Déjà sensible aux expositions proposées par le Centre culturel canadien, j’avais profité de l’exposition Manon de Pauw en prenant mon temps, m’attardant sur son dispositif où elle posait une problématique métaphysique, racontée comme une histoire au moyen de dessins naïfs et de petits post-it.
Pour la nouvelle exposition, présentée déjà depuis novembre 2012 dans le cadre du mois de la photographie à Paris, trois photographes sont à l’honneur : Isabelle Hayeur, Pascal Grandmaison, et Thomas Kneubühler.
Partant de la notion de paysage, ils questionnent ces lieux qui n’en n’ont pas exactement le statut, qu’ils soient étendues désertiques, villages ou maisons témoin, infra-monde qui fourmille sous terre et sous l’eau, zones de transitions qui relient avec des installations électriques une ville à l’autre, ou morceau d’univers qui émerge d’un entourage lunaire. Détournement, sens, et lieux non perçus ou expressions non conscientes, voilà ce qui réuni ici ces artistes.
Accueillis dans le village de maisons d’exposition, plantées comme des champignons dans un environnement sur lequel elles dénotent, ces habitations indéfiniment inoccupées, sont un lieu de passage qui font éclater sur le paysage leur différence architecturale. On déambule au rez-de chaussée, parmi les images d’Isabelle Hayeur au début, découvrant dans ces constructions en série la tentative de les apparenter à un style, en leur donnant un semblant de cachet authentique. Les indices de conception font ressortir l’incohérence et les rêves inaboutis des architectes.
Prennent le relai les images de la série Under Currents de Thomas Kneubühler, où l’on est attiré par l’image rétro-éclairée, comme le sont les panneaux publicitaires, qui apparait solitaire au milieu du paysage vide et enneigé du nord du Québec. Lui feront écho, les œuvres poétiques à l’étage, de la série Electric Mountains, font surgir de la nuit et des immensités désertées des stations de ski éclairées, mais dont les pistes sont visiblement vides elles aussi. Émergeant scintillantes, de l’obscurité elles s’apparentent à des constellations.
Cette imagerie du cosmos, nous la retrouvons ainsi en regard des photos Void Views de Pascal Grandmaison, qui réussi à convoquer l’infiniment grand dans un espace réduit.
L’univers affleure à la surface d’un sol stérile, gris et poudreux. A cette échelle plus envisageable, il dispose en fait dans les cendres, des fragments de photos de l’espace qu’il fait brûler. Elles se confondent dans cet environnement qu’elles évoquent et comprennent de manière très poétique. Je suis ainsi restée longtemps à observer ces bijoux d’univers dans cet écrin lunaire, dans une jolie inversion, l’infiniment grand posé sur le paysage dont il est probablement constitué. Cette vision fine est complétée par la série Excavations ou Underworld, d’Isabelle Hayeur qui révèle le dessous des lieux, proposant des vues en coupe, de la terre ou de l’eau. Elle révèle spectaculairement, ce qui se trouve en-deçà de notre point de vue, son objectif fixant simultanément la réalité à la surface et en dessous. En observant longuement ces images, on se demande comment elle a réussi à atteindre ce rendu. Il s’agit d’une juxtaposition d’images par photomontage qui parvient à un résultat immersif.L’invention de lieux et le choc des époques est d’autant plus visible dans Untilted #10 de la série Office 2000, cette photo verticale de Thomas Kneubühler, représentant la vie au sein d’une tour de bureau. L’éclairage cru montre sans détour l’activité dans chaque pièce, contrastant avec l’atmosphère nocturne à l’extérieur, dans ce quartier historique du Vieux-Montréal.
Reconduits et accompagnés en bas par la série de portrait des deux artistes Thomas Kneubühler et Pascal Grandmaison, où ils montrent que « le nulle part », est aussi synonyme d’absence comprise comme non présence et comme non conscience. Dans ces images, nous voyons ainsi des gens absorbés dans une occupation les yeux faussement dans le vide. Ils sont en réalité affairés sur un écran d’ordinateur ou les yeux rivés sur une plaque de verre, concentré à ne pas la laisser tomber.
C’est en fait une belle conclusion pour illustrer le propos de l’exposition, et de ramener la conscience du spectateur sur le statut des lieux et du paysage.
A voir :
Au milieu de nulle part
Isabelle Hayeur, Pascal Grandmaison, et Thomas Kneubühler
Jusqu’au 22 mars 2013
au Centre culturel canadien
5 rue Constantine
75007 Paris