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« Nous avons le pouvoir de tout réinventer avec cet outil spectaculaire qu’est internet. Nous avons les moyens en restant au contact du public de développer un vrai cinéma indépendant. »
( Alex de la Iglesia)
Ces jeunes réalisateurs souhaitent voir en ces chamboulements, l’opportunité d’un changement et l’occasion de développer un vrai cinéma indépendant. Ils prennent conscience qu’ils sont à l’aube de pouvoir connaître une culture libre, où pourra régner le partage et où la créativité sera à l’honneur. Aujourd’hui, si quelqu’un veut tourner, grâce au numérique, il peut tourner. Vite. Tout de suite. Mais alors qu’ils sentent à peine le souffle de la liberté, la flamme peut déjà s’éteindre par l’intervention de forces contraires et contre-productive des grands producteurs, qui préfèrent mettre des barrières, limiter et maintenir un système obsolète. Le principe, selon lequel toutes les informations, que cela soit celle des créateurs ou du public soient traités de la même manière au sein de la toile, que l’on appelle communément « neutralité du web » est déjà en danger. Les entreprises de télécommunication, médias, les grands studios hollywoodiens tentent de se maintenir en haut de l’échelle. Leur modèle datant de la révolution industrielle du XIXe siècle, basé sur l’accumulation capitaliste et une économie de la rareté, est largement remis en question sous la poussée de forces technologiques mais aussi sociales (fin des hiérarchies traditionnels, communautarisme, prise de pouvoir des consommateurs et apparition de nouvelles valeurs comme l’investissement éthique).
Ils n’ont pas encore toutes les solutions, mais souhaitent prendre leur destin en main et s’émanciper du système grâce à internet. Face aux évolutions d’usages et aux nouvelles habitudes de consommation medias, il faut établir de nouvelles règles, nous changeons de terrain, changeons de stratégie. Ce nouveau modèle ne se fera pas sans le public et tout particulièrement les internautes. Ils ne voient justement pas les internautes comme des ennemis et s’insurgent même contre la criminalisation du téléchargement, qui est devenu une habitude de consommation. Un film sans public n’a aucune valeur, ce sont eux qui donnent un sens à ce que nous faisons, nous ne devons jamais l’oublier. Ils ne peuvent être considéré comme des criminels parce qu’ils prennent ce qui est à leur portée. Et si la majorité ne va plus au cinéma, c’est à nous de nous adapter. S’ils préfèrent voir notre travail sur un ordinateur, à nous de leur proposer ce qu’ils veulent tout en leur rappelant que nous n’existons que par eux. Les contenus doivent aller où se trouve le spectateur et la seule chose que nous devons faire c’est de leur faire accepter nos nouvelles règles en leur proposant de la valeur ajoutée. Il faut leur donner envie d’acheter et de vivre une expérience, mais cela ne peut se faire par une contrainte imposée par des lois répressive.»
« On n’a pas d’argent, mais on a des choses à dire. A montrer. A partager »
Derrière cette vague créative, il y a une volonté également de jeunes professionnels qui n’est pas encore véritablement pris en compte par les instances publiques comme le Centre National de la Cinématographie, d’affirmer son indépendance et de réaliser les films qu’ils souhaitent, comme ils le souhaitent sans carcan. Avoir à l’esprit de franchir une nouvelle étape au cinéma indépendant, faisant en sorte que le terme « indie » ne soit pas aujourd’hui uniquement un qualificatif pour ranger les films dans une case. Au cours des quinze dernières années, le monde du cinéma a fait d’énormes efforts pour démystifier le processus de production et donner accès au cercle fermé du financement et de la distribution. C’est un premier pas, mais elle n’a pas donné aux cinéastes l’indépendance, le vrai pouvoir de faire le film qu’il souhaite. Courir après le financement et essayer de mieux comprendre les subtilités de la production ont sans nul doute distrait la profession et tout particulièrement les jeunes réalisateurs indépendants de ce qu’ils devaient véritablement entreprendre.
Je reprends les propos d’un jeune réalisateur indépendant américain, qui n’a pas hésité à pousser un cri et qui résume assez bien l’état d’esprit actuel d’un certain nombre d’acteurs du monde du cinéma.
« nous avons appris à faire des films et la façon de les mettre sur le marché, c’est à notre génération de franchir une nouvelle étape en s’adjugeant la commercialisation et la diffusion des films, pour réussir à les faire comme on le souhaite et à les voir comme on souhaite les voir. Evidemment, nous avons aujourd’hui plus de possibilités et il n’y a jamais eu autant de films, mais ce n’est pas encore la liberté. Nous devons assumer la responsabilité de raconter des histoires uniques d’une manière unique. Nous nous voulons innovateurs et révolutionnaires, mais cela nous vaut des responsabilités supplémentaires. C’est à nous de prendre notre avenir en main, de mieux connaître les attentes du public, d’aller à leur rencontre et de leur permettre de choisir, d’une manière intelligente. Pendant quinze ans nous avons transposé des modèles économiques existant, plutôt que d’avoir développé un modèle propre au cinéma indépendant en adéquation avec notre vision. Nous sommes à l’aube d’une culture cinématographique libre et gratuite, mais il est nécessaire de remettre en cause les fondements de l’industrie cinématographique, ne pas avoir peur de renoncer à la gloire, et cesser de demander aux autres de distribuer et commercialiser pour nous ? Si l’on possède la liberté de pouvoir raconter les histoires que nous souhaitons, nous devons réfléchir et travailler ensemble à un espace pouvant les accueillir. Nous devons nous éloigner du rêve de gagner les oscars pour fonder une communauté de cinéma libre. Nous devons prendre conscience que le développement de cette culture libre nous engage sur un chemin très différent et loin du prestige qu’offre les productions spécialisées indépendante, mais nous y gagnerons ce qui n’a pas de prix, la fin de l’autocensure. Mais pouvons-nous accepter que d’être cinéaste, c’est prendre la responsabilité totale de nos films, de la production à la distribution et la promotion ? L’indépendance est à notre portée, mais nous devons faire ce que nous avions jamais fait auparavant: nous devons choisir !
Une nouvelle vague que n’aurait pas renié, Alfred Hitchcock, lui qui expliquait qu’il était prisonnier des compromis financiers et commerciaux :
« Que se passerait-il si l’on donnait à un peintre une toile vierge qui a elle seule vaudrait un million de dollars, une palette de 250 000 dollars, 300 000 dollars de pinceaux, une boîte de couleurs de 750 000 dollars et qu’on lui dise ensuite de faire ce qu’il désire selon son inspiration, mais sans perdre de vue que le tableau terminé doit rapporter 2 300 000 dollars ? »