Ici, ailleurs, grosse déception

Publié le 12 février 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof

Fatmi Mounir-Voyage de Claude Lévi-Strauss, 2012, capture d'écran production Marseille Provence 2013 ©Mounir Fatmi, Courtesy de l'artiste et gallerie Hussenot Paris, Paradise Row Londres, ADAGP 2012_0

Suffit-il d'inviter des artistes d'envergure et les exposer les uns à coté des autres pour réussir une exposition ?

C'est peut-être ce que Juliette Laffon, commissaire d’exposition, a cru en organisant l'exposition “Ici, Ailleurs” à la Friche Belle de Mai de Marseille (mais je ne la crois pas si naïve que ça). Il ne suffit pas non plus de le faire pendant l'année où Marseille est capitale européenne de la culture, au contraire, je trouve que c'est encore une occasion ratée d’approcher le grand public à l’art contemporain.

Dans la tour Jobin, qui s'est refait une beauté pour cette année spéciale, trente-neuf artistes originaires des pays de la Méditerranée ont été invités à exposer leurs œuvres sans une thématique précise, dans le but de montrer la situation de l’art contemporain dans ces pays.

L'intention – à mon humble avis – est très naïve, pour deux raisons : d’abord la plupart de ces artistes sont nés et travaillent ailleurs qu’en Méditerranée. Il faudrait en fait justifier la présence d'artistes tels que Gloria Friedman, née en Allemagne et vivant à Paris, ou Orlan, née à Saint-Étienne et vivant entre Paris et New-York. On pourrait parler plutôt de “miroirs aux alouettes” que de vrais choix artistiques. Et puis, les artistes renommés sont souvent assez loin de la créativité et de l'expérimentation des jeunes qui, souvent, vivent encore dans leurs pays d'origine.

Gloria Friedman, installation

Attention, je ne veux pas ici défendre le jeunisme qui est très tendance depuis des années dans toutes les manifestations internationales d'art contemporain. Je me demande si vraiment un Jannis Kounnellis (qui est un des grands maîtres de l’art du XXème siècle) ne nous dit pas plus sur les recherches qui se font à Rome, Paris, Londres, New York (bref, dans les grandes capitales de l’art) plutôt que de la situation artistique à Athènes ou Alger. Il ne suffit pas d'être né en Grèce ou au Liban pour parler de la Méditerranée.

Venons-en aux œuvres exposées: en parcourant l’exposition, qui ne se veut pas “illustratrice”, mais qui l’est pour la plupart et de façon assez superficielle, on se cogne tout le temps, automatiquement, aux thématiques de l'immigration, de l'identité culturelle, du voyage... bien sûr très intéressantes et actuelles, mais truffées d’une attitude simpliste, d’un regard indulgent et intimiste (ou nombriliste ?), riches en récits personnels faussement élevés au rang de récits collectifs (exemple: la vidéo Hand-me downs d'Yto Barrada, qui propose un montage de séquences de films de famille des années 1960) ou encore d’une façon simpliste de regarder la Méditerranée (la vidéo d'Ange Leccia est très belle, mais combien de clichés ressassés !) ou alors du manque d'intérêt artistique (les socles photographiés par Ymane Fakhir).


Ce serait beaucoup plus intéressant d'appeler à travailler sur cette thématique des artistes peut-être moins connus ou glamour, mais un peu plus impliqués dans le débat culturel et artistique de leur pays. Adrian Paci, par exemple, a présenté une vidéo-projection fort intéressante sur les mariages en Albanie et, si on connaît un petit peu sa démarche, on apprécie ce choix (et en plus, si on veut vraiment se limiter aux données géo-biographiques : il a quitté son pays pour s'installer à Milan).

 Annette Messager, La mer échevelée, 2012, installation, détail

Je termine en vous parlant d'une œuvre qui résume toutes les critiques faites jusqu'à maintenant et qui m'a bouleversé et énervé à cause de ça. Il s'agit de La mer échevelée d'Annette Messager, artiste française très connue et aimée des musées et conservateurs de l’Hexagone que l'on trouve presque partout et qui ne s'est jamais confrontée à la thématique de la Méditerranée (on se demande pourquoi elle a été appelée à participer à cette exposition). Sa recherche est très intéressante, ne me comprenez pas mal, mais sa présence dans cette exposition a très peu à voir avec les autres invités (celle de Lara Favaretto aussi, et en fait l'œuvre ici exposée - As if a ruin, un cube de confettis marrons qui s’effondre peu à peu au fil des jours et des expositions dans lesquelles il a été présenté, dans les pays intéressés par les récentes révolutions – est d'une superficialité épouvantable). Bref, dans la pièce d’Annette Messager on voit une masse de cheveux qui flotte sur une bâche en plastique à même le sol, bougée par des ventilateurs. Parmi les cheveux, un bateau jouet devrait évoquer l'idée de voyage et l'étendue marine.

Des expositions comme “Ici, ailleurs” on en voit un peu partout, en France et à l'étranger. Ce qui m'indigne n'est pas la médiocrité des œuvres exposées ou l'omniprésence de certains artistes. Je trouve que ces expositions, surtout dans le cadre d'une manifestation grand public comme celle de la capitale européenne de la culture, desservent l'art contemporain, faisant passer chez le public le message que l'art contemporain est du “foutage de gueule” et que les artistes, les commissaires d'expositions, le système en entier se moque de nous.

Je suis sûre que les autres manifestations d’art contemporain pendant cette année spéciale pour Marseille seront à la hauteur des attentes. Pour commencer, je vous invite plutôt à visiter l'exposition “Méditerranées” dont quelqu'un que vous connaissez certainement m'a parlé en très bons termes.

Stefania

Ici, ailleurs

jusqu'au 31 mars

Friche la Belle de Mai, Tour Panorama, Marseille