Au bout de dix minutes, l'un des Quatre, Sam Harris, se demande si la raison pour laquelle la critique de la religion reste un tabou ne tient pas au fait que la religion est le seul contexte où peuvent s'exprimer des expériences spirituelles. Pourquoi cela ? Parce que, le plus souvent, les scientistes rejettent toute spiritualité, ils en font un tabou. Indirectement, ils contribuent ainsi à la défense de la religion.
Hitchens enchaîne en disant une chose qui me paraît cruciale : "S'il ne fallait changer qu'une seule chose, ce serait la confusion entre le numineux [=le spirituel] et le surnaturel". J'en avais déjà touché un mot quand j'avais essayé de distinguer mystique et occultisme. Hitchens donne ensuite l'exemple d'un célèbre biologiste qui raconte sa conversion. Celui-ci est tombé sur un paysage grandiose (une cascade de glace) et est tombé à genoux "Merci Jésus-Christ de te montrer à moi ! " Parfaite illustration de la confusion entre le spirituel (le paysage grandiose) et le surnaturel (J.-C. - pour moi bien évidement !). Pourquoi diable l'un devrait-il mener à l'autre ? Dennet ajoute : "C'est une triste chose que les gens, d'une certaine façon, ne font pas confiance à l'importance qu'ils accordent à leurs expériences du numineux". Tant qu'ils ne peuvent y ajouter une étiquette du genre "Dieu", ils croient que cela ne vaut rien. Alors que c'est tout le contraire ! Le discours religieux, surnaturel ou occultiste vient cacher l'expérience, la recouvrir et la confisquer au profit des gardiens du temple - les prêtres, les gourous, les éveillés, les thaumaturges. La religion est un sacrilège. La croyance au surnaturel est un blasphème. L'occultisme est une insulte à l'émerveillement muet qui naît naturellement des expériences les plus banales.
Finissons avec un extrait de Joseph Conrad, avant-propos à La Ligne d'ombre :
"Mon être moral et intellectuel tout entier est pénétré de la conviction que tout ce qui tombe sous nos sens doit être dans la nature et, si exceptionnel soit-il, ne peut différer en essence de tous les autres effets du monde visible et tangible dont nous sommes une partie consciente. L'univers du vivant contient suffisamment de merveilles et de mystères tel qu'il est - merveilles et mystères agissant sur nos émotions et notre intelligence de façon si inexplicable que cela justifierait presque la conception de la vie comme état d'enchantement. Non, je suis trop ferme dans ma conscience du merveilleux pour être jamais fasciné par le simple surnaturel qui (prenez-le comme vous voudrez) n'est qu'un article manufacturé, la fabrication d'esprits insensibles aux intimes subtilités de notre relation aux morts et aux vivants, dans leurs multitudes innombrables ; une profanation de nos souvenirs les plus tendres ; un outrage à notre dignité."