François Hollande et Laurence Parisot.
Normal Ier. (Suite.) Le spectacle de la souffrance d’autrui se donne à voir – à lire plutôt – dans la danse macabre des mots reçus au Palais. Ces temps-ci, les êtres écorchés par la vie écrivent beaucoup à Normal Ier, autant de traces visibles livrées aux tourments d’inquiétudes obsessionnelles. Dans le palmarès des troubles exprimés, la progression de la pauvreté des couches populaires arrive en tête (du genre «la gauche ne peut pas laisser faire ça» ou «que retiendra l’Histoire du quinquennat si la situation des plus démunis ne change pas, au moins un peu?», etc.), suivie de près, de très près même, par les fortes inquiétudes du peuple de gauche face aux politiques conduites (du genre «vous avez été élu pour un changement de société» ou « un nouvel échec du PS au pouvoir sonnerait le glas de tout espoir et pourrait bien emporter toute la gauche », etc.). Des mots pour prémunir tout écart du monde réel.Gégé. Sans doute Normal Ier se serait-il passé de «l’affaire» Depardieu. Pour des raisons qui nous échappent (des blessures intimes? des rancœurs? le ras-le-bol borderline d’un voyou finalement plus «mégalo» que ses personnages et moins «peuple» qu’annoncé?), notre Gégé national, si brillant à l’écran, a légitimé la plus caricaturale attitude ultralibérale que nous puissions imaginer: les soutiens de Laurence Parisot et de toute la droite réunifiée en témoignent. La France lui a tout donné? Lui pense qu’elle lui a trop pris. Une simple affaire de proportion? En vérité, l’acteur se comporte en sarkozyste de base, singeant les patrons du CAC 40, qui réclament toujours plus malgré la santé parfois poussive de leurs entreprises et qui, une nouvelle fois, se sont allègrement augmentés durant l’année 2012…
Alors? Les Français d’en bas, las des polémiques fiscales – eux savent ce que coûte une augmentation de la TVA –, attendaient de l’hôte du Palais qu’il fixe le cap et tape sur les doigts de l’insolent. Résultat? Normal Ier a soutenu la démarche de son premier ministre vis-à-vis de l’acteur… tout en prenant ses distances sur la forme. Moitié-moitié. Comme d’habitude. Dans le texte: «Moi, plutôt que de blâmer tel ou tel, je veux saluer le mérite de ceux qui ont certes beaucoup, mais qui acceptent de payer leurs impôts en France, de produire en France, de faire travailler en France et de servir leur pays.» Ou encore: «Bien sûr qu’il faut dire à un moment un certain nombre des réprimandes morales. (…) Après, il y a les mots qui doivent être utilisés.» Indécision ou tempérance? Qui le sait?
Songe. Doit-on considérer que le libéralisme politique et culturel est un tropisme typiquement social-démocrate, donc que son versant économique serait l’apanage de «la droite»? Doit-on même aller plus loin dans le raisonnement et croire, par exemple comme le philosophe Jean-Claude Michéa, qu’ils sont les deux faces d’une même pièce, le «développement du premier ayant créé les conditions de légitimation et l’environnement intellectuel propice au déploiement du second» ? Certains le pensent. Ce qui expliquerait la conversion non négligeable de socialistes au libéralisme économique et, plus globalement, aux idées sociolibérales que tente de rendre cohérentes Normal Ier lorsqu’il marie l’austérité et la baisse du coût du travail comme moteur de son action économique et sociale… Au Palais, un conseiller nous le confessait cette semaine: «Pour nous, la parenthèse “libérale” s’est ouverte en 1983. Beaucoup ont espéré que l’élection du 6 mai la refermerait, au prétexte que le candidat socialiste avait fait de la finance son adversaire le temps d’une campagne. C’était croire à un songe.» Et devant notre mine atterrée, il ajouta: «Les militants sont troublés par le pacte de compétitivité, les hausses de la TVA, Florange, la fausse réforme des banques? Attendons le retournement de la conjoncture et on en reparlera!»
François Hollande et José Luis Zapatero.
Zapatérisme. Mais beaucoup de socialistes parlent déjà. Perplexes, désorientés ou désespérés. Le député Malek Boutih dit traverser un «trou noir» quand il s’agit pour lui de définir le pouvoir actuel: «Nous sommes devant un objet non identifié, qui absorbe notre énergie. Et ce n’est pas la surutilisation des sujets de société qui va le combler.» Quant au leader de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, il met en garde: «Le risque, c’est le “zapatérisme”: on fait le mariage pour tous et en même temps on flexibilise le marché du travail, sans augmenter les salaires, et à la fin, on se fait laminer. Je ne voudrais pas que le hollandisme se résume à n’être que du social-défaitisme.» La mémoire, plus cruelle des maîtresses. Souvenons-nous. Une petite espérance suivie d’une déception. Éternel recommencement ? Répétons-le encore et encore: rien de pire que la peur amputée de l’espoir… (À suivre.)[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 décembre 2012.]