[feuilleton] Antoine Emaz, « Planche », 16/20

Par Florence Trocmé


 
À nouveau grève et manif demain. On en est au sixième ou septième jour de grève depuis trois mois, et le lycée est bloqué par les élèves depuis une semaine. Le mouvement ne s’essouffle pas, ce qui prouve un mécontentement de fond sur la question des retraites, la pénibilité au travail, le chômage et les salaires. Mais si on ne gagne rien, ce qui est probable, il y aura une longue période avant de pouvoir remobiliser les gens. 
*** 
Reçu de Jacques Brémond Présent de papier, trois poèmes verticaux de Bernard Noël. Belle réalisation avec une encre de Badaire. 
Poésie pensive que celle de Bernard, étrange dans son positionnement et son dépli formel, toujours très exact. Lisant, j’entends sa voix tranquille. Mais l’enjeu est de pensée, même si la lettre est adressée, même si de l’affectif sourd de la page ; la rencontre se situe davantage sur un plan réflexif, ici. 
*** 
« La photographie, c’est un moyen de comprendre. » H. Cartier-Bresson dans l’émission de Laure Adler sur France-Culture. 
*** 
Venaille, C’est nous les modernes. Titre polémique. Venaille nous fait visiter sa bibliothèque. C’est étonnant comme il ne considère pas les années 60 (Bonnefoy, du Bouchet, Dupin, Celan…) mais s’enracine plus années 70 (Royet-Journoud, Albiach, Veinstein…) sans accrocher vraiment années 80 et le formalisme dur. Importance pour lui, dans ces années, d’Action poétique et d’un lien avec l’action politique (PC). Livre intéressant comme une radiographie : le fameux « d’où tu parles ? » mais aussi « avec qui tu parles ? ». 
*** 
Un poème est affaire de percussion, de frappe de langue. Un maximum de précision sans douceur ni dentelle. Il faut arriver à une intensité juste, et c’est une question de tension de la peau du tambour, mais aussi d’inspiration du batteur. Car avoir une bonne technique est nécessaire mais insuffisant.  
Chaque poème devrait être une forme de dépassement. Le lecteur le saisira plus ou moins, mais le poète, lui, sait très bien quand il a été au bout de lui-même. Il faudrait ne conserver que ces poèmes-là. Et c’est bien pour ça que la poubelle déborde, ou que l’on n’écrit pas. 
*** 
Si la voix est juste, elle emporte tout ; même douce, elle ravage. Un poète n’est pas dans ses thèmes mais dans sa voix. 
*** 
Retour une fois de plus à cette idée géniale de Jakobson : « la forme n’existe que répétée ». Étonnement de repenser que ce qui fait naître la forme, la répétition, la tue du même coup. Sa reconnaissance est son acte de décès, par usure. Il s’agit d’écrire de façon reconnaissable, mais pas répétitive. La notion de « voix » dans sa plasticité convient sans doute bien : une voix au travers des formes, une voix reconnaissable même si elle s’habille différemment. Voilà peut-être ce qui distingue une écriture. Mais cela ne suffit pas : dans le même mouvement, la voix doit être investie, charnelle, incarnée ; il faut qu’il y ait du vivant, au bout, même pour dire la mort ou le deuil. 
  
épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
suite mercredi 13 février 2013  
©Antoine_Emaz