Diriger le National Transportation Safety Board américain n’est pas une mince affaire. Equivalent du bureau d’enquętes et analyses français, mais dont la responsabilité s’étend ŕ l’ensemble des modes de transport, il est constamment dans l’actualité, męme en ces temps de sécurité aérienne exemplaire. D’oů la grande notoriété de la personne qui en a la charge, actuellement Deborah Hersman. Côté aérien, ces derniers mois ont été calmes, carambolages autoroutiers et déraillements de trains mis ŕ part. Mais, soudainement, il y a moins d’un mois, une tension inédite est survenue avec les faiblesses chroniques des batteries lithium-ion du 787 et la décision de la Federal Aviation Administration de suspendre le certificat de navigabilité du dernier-né de Boeing. Un coup de tonnerre.
Le NTSB mčne l’enquęte, dans des conditions difficiles. La cause du mal n’a pas encore été identifiée, une cinquantaine de 787 sont cloués au sol, cet arręt sur image va probablement coűter des milliards de dollars ŕ l’avionneur tandis que son image en souffre gravement. Mais en aucun cas l’enquęte ne sera précipitée, d’autant plus que chaque jour qui passe en confirme l’extręme complexité. Pour reprendre le vocabulaire des enquęteurs, le point de départ de la séquence des événements n’est pas identifié. Le cas de défaillance le plus grave indique un court-circuit dans l’une des huit cellules de la batterie concernée, un emballement thermique, un incendie qui s’est ensuite propagé aux autres accumulateurs et la mise en cause de la sécurité de l’avion.
Le NTSB rappelle les rčgles du jeu : il conduit l’enquęte technique, cherche ŕ établir les causes premičres de la défaillance. Ni plus, ni moins, étant entendu que ce sera ŕ la FAA d’ensuite rendre son verdict, c’est-ŕ-dire, en toute logique, d’autoriser la reprise des vols aprčs modifications dűment approuvées et mises en place. Un processus qui prendra du temps, et dont les conséquences apparaissent d’ores et déjŕ multiples, et cela au-delŕ de la haute technique ŕ proprement parler. La maničre de procéder de Boeing avec ses fournisseurs, ŕ commencer par les plus lointains d’entre eux, passée au peigne fin, pourrait ętre mise en cause : les batteries du 787 sont fabriquées au Japon par GS Yuasa et l’ensemble du systčme électrique de l’avion relčve de Thales.
Il s’agit aujourd’hui de vérifier que cette Ťsupply chainť a été correctement mise en place, que GS Yuasa est techniquement irréprochable, que la formule lithium-ion est ŕ l’abri de tout soupçon. Le ton n’est plus le męme depuis que Deborah Harsman a formulé une remarque assassine : aprčs avoir mené ŕ bien des essais importants, Boeing estimait qu’un problčme de batterie susceptible de provoquer un dégagement de fumée risquait de se poser tout au plus une fois par 10 millions d’heures de vol. Mais deux incidents se sont produits ŕ 9 jours d’intervalle et aprčs moins de 100.000 heures de vol.
Il fallait beaucoup d’aplomb pour tenir de tels propos. Ce qui explique que Deborah Hersman ait reçu le sobriquet de Ťdame de ferť, inflexible, forte d’une image de grande compétence dissimulée derričre une personnalité calme. Elle est jeune, menue, élégante, s’exprime clairement avec un choix des mots d’une étonnante précision et suscite le respect. Il est d’autant moins étonnant d’entendre dire que le Président Obama envisagerait de lui confier le secrétariat d’Etat aux Transports, ce qui la conduirait ŕ succéder ŕ Ray LaHood, qui souhaite ne pas ętre reconduit. Bien entendu, Deborah Hersman ne fait pas le moindre commentaire…
Samedi, pour la premičre fois depuis la mise au sol du 787, un avion de ce type a repris l’air, avec 13 pilotes et ingénieurs du constructeur ŕ son bord et s’est posé aprčs 2 h 19 sans incident quelconque. De toute évidence, il faudra patienter longuement avant de comprendre oů est la faille, tandis que va inévitablement débuter un débat contradictoire consacré ŕ la maničre de travailler de la FAA et du processus de certification. Dans le męme temps, il faut s’attendre ŕ une prudente marche arričre d’Airbus qui pourrait renoncer aux batteries lithium-ion, une mesure de précaution qui apparaîtrait tout simplement logique.
L’A350XWB exige un tiers seulement de l’électricité indispensable au bon fonctionnement du 787 mais les risques encourus ne sont évidemment pas directement proportionnels ŕ ces besoins moindres. Cela en attendant les premičres conclusions du NTSB, un rapport d’étape annoncé pour début mars et, bien sűr, le rapport définitif pour lequel aucun calendrier ne peut ętre fixé pour l’instant. Boeing est ainsi confronté ŕ la crise la plus grave de son histoire contemporaine. Sur ce point, le doute n’est plus permis.
Pierre Sparaco - AeroMorning