« Le mort était toujours vivant » Didjéko
André Chenet à son ami Didjéko qui vient de poser » « son sac d’égo » dans les débris d’une ville endormie, où un chantier en construction s’assimile à des ruines ; l’esprit du poète se retrouve ainsi « hors d’atteinte », en même temps « à distance / de l’exil » et « à l’écart / des échappatoires », en éveil, tout en étant déconnecté de toute activité : « Intérieur / Inactif / Mode interne / Activé ». C’est l’état qui permet la transformation : « Je raccrochais / Je décrochais / Je rassemblais / Mes esprits / Peu à peu … » » (D’après un commentaire de Dana Shishmanian sur une série de poèmes de Didjéko, pour Francopolis)
« Comprends-tu maintenant qu’il n’y a rien à comprendre ?
Qui comprend ? Qu’est-ce donc qui n’a pas été compris ?
Qui a été vécu pendant toutes ces années et qui est celui qui a
souffert ?
Resquiescat in pace ; de motuis…«
Wei Wu Wei (in « Le reste est esclave« )
« Voyageurs, vous manquez vraiment de manières ! Pourquoi avoir dérobé ce coq de l’auberge, qui annonçait l’aube ?
- Tu vois des fantômes, petit père ? railla la Puce. Figure-toi que ce poulet, c’est moi qui l’avais acheté en route pour notre dîner. Où est donc le coq dont tu parles ?
- Mais alors, où est passé le coq de l’auberge ? »
Didjéko au festival « Les Fous du Loup » mars 2012 (Photo Sandra G.)
Didjeko est décédé à l’hôpital de Lacassagne à Nice où il avait été admis, suite à une putain de maladie. Il avait 48 ans lorsque, la nuit dernière, il a accompli le grand rituel de passage, juste au moment où débutait l’année du Serpent d’eau, célébrée avec force pétards et feux de Bengale par les chinois et les tibétains. Aujourd’hui, le Boucanier de la poésie s’en est allé rejoindre ses frères en dérive. Il fut jusqu’à la fin plein de projets créateurs. Passionné de mots rares autant que d’expressions populaires, explorateur rigoureux des zones-limites de l’existence et inventeur de la technique du Coupé-Décalé ( à lire son manifeste dans le n° 6 de La Voix des Autres, à paraître en mars prochain), il était sur le point d’atteindre le sommet de son art. Il interprétait ses poèmes en s’accompagnant magistralement avec des guimbardes en bois ou en métal, de différents formats. Lors de ses performances scéniques, il avait le pouvoir de transporter ses auditeurs dans des états de transes poético-magiques et faisait danser les Esprits errants (les Gui: prononcer Kouei) dans les villes bétonnées d’ennui de notre temps. Guerrier urbain (« Didjéko, Ailes de la ville »), disciple de Li Po (Li Po était-il poli ?), il savait d’instinct repérer les siens au milieu de la débâcle. Il parlait une langue profonde, universelle, avec un accent chantant du Sud-Ouest mâtiné de chaleureux accords marseillais. Didjeko a traversé le mur de l’alphabet, s’en ai allé au pays des troubadours et des charmeurs de mystère. André ChenetShi Nai-an, « Au bord de l’eau » Chapitre XLVI, p. 206.(Morceau choisi par Didjéko pour ouvrir son site)