C’était le 15ème jour du mois… suspense : allais-je enchaîner les vols triangulaires égyptiens, à en perdre toutes facultés mentales pour formuler des phrases complètes ? Ou allais-je tirer le gros lot d’un long courrier qui ferait exploser mon taux de vitamines D ? Le 15 du mois, c’était le jour où je recevais mon planning. Quelle excitation cette fois de découvrir mes vols et découchés à venir : 7 nuits au Kenya, une nuit à Punta cana, un aller-retour Marrakech et 3 nuits à Cancun.
C’était la première fois que j’allais au Kenya. J’avais hâte de découvrir cette nouvelle destination. Ma connaissance en la matière, jusque là, se cantonnait aux clichés formatés par l’industrie du cinéma hollywoodien voire pire, de Disney. En pleine savane africaine, un soleil démesuré se coucherait dans un ciel orangé. Entre deux safaris en jeep, entouré de Masai en pagnes , de Timon le chien de prairie et de Pumbaa le phacochère, je pourrais placer un ou deux « Hakuna matata ! » Le dépaysement serait encore au rendez-vous. En plus, comme il n’y avait qu’un vol par semaine, la compagnie était obligée de nous laisser 7 nuits sur place… dommage pour elle mais tant mieux pour nous ! J’ai fait la pub dans mon cercle privilégié d’amis, au cas où l’un d’entre-eux serait intéressé et disponible pour partager cette semaine d'aventure avec moi. Sylvain, mon beau-frère, m'accompagnerait cette fois-ci.
Dans l’équipage, il y avait ma comparse Rihanna qui était accompagnée de sa sœur jumelle, certains crew affublés de leur parents et le commandant de bord de sa femme. On se retrouvait à 15 dont 9 crew.
Après un vol de nuit d’un peu plus de neuf heures et une courte escale à Zanzibar en Tanzanie, nous voilà enfin sur le sol africain. La porte de l’avion s’est ouverte et le responsable d’escale est entré avec applomb en nous scandant un « Jambo! Jambo !
- Qu’est- ce qu’il dit ? Jambon ?, ais-je demandé à la chef de cabine.
- Mais non ! Jambo (et ça se prononce djambo comme Tarzan et Djane) qui veut dire bonjour en swahili, m’a-t-elle corrigé avec un air couroucé d’institutrice. »
Les paxs ont débarqué et l’équipe de nettoyage est montée à bord, avec sa déferlente de « jambo » pour être sûr que je n’oublie pas ce nouveau mot. La vingtaine de personnes qui s’affairaient dans l’appareil suaient déjà de nous avoir rejoint par cette chaleur de four et pour le coup, les narines hyperstimulées, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un saucisson fumé à l’ail…
Une preuve supplémentaire que les visas est du pur business pour remplir les caisses du pays : arrivé au contrôle passeport, l’équipage a pu passer sans même exhiber de document d’identité, ni même de badge d’ailleurs. C'est fou quel effet l’uniforme produit en Afrique : même la file, on a pu l'esquiver. Nos paxs qui devaient débourser 25€ pour entrer dans le territoire et surtout se taper une queue interminable nourrie par 5 longs courriers devaient regretter de ne pas avoir emporté l’uniforme de policier ou de majorette de leur dernière soirée déguisée…
Sur le carrousel fatigué, nous avions récupéré des montagnes de bagages : des collègues avaient ramené des sacs pleins de vêtements pour les donner à l’orphelinat. Le plus dur serait de trainer toute cette cargaison jusqu’au bus qui nous emmènerait à l’hôtel. En sortant du terminal, la touffeur africaine nous a assaillis. Le corps moite, nous n’avions qu’une seule envie, arracher ce foutu uniforme qui nous démangeait. Bardés de ces bagages, suant comme des cochons, nous nous frayions un chemin à travers les gars qui nous racolaient pour un taxi. J’aurais voulu attraper une liane et saisir Rihanna au passage pour me sortir de cette jungle humaine mais je ne pouvais lâcher que de lamentables « We dont need taxi ; we have crew bus ! » qui n’avaient aucun effet sur eux.
Nous voilà enfin dans le bus vers l’hôtel, chargés à bloc. Des bagages sur les sièges, sur le toit, entre nos jambes et sur nos genoux, on aurait pu faire la première de couverture du guide du routard Kenya.
Pendant le transport, nous pouvions voir défiler derrière les vitres des scènes de la vie quotidienne kenyane. Pendant que certains tiraient péniblement des charrettes où de vieux pneus s’amoncelaient, d’autres s’acheminaient vers leur travail à pied. Une mère lavait son enfant dans une bassine en fer blanc. En trame de fond, des maisons de fortunes en tôle et des feux improvisés un peu partout, où se consummaient des pneus et toute sorte de déchets. Ma première impression de Mombassa, c’était ça : la chaleur étouffante et une odeur de caoutchouc brûlé.
A l’hôtel, on nous a réservé un accueil fraternel. Les « jambo » nous arrivaient de derrière les comptoirs, les plantes et les charriots de ménage. Débarrassés de nos bagages, nous voilà avec un cocktail dans une main et une serviette rafraîchissante dans l’autre. Quel plaisir d’être rafraichi avec autant de zèle ! Au moment où nous recevions nos clés de chambre, un car bondé de passagers qui étaient sur notre vol est venu rompre la tranquillité. Et merde…nous allions encore être surveillés par les paxs.
Aussitôt, je me suis éclipsé vers le premier étage, où se trouvait ma chambre. Je n’avais plus le courage d’attendre. Je me suis jeté dans le premier lit que j’ai trouvé pour piquer une sieste. Sylvain, qui avait marié les temesta au château migraine, avait ronflé pendant tout le vol à en créer des turbulences. Il était excité comme une puce, impatient de découvrir tout ce qui se tramait autour de l’hôtel. Vers la fin de l’après-midi, je me suis réveillé. Sylvain était là, tout fier de porter un énorme sac à farine crasseux. Il en a sorti les ramasse-poussière qu’on lui avait vendus avec ou sans sa volonté. Les indigènes avaient repéré son teint crayeux de nouvel arrivant et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, il avait été assailli de toute part. Les figurines masai et les girafes en bois avaient voleté autour de sa tête jusqu’à l’enivrer. Un billet de 50euros s’était envolé.
En dehors du climat et des plages sauvages à la fois blanches et vertes, le Kenya avait comme attraction principale les safaris incontournables. Aller au Kenya sans goûter à ces expéditions, c’était comme visiter Paris sans voir la tour Eiffel. Sylvain était d’ailleurs bien décidé à ne pas se coucher tard pour en profiter au maximum. Je m’apprétais à dormir lorsqu’il m’a dit qu’il avait oublié ses lunettes au bar de l’hôtel. Deux heures plus tard, il n’était toujours pas revenu. Il était tombé sur Rihanna qui l’avait emmené dans un tout autre genre d’expédition dans un bar louche. Ils s’étaient battus comme des lions une bonne partie de la nuit, alternant vodka et tequilla. A 4 heure du matin, quelques heures avant de partir pour le safari, j’ai entendu qu’on trifouillait maladroitement la serrure de la porte. Sylvain, bien éméché, riant comme une hyène, avait enfin retrouvé ses lunettes.
Nous pouvions désormais partir pour ce périple de trois jours et deux nuits en pleine savane, dans les vastes parcs nationaux Tsavo East et Tsavo West. Aux portes du parc, un gardien nous a briefé sur notre tenue et notre comportement durant le safari. Il nous a rappelé qu'il était indispensable d'avoir un chapeau et des lunettes pour se protéger du soleil et de la poussière pendant le parcours. Ceux qui n’avaient pas été prévoyants pouvaient bien sûr faire tourner son petit business en lui rachetant les lunettes et chapeaux qu’il avait sorti d’un sac tout en parlant. Il nous a ensuite prévenu de ne pas essayer de donner à manger aux animaux, ni même de les déranger en essayant de les appeler avec toutes sortes de bruits entendus dans Le livre de la jungle. Ces animaux n’étaient pas des caniches ou des chatons mais des bêtes sauvages, carnivores et affamées pour la plupart.
L'aventure pouvait commencer. Installés dans une des jeeps, le toit ouvert pour pouvoir sortir la tête et mieux observer les animaux et les paysages, nous étions plongé dans l’émerveillement. Comme des Japonaises sur la Grand place, nous avions sorti notre artillerie de Nikon et mitraillions d'un déclic tout ce qui bougeait. A chaque détour de la piste, un nouvel animal nous surprenait. Des troupeaux gigantesques de buffles nous observaient en ruminant. Un des éléphants pissait avec impudeur autant que Sylvain après 3 bières. Les girafes, avec leur silhouette élancée, nous snobaient comme des pétasses, de toute leur hauteur. Les hippopotames déféquaient et, en faisant tournoyer leur queue, envoyaient leur merde dans tous les sens pour marquer olfactivement leur territoire. L’utilité des lunettes et du chapeau prenait là tout son sens ! Les diks-diks nous mataient par paire. Ces antilopes naines, dans un élan romantique théâtral, se laissaient dévorer par un prédateur si leur partenaire venait à mourir, nous expliquait le guide. Pour ce qui est des prédateurs, justement, les guépards, léopards, hyènes et crocodiles n’étaient pas vraiment de la partie. Ils avaient trop la flemme pour s’inquiéter de notre présence et préféraient rester au loin sous ou dans les arbres. Même le « king », fidèle à sa réputation en safari, n’avait pas daigné se montrer.
Après notre premier "game", ou sortie en jeep, nous voila dans notre lodge pour la pause midi. Imaginez un havre de paix avec une piscine et des chambres confortables munies de salles de bain en plein milieu de la savane. Mais cet environnement accueillant avait attiré toute une flopée d'invités surprise dans les chambres : des moustiques assoiffés, des cafards extatiques et des araignées énormes. Ahhhhh !!! Je crois que mon cri a résonné dans toute la savane lorsque j'ai aperçu ces huit pattes poilues qui s'agitaient avec patience et coordination de part et d'autre d'un abdomen démesuré, juste à côté de la serrure de la porte de ma chambre. Avec un héroïsme que je ne me connaissais pas, je l'ai ignorée et j'ai claqué la porte de toute mes forces pour la faire dégager. J'espérais qu'elle ne viendrait pas explorer ma cavité buccale lorsque je serais en train de ronfler la bouche ouverte...
Le soir même, en allant prendre le repas du soir, Sylvain et moi étions décidés à escorter chevaleresquement Rihanna de sa chambre au buffet. Mais au moment où nous avons vu une chose longue et épaisse qui nous coupaient le chemin, juste devant la porte de sa chambre, notre galanterie s'est évanouie et nous avons fait demi tour en criant comme des fillettes. En fait, nous étions en pleine paranoïa : ce n'était pas un black mamba, ni un boa mais le tuyau d'arrosage qui nous barrait le chemin... Après le repas, de retour vers nos chambres, des hordes de scarabées grouillaient sur le sol et volaient vers nous. Nous traversions ce passage en hurlant et nos pas sonnaient comme des chips écrasées. C'était atroce!
Après toutes ces émotions plus effroyables que si nous avions croisé un lion, notre safari a continué, cette fois ci dans la partie ouest, Tsavo West. Cette région était vallonnée alors que la partie orientale,Tsavo East, était plus désertique et assez plate. Là, nous logions dans des tentes individuelles de luxe, avec tous le confort d'une suite d’hôtel. Après un repas servi à la carte, on a passé l'après midi au bord de la piscine. Il y avait des écureuils peu farouches qui venaient s'y abreuver. La nuit, entre 23h et 5h du mat il n'y avait plus électricité : ils coupaient le générateur. Le lodge n'était pas protégé par les clôtures électriques. Les animaux pouvaient s'approcher des tentes. J'imaginais qu'une bête féroce m'attaquait pendant mon sommeil et m'arrachait les tripes. D’ailleurs, une fois la nuit tombée, pour se rendre à la tente, on devait être accompagnés d'un masai, au cas où un animal apparaîtrait devant nous.
En fin de soirée, mes collègues terminaient une bonne bouteille de vin local. Moi, j’étais sur les genoux. J'ai demandé à mon garde du corps masai de me raccompagner. Arrivé à destination, la lumière s'est éteinte comme dans un mauvais film d'horreur : il était 23h... Le glorieux guerrier m'a dit : « good night !» et m'a laissé dans un noir total tout seul dans la tente.
J’étais en panique. J'essayais de trouver ma lampe de poche sans jamais y parvenir vu qu'elle était... dans la poche du pantalon que j'avais enlevé. Stressé comme un bouc entouré de bêtes sauvages, je ne trouvais pas le sommeil. D'autres invités s'étaient incrustés : les crapauds en chaleur, les grillons hystériques nous faisaient une musique d'enfer.
Rihanna et les autres avaient commandé quelques bouteilles de plus pour continuer la soirée dans sa tente. Le bruit de leur beuverie me rassurait, j'ai fini par trouver le sommeil. A 5h du matin, toutes les lumières que je n'avais pas éteintes se sont allumées d'un coup. Surpris par ce flash violent, j'ai hurlé comme si j'étais enlevé par des extra-terrestres.
Sylvain, qui avait forcé sur le vin et les somnifères pour échapper à cet enfer sonore, n'a réagi que 5 minutes après :
« Hein?! Quoi?! Qu'est ce qui se passe ?, m'a-t-il demandé, les paupières collées aux yeux.
- Rien, j'ai été surpris par la lumière, lui ai-je répondu.»
Une demi heure plus tard, un bruit étrange se faisait entendre :
« Hou hou hou hou ! »
Un hibou ? En Afrique...ça m'aurait étonné!
« Quoi?! Qu'est se que tu dis? Ça veux dire quoi houhouhou ? » Ce vin était vraiment corsé ! Mon compère aurait pu se faire emporter par une lionne qu'il n'aurait rien remarqué.
« Moi, j'ai rien dit. C'est pas moi !
- Zaaaak! Sylvain! Arrêtez de faire les cons, laissez-moi dormir !, a crié Rihanna de sa tente.»
Aujourd'hui encore, j'ignore quel bestiole pouvait brailler comme ça...
Quel aventure ce safari! Après le troisième jour, nous étions contents de rentrer à l'hôtel. Sur la route, nous avons croisé des éléphants, des girafes, des zèbres... Mais nous étions déjà blasés. Nous ne sortions même plus les appareils photos.
En fin d’après-midi, arrivés à l'hôtel, nous nous sommes tous jetés sur le bar comme des vautours pour siroter un cocktail. Les clients, dont certains était nos passagers, nous observaient pour voir ce qu'on faisait, ce qu'on buvait, ce qu'on mangeait, comme si nous étions des animaux échappés de la savane. J'avais envie de leur demander s'ils comptaient nous lancer des cacahuètes.
Du bar de la piscine ou de la terrasse de nos chambres, on pouvait observer les singes qui vivaient dans la végétation luxuriante bordant l’hôtel. Ils sortaient le matin et en fin de journée pour venir manger. Le reste du temps, ils dormaient dans les arbres. Une de mes collègues avait laissé la fenêtre de sa chambre ouverte. Alors qu'elle rentrait pour se changer, elle est tombée nez-à-nez avec un macaque qui piquait le sucre mis à disposition à côté de la cafetière. Les singes venaient souvent nous dérober les garnitures fruitées des cocktails qu'on ôtait des verres.
Les plages kenyanes, comparées à celles de République dominicaine ou du Mexique, n'étaient pas vraiment paradisiaques. Elles étaient même assez infernales lorsque nous étions alpagués par des racoleurs qui essayaient de nous vendre tout et n'importe quoi alors que nous avions déjà acheté une demi-douzaine de statuettes en bois. Ils nous proposaient aussi une multitude de services pour quelques sous, comme le sea safari qui consistait à observer les bestioles qui se cachaient dans le sable à marée basse. Dans ce pays où la misère est très présente, tous les moyens sont bons pour gagner son pain.
Ailleurs, un groupe de mamas vendaient des fruits comme des noix de coco, des mangues, des ananas, des avocats... A chaque fois que nous passions, elles nous proposaient d'acheter leur marchandise. Notre transit intestinal ne fonctionnait jamais aussi bien qu'au Kenya!
Rihanna, qui se faisait appeler Gabriella, se faisait harceler une enième fois par une des vendeuse :
« Gabriella, you promised me that you would buy me fruits! »
Moi, j'ai eu pitié d'elle et je lui ai dit que je lui prendrais deux ananas le derniers jour.
« Give me a deposit for pineapples, m'a-t-elle soufflé à travers son râtelier hypophagique.
- What ?!? A deposit for pineapple ? Are you serious ?, lui ai je rétorqué.
- You make me order. I need a deposit to be sure you will take it, a-t-elle enchaîné d'un air piteux.»
Je me demandais si nous devions passer chez le notaire pour authentifier la commande.
A d'autres moments, des gars sortaient de nulle part pour essayer de nous gratter des trucs. J'ai eu droit à toutes sortes de choses :
« When you go home give me your tee shirt. »
Un autre voulait mon maillot ou encore mes tongs. Je leur ai expliqué que j'en avais encore besoin vu que je voyageais beaucoup pour mon taf mais que la prochaine fois que je viendrais, je leur ramènerais des vêtements que je ne portais plus. Ils étaient ravis.
Le jour du départ, dans un dernier élan de générosité, Sylvain a voulu offrir ses vieilles pompes à un malheureux. Il a tellement couru pour revenir vers le bus de l'aéroport qui l'attendait avec tous les crew, qu'il a dû faire stopper le véhicule en pleine route pour gerber son petit déjeuner. C'était comme l'épilogue du safari : personne n'en avait raté une miette.