J'ai souvent été lâche. J'ai laissé les événements prendre le dessus. Je me suis laissé faire. La vie m'a toujours semblé étrange. Depuis tout petit, j'ai appris à la contempler. J'ai appris à rester assis dans le canapé, et à regarder les choses à distance. Tout me fascine et tout me paraît opaque, insaisissable. Cette aliénation est commode, elle me permet une certaine appréhension poétique du monde, et elle m'affranchit de l'obligation d'influer sur les événements et circonstances. Ainsi, je deviens parfois le complice de mes propres bourreaux. C'est terrible. D'autant plus que je me rends de plus en plus compte de cet asservissement, et que je ne sais trop comment me libérer, ni si vraiment je veux me libérer.
Dans ce sens, je suis exactement comme la plupart de mes frères humains. Regardons-nous, regardez-vous, dans la glace: nous sommes privés de réelle volonté et d'autorité. Nous avons abdiqué du sentiment de responsabilité individuelle, nous laissons le collectif nous commander.
Dans ce collectif qui joue avec nous comme le chat joue avec la souris, il y a beaucoup d'acteurs ou de facteurs dirigeants. Il y a, par exemple, les machines et la technologie, que nous avons faites reines et qui veulent nous rendre comme elles, c'est-à-dire froides, fonctionnelles et consommatrices d'énergies.
Il y a nos egos que nous n'arrêtons pas d'alimenter comme une bête immonde que nous cachons dans la cave. Il y a la peur du vide sidéral, de l'univers dont nous ne comprenons pas le sens, de la vie que nous ne considérons plus comme un don divin, mais comme une sucession de phénomènes naturels et arbitraires.
Nous y voilà: nous n'avons plus d'explication du monde. Nous n'avons plus de père.