Antonia Ngoni, Une tragédie bantoue

Par Gangoueus @lareus


Je n’ai ni lu Sophocle, ni Jean Anouilh. Aussi, je me suis rendu aux Friches des Lacs de l’Essonne, avec à la fois beaucoup de curiosité et d’attente. J’avais loupé les prestations de la troupe du Plateau-Kimpa Théâtre de 2012 à Etampes, ville royale. Il m’était impossible de rater une prestation à Viry-Chatillon, ville mitoyenne de ma cité dortoir. Autant dire, un vrai luxe, à porter de main. 
Narration. Le public a à peine fini de s’installer des tribunes, qu’une bande de malotrus se mettent à faire du boucan en langues africaines. Que se passe-t-il ? Les codes d’un spectacle de théâtre seraient à ce point ignorés par ce public majoritairement africain? Je me suis fait avoir. La bande de trublions se retrouvent sur scène. La pièce a commencé avec fracas. Un comédien nous transmet des tracts avec l’effigie de Kilapi, dictateur tropical.
«Gloire immortelle au Président, Kilapi Le père de la Nation ! Le guide éclairé ! Le démocrate ! »

L’homme d’état ne dort pas. Les premières scènes faites de dialogues entre le potentat et des éléments proches de son entourage comme son médecin, son filset sa femme permettent de poser le drame qui se joue. Kilapi a fait exécuter son frère Oluka qui s’était joint à une rébellion armée contre le pouvoir en place. La faute est impardonnable et elle exige pour un exercice du pouvoir inflexible, une démarche encore plus radicale : Humilier le mort dans son cadavre en lui refusant toute forme de sépulture et en le livrant aux animaux de la brousse. Criss Niangouna dont j’avais apprécié la prestation dans Le cœur des enfants léopards au Tarmac, livre une nouvelle fois une magnifique prestation où son talent permet de poser le discours du dictateur. En apparence doux, mais redoutable dans la défense de son trône, même à l’endroit de son propre frère. L’intervention d’Antonia Ngoni, son épouse en médiatrice et intercesseur pour que le potentat revienne sur sa funeste décision va faire basculer cette remarquable adaptation d’une pièce grecque à la portée universelle et intemporelle. 

C’est tellement vrai que pour n’importe quel africain, parce qu’il s’agit d’une tragédie « bantoue » pour laquelle Jean-Felhyt Kimbirima réussit une remarquable mise en scène, l’identification à la problématique de la violence du pouvoir politique touchera en plein mille, à toutes les problématiques que soulèvent la question de la sépulture dans un espace bantou où le culte des ancêtres est enraciné…Imaginez un homme sans sépulture... Comment en effet, ne pas penser aux pendus de Mobutu dont on souvient quand on évoque le stade des Martyrs de Kinshasa. Qui, ayant vécu en Afrique centrale, n’a pas entendu l’émasculation d’un opposant déjà mort. Kani Kabwe Ogney qui propose une relecture de Sophocle nous renvoie à la folie du pouvoir politique dans nombre d'états africains qui renie l’essence même de ses croyances les plus fondamentales, pour laisser exploser la puissance de leur imposture. L’appartenance au même clan des deux protagonistes donne une dimension intéressante.

Antonia Ngoni. Alvie Bitémo est littéralement habitée par son rôle. Elle défie le pouvoir de son mari. Elle veut une sépulture pour son beau-frère. Par tous les moyens. Contre la démarche de Kilapi qui transgresse les codes. Qui mieux peut réagir à l’ignominie d’un potentat ? Antonia écoute la voix discordante qui parle en elle. Pleure le mort, comme s’il était l’être aimé, mais c’est avant tout contre l’injustice qui se déploit. Une des scènes marquantes de cette pièce de théâtrale est celle où Alvie Bitémo nous fait vivre la douleur de la femme éplorée comme les mamans du bled aux veillées de Brazzaville ou de Pointe-Noire. Alvie est simplement époustouflante.
Exceptée une tirade un peu longue sur les méfaits et les intrigues des occidentaux en terre africaine, cette pièce est très bien rythmée par le mouvement des acteurs, les chants, les voix en off, la danse mais surtout par la qualité de ces comédiens qui rendent accessibles la profondeur de la tragédie de Sophocle et interpelle forcément le spectateur sur sa capacité de s'indigner.
Antonia Ngoni, Une tragédie bantoue Plateau-Kimpa Théâtre compagnie Une adaptation libre d’Antigone de Sophocle par Kani Kabwe Ogney Une mise en scène de Jean-Félhyt Kimbirima Avec Alvie Bitémo, Criss Niangouna, Roch Lessaint Banzouzi, Abdoulaye Seydji, Florence Kabamba,