noir total. Son corps, sa mélodie, oscillent du gris à
l'orangé. Sa fin est quant à elle d'un jaune aveuglant. Elle ne se fige jamais dans une teinte unique ou, plus précisément, elle se met à en changer sitôt qu'elle paraît s'être drapée pour de bon
dans l'une d'elles.
A la deuxième reprise du refrain, la guitare électrique du frère de Michael, John, apparaît, marque les temps avec la
caisse claire, fait l'effet d'une griffure agréable, sur ce tapis de violons immaculé. Il y a alors à cet instant un peu de sang noir qui irrigue cette chanson, de celui qui continue d'alimenter
ce culte de la musique soul américaine caractéristique du Nord de l'Angleterre, et de Liverpool en particulier, dans les clubs comme The Magnet ou Lago', un feeling de balade R&B.; Il y a dans
la douceur et recherche de pureté du chant de Michael Head quelque chose qui renvoie davantage à Sam Cooke qu'à John Lennon. Mais ce ne peut être anodin : le soir, dans les bars, on entend
plus de soul que de chansons des Beatles à Liverpool.
Me voilà au sommet de Duke Street, je ne suis plus très loin de chez moi, sur le trottoir de gauche, mon regard est
aimanté par les résidus d'un immeuble démoli au milieu desquels, entouré de toutes parts par des briques rouges, scintille un carré bleu ciel de papier peint, probable vestige d'une ancienne
salle de bain. Des briques, il y en a sur la pochette du disque, dont le titre, The Magical
World of the Strands, est écrit à la craie sur le mur. Mais il y aussi une porte. Gageons que le
« monde magique » en question se trouve derrière elle. Ou un carré de papier peint bleu.
Ce soir Liverpool affronte Arsenal à Anfield, en quart de finale de la Ligue des Champions. Un ami m'invite en fin
d'après-midi à voir le match chez lui. Il se trouve qu'il habite dans le quartier de Kensington, « Kenny », là où Michael Head a grandi. Michael Head est notoirement supporter des Reds
locaux, j'ignore toutefois s'il se trouve à se ce moment là au stade, dans les rues de Kenny ou ailleurs. Mais il n'est pas farfelu d'imaginer qu'il est dans les parages. La plupart des musiciens
pop originaires de Liverpool habitent toujours ici. Lee Mavers, Ian McCulloch, les Coral et les Zutons. Le centre-ville est si exigu qu'on finit toujours par les rencontrer de temps à
autres.
Au terme d'une rencontre à rebondissements, dont ils étaient virtuellement les perdants à 4 minutes de la fin, les Reds
finissent par l'emporter 4 buts à 2. Sur le pénalty réussi de Steven Gerrard, mes amis m'enlacent comme si j'avais toujours été l'un des leurs. Le kop d'Anfield entonne son hymne,
You'll Never Walk Alone. Something Like You, se termine par ces mots : « I
Believe In You. Forever... » Intervertirait-on ces phrases que, me semble-t-il, la face du kop et de la chanson de Michael Head ne s'en trouveraient pas
fondamentalement altérées. Elles recèlent ce même degré d'optimisme, de chaleur, de foi béate et d'amour qui ne manque jamais de me fasciner, venant d'une ville à juste titre réputée pour sa
dureté, son humour cinglant et sa vachardise, mais aussi, dans les mauvais jours, de me procurer un réconfort immense.
L'homme qui pense que cette chanson n'aurait pas pu être écrite ailleurs qu'à Liverpool a probablement raison. On ne
saurait soupçonner sa phrase de chauvinisme, puisqu'il est originaire de Manchester, la ville « ennemie » de Liverpool. Et certainement pas non plus d'ironie, de perfidie ou
d'hypocrisie, puisqu'il s'appelle Johnny Marr.