Puis il livra le fond de sa pensée: «Bien sûr, la liberté est désirable. Mais sans l’égalité, elle devient un produit de luxe, accessible au petit nombre : ceux qui peuvent se l’offrir.» Nous buvions du petit-lait (mensonge), quand il ajouta sans sommation, ce qui, dans la bouche d’un homme de l’ombre chargé en particulier des relations entre son premier ministre et le Palais, nous surprit au plus haut point: «Si la question sociétale devient notre roue de secours et est perçue comme une diversion pour masquer nos difficultés en matière économique et sociale, on va droit dans le mur.»
Droits. Loin de nous l’idée de prendre pour argent comptant la confession nuitamment arrosée d’un conseiller rendu affable par la chaleur de la fraternité. Néanmoins, le trouble exprimé en dit long sur les débats internes au Parti socialiste, dont nous parlons trop peu, assurément. Soyons précis: la question n’est pas, ici, de penser et encore moins d’écrire que le mariage pour tous, pour ne prendre que cet exemple emblématique, serait un combat illégitime dans la mesure où il masquerait (très mal d’ailleurs) les défaillances sociales du pouvoir actuel. La République universelle et sociale, telle que nous la concevons, ne découpe pas en tranches ses priorités! Mais reconnaissons qu’avec beaucoup de social, le sociétal passerait mieux et que la notion même d’égalité, en termes de droits nouveaux, aurait pour le coup une valeur hautement pédagogique. Instruits de l’intérêt général, quels citoyens oseraient alors en discuter la nécessité absolue? L’égalité des droits, oui. Avec l’égalité des conditions, l’égalité des chances, l’égalité devant la loi, etc.
Pierre Bergé.
Classes. À ce propos, une interrogation nous taraude depuis quelques jours, alors ne la laissons pas de côté de peur qu’elle ne se transforme en frustration. Vous vous souvenez sans doute de la fameuse phrase de Pierre Bergé, prononcée lors d’une manifestation en faveur du mariage pour tous: «Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui ou l’adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence? C’est faire un distinguo qui est choquant.» Notre question est la suivante: de quoi procède cette association d’idées, qui a pu surprendre, c’est bien le moins, jusque dans les milieux les plus progressistes et même s’avérer contre-productive pour tous ceux qui militent, légitimement, pour le mariage des homosexuel(le)s? Deux solutions. Primo, il s’agissait d’une énorme maladresse de la part de Pierre Bergé, qui voulait user de provocation afin de vanter l’aspiration à la liberté des individus. Secundo, il ne s’agissait pas d’une maladresse mais bien d’une exaltation inconsciente du «marché» au nom d’un libéralisme économique revendiqué par un grand nombre de socialistes (ou proches). Dans le dernier cas, un petit rappel s’impose. Si l’offre et la demande deviennent la norme de toutes nos actions en société, force de travail et corps compris (quelle horreur), il n’est pas inutile de rabâcher un invariant historique: ce sont toujours les dominés qui vendent leur force de travail à la classe dominante. C’est un monde où les riches achètent, donc exploitent, le corps des pauvres. Est-il nécessaire d’avoir lu Marx pour le comprendre?[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er février 2013.]