Lettres. Tous les amoureux-lecteurs des Lettres françaises connaissent bien sûr le nom du cofondateur (avec Jean Paulhan) de cette revue mythique, dirigée par Louis Aragon après-guerre, actuellement par Jean Ristat. Mais savent-ils que Jacques Decour, qui avait adhéré au PCF en 1936, avait la passion de l’Allemagne?
De son vrai nom Daniel Decourdemanche, il avait obtenu, à vingt-deux ans, son agrégation d’allemand (plus jeune agrégé de France) et au lycée Rollin, il professait à ses élèves que le germanisme était un humanisme. Il enseignait l’amour de Heine, Hölderlin ou Nietzsche, il avait traduit Kleist, exalté le Prince de Hombourg, il vantait la littérature et la philosophie d’outre-Rhin et il avait même rapporté d’un long séjour à Magdebourg, un livre visionnaire, Philisterburg (1930). Pourtant, Jacques Decour ne doutait pas que dans ce pays, selon ses propres mots, «la civilisation la plus haute» avait toujours bataillé avec «la barbarie la plus inhumaine». Aussi savait-il à quoi s’en tenir quand il s’inquiétait, deux ans avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, de la montée des idées du national-socialisme et de l’exacerbation de la haine antisémite: «Le nationalisme ne sert à rien, écrivait-il, il engendre la haine, il ne sauvera pas l’Allemagne.»
Céline. Pendant ce temps-là, l’ineffable Patrick Buisson, ex-conseiller de Nicoléon et ancien porte-plume de l’Action française et de Minute, s’est associé à Lorànt Deutsch, pseudo-royaliste tendance histrion, pour publier le "Paris de Céline" (Albin Michel). Mais dans ce livre consacré à Louis-Ferdinand vous ne saurez rien, absolument rien, du Paris de l’Occupation, ni des écrits antisémites du collabo Céline ou encore des raisons qui poussèrent l’écrivain de Bagatelle pour un massacre à l’exil après sa condamnation à l’indignité nationale. Mieux, nos deux missionnaires y glorifient le brave docteur Destouches, toujours prompt à «soigner de son mieux un homme torturé par la Gestapo». Hélas, vous avez bien lu…
(1) Nous regrettons néanmoins les trop rares évocations au fait que Jacques Decour était communiste - son engagement de la première heure n'étant pas sans rapport...
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 novembre 2012.]