Lecture. La phrase qui suit comprend un risque: sept mois à l’Élysée auront donc suffi pour nous décevoir, nous décontenancer ou nous conforter, selon ce que nous pensions avant le 6 mai dernier. Ce président, qui incarnerait plusieurs personnages «des» gauches historiques, reste aux yeux de certains une véritable énigme idéologique. Historiens, philosophes, sociologues et même anthropologues sont régulièrement conviés au chevet de sa politique pour en décrypter la lecture pratique et/ou symbolique. Beaucoup s’y cassent les dents – hors les habituelles références au delorisme (en priorité), au jospinisme (sa frilosité sociétale), au rocardisme (sa politique contractuelle), au mitterrandisme (cela va de soi), au mendésisme (sortez vos manuels) et même, n’en jetez plus, au jaurésisme (sic). Comme si la célèbre stratégie de synthèse du personnage, transformée depuis peu en méthode dite «du râteau», s’appliquait également à ceux qui commentent son action.
Plus on tente de ratisser large avec lui, plus on aurait de chances de récupérer un bout de la vérité. Dans le genre «je vise à peu près juste», nous accorderons un bon point à l’historien socialiste Alain Bergounioux pour cette formule si tordue qu’elle en devient géniale: «Pour l’instant, Hollande projette ce qu’il a été dans ce qu’il fait.» Traduisons. Moins programmatique que pragmatique, Normal Ier serait donc le produit d’un mélange indéterminé et nous perdrions notre temps à vouloir lui donner une origine et une saveur. Un membre du cabinet d’Ayrault entrevoit la difficulté en ces termes: «Nous travaillons à la construction d’une nouvelle gauche, le hollandisme est forcément en devenir.» Et lorsque nous lui demandons s’il n’a pas l’impression de participer à une certaine «trahison de la gauche», l’homme répond, paisiblement: «Le président n’a pas encore voulu dévoiler totalement sa vérité politique.»
Saint-Simon. Le philosophe Pierre Musso, lui, qualifie le hollandisme de «saint-simonisme», référence au penseur du XIXe siècle, Henri de Saint-Simon (1760-1825), dont il est l’un des spécialistes. «La grande thèse du philosophe, postérieure à la Révolution française, explique Musso, était que le changement social devrait être pacifique, maîtrisé et même “insensible” pour éviter les deux écueils qui menacent dans toute situation de crise: l’anarchie et le despotisme.» Saint-Simon l’écrivait noir sur blanc: «Aucun changement ne peut s’effectuer que par degrés, au temporel comme au spirituel.» Soit, admettons les contraintes d’un prima: l’avenir est aussi réel que le présent est illusoire. Mais si l’illusion en politique consiste à agir sur ce qui se voit, le changement des hommes par exemple, et si l’intelligence suprême commande de s’extraire absolument de cette illusion pour «voir loin» et changer de point de vue sur la conjoncture présente en l’insérant dans l’histoire, franchement, quels sont les actes fondamentaux du gouvernement actuel – du côté de l’économique et du social, les vraies matrices – qui pourraient nous laisser penser qu’ils réorientent l’à-venir et tentent de changer la vie, quand tout nous pousse à croire au contraire que s’accumulent renoncements et reniements?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 décembre 2012.]