Interview: Orties (17/01/12)

Publié le 10 février 2013 par Oreilles

C'est dans une fin de journée hivernale que j'ai rencontré le groupe Orties dans un café parisien. Projets de deux étudiantes des beaux-arts, ce groupe est pour elles l'occasion de mêler leurs obsessions artistiques ( musique, vidéo, performance) et féministes. Journée promotion oblige, le duo Kincy et Antha accumule les interviews. Mais peu importe. Les Orties n'ont de cesse de parler de leur album Sextape (qui sort le 20 février chez Nuun Rec), cette « colonne vertébrale » agitée par le sexe, les corps, la vie.
1- Quand on écoute votre album, on y trouve de l'électro, du hip-hop, du rap, alors que vous venez de la scène rock, goth, trash. Comment pouvez-vous expliquer cette évolution ?
En fait à la base, Orties s'est constitué quand on avait quinze ans. C'était rock-goth. Moi j'étais à la guitare et elle chantait. Cela s'appelait déjà Orties car c'était déjà notre projet à toutes les deux même s'il y avait d'autres musiciens. On les a virés car on n'avait pas vraiment les mêmes goûts. On a eu marre de ce milieu dark, et on s'est mis à faire du rap car c'était la musique de notre enfance. On a essayé d'être plus moderne, plus dans notre époque. Tout en amenant le même univers que lorsqu'on avait notre groupe de rock.
2- Orties a donc toujours été votre seul groupe ?
Oui au début on était avec d'autres musiciens. Mais, on s'est rendu compte que toutes les deux c'était naturel. On avait envie d'être uniquement toutes les deux comme on est sœur jumelle. Ça perturbe moins que lorsqu'on est avec un groupe et qu'il faut expliquer. Ça évite des problèmes, c'est familial.

3- Est-ce que cela crée quelque chose de particulier ce fait d'être jumelles et d'être dans le même groupe ?
Oui c'est sûr comme on vit les mêmes choses. On habite ensemble déjà. On n'a même pas besoin de parler. On part juste d'un petit mot, d'un petit mot clé. On écrit chacune dans notre coin et on confronte nos textes et souvent on parle de la même chose, mais sous un angle différent. Ce qui est cool, c'est qu'on n'a pas besoin de trop discuter. On est dans le même délire. Et ça fait tellement longtemps vu qu'on est né enfance, quand on était gosse on jouait ensemble. C'était naturel de faire ce groupe uniquement toutes les deux en fait. Et de ne pas être avec d'autres gens qui pourraient pourrir le truc, pourrir la vision. C'est débile à dire mais ils sont un peu jaloux. Donc eux contre nous.... c'est plus simples d'être seules...
4- Vous êtes souvent prises toutes les deux en photo. Les photos ont un aspect assez trash. Est-ce que c'est une image que vous cultivez ?
La plupart des photos, ce sont souvent des auto-portraits, c'est nous qui les faisons, il n'y a pas de photographes. Par exemple, celles qu'on peut voir sur facebook. Souvent, ça part d'un pétage de cable, on s'emmerde, on a envie de prendre une photo. Moi si je m'écoutais je serais toujours à poil. En fait ce qui est marrant, c'est qu'on ne s'en rend pas compte non plus. Pour moi, il n'y a rien de trash là-dedans. C'est peut-être parce qu'on est trop dedans et qu'on calcule plus. Parce que c'est tellement notre vision des choses, on ne se rend plus compte du mot trash, de ce que ça veut dire. Pour nous c'est la norme. C'est pas grave d'être en porte-jarretelle. Il y a pire. Sur la pochette de l'album qui va sortir, je suis seins nus [ Kincy ]. Mais pour moi, c'est cool, ça dédramatise le corps féminin. Pourquoi est-ce que ça serait génant ? Tu vois tranquille, je me mets torse nu comme un mec. [ Antha ] C'est marrant, elle s'est mise naturellement comme ça. Et en fait quand tu vois les FEMEN qui se mettent nues dans les rues, enfin torse nu. Ça se rejoint. Mais, ce n'est pas fait exprès. C'est un peu le même raisonnement. On n'est qu'un corps.
5- Est-ce qu'on peut dire qu'il y a un engagement féministe dans votre démarche ?
Si carrément. Le fait de se mettre torse nu c'est vraiment une prise de position. C'est comme ça qu'il faut comprendre la pochette et le livret-photo de l'album.
6- C'est vous qui avez sélectionné les photos ?
Oui. Je déteste être manipulée. Plus tu montes, plus tu dois faire attention. C'est nous qui avons fait la sélection artistique. Pour les photos de l'album, c'était un pote, Pierre de Belgique. C'était important pour nous. J'aurais pas fait ça avec quelqu'un à qui je ne pourrais pas faire confiance. C'est un bon ami qui fait de belles photos. Et on a la même vision avec Pierre aussi. C'est important de faire les choses avec quelqu'un qui te comprend. Voilà, avoir confiance. On a sélectionné les photos car il y en avait de trop horribles. On a fait une séance photos qui s'est vraiment terminée en porno. Il y a un moment où je sais, là on dépasse la limite. C'est de la musique, c'est de l'art, c'est pas un porno. Si c'était un porno, il faudrait que ça soit mieux fait. Si tu regardes le livre- photo, c'est les prémices de..... C'est marrant de le savoir. C'est une vision rock de la vie mais ce n'est pas sexuel.

7- Vous avez aussi fait un concert lors d'un rassemblement de soutien aux Pussy Riot. Pouvez-vous développer cette dimension engagée de votre groupe ?
Moi, j'aimerais bien que Orties ne soit pas juste un groupe pour les clubs et les abrutis de 15 ans. J'aimerais bien qu'il y ait une autre dimension. C'est cool de s'engager dans des causes comme ça. C'est peut-être un peu utopique. Par exemple, le groupe Brigitte c'est typiquement le groupe que je déteste. Ce sont deux bourgeoises de Paris qui fantasment sur les renoi de Paris, comme Joey Starr, qui lui est devenu complètement bobo. Elles font de la musique très bien, mais il se passe pas grand chose. Moi j'aimerais bien que pour Orties il se passe quelque chose. Moi je dis [ Antha] il y a trop de filles et pas assez de meufs. Il faudrait qu'il y ait plus de meufs qui s'engagent dans des causes.
8- Si on revient à la musique en elle-même, on peut penser à des groupes comme Kap Bambino. Ce rapprochement est-il pertinent ?
Justement, pour le prochain projet on va sans doute collaborer avec eux. Eux c'est quand même pas du rap. Mais j'adore ce qu'ils font et il y a un bon pourcentage d'accords avec nous. Ça faisait longtemps que je n'étais pas allé à un concert où je me dis « ça claque ». C'est cool de faire des chansons avec eux.
9- Pouvez-vous citer quelques-unes de vos influences ?
On a été vachement influencées par des groupes comme Christian Death, du death-rock, des références un peu plus goths, ensuite Nirvana. On a aussi écouté beaucoup de Black Métal. Après des mecs comme Eminem. En ce moment, c'est vraiment Doc Gynéco. Je n'écoute plus que lui. Doc Gynéco et du classique. Du Chopin. Sinon tout le monde me casse la tête. Depuis que j'écoute Doc Gynéco je trouve ça hyper inspirant. J'aimerais bien faire un truc comme ça, qui fait penser aux tropiques.
10- A l'écoute, l'album paraît dispersé, certains morceaux sont assez hardcores, d'autres plus dance. Pouvez-vous parler de la composition de l'album ?
Il est dispersé. C'est ça qui est intéressant. C'est ça qui est bien dans le rap, ce n''est pas toi qui fait ta musique. Donc, tu vas t'entourer de plusieurs beatmakers, de plusieurs ambiances différentes. Mais moi je trouve que malgré tout ses chemins qui partent de façon dispersés se retrouvent sur une ligne droite. Et, on a fait une sélection. On a enregistré une centaine de titres. C'est une façon de parler mais on en a enregistré au moins une cinquantaine avant de faire une sélection. On avait envie de faire chier les gens et de leur mettre de la dance. Juste aussi pour montrer qu'on n'était pas que ça. On est surtout pas du rap gothique car ça nous a collé, mais on n'est surtout pas que ça. Les descriptions de notre groupe correspondent plus du tout. Pour moi le ciel bleu, le côté exotique, tropique ça me plaît aussi maintenant. En fait, l'unité de Sextape, c'est la déception amoureuse, c'est l'amour impossible. Ça finit très mal. Dans « Soif de toi », j'étais en pleine descente , j'étais à fond sur quelqu'un.
11- Est-ce que vous avez hésité entre le français ou l'anglais pour chanter ?
De toute façon, je ne sais pas chanter en anglais, je ne vais pas me forcer. Je connais des gens qui savent pas très bien parler en anglais, mais ils ont un groupe et ils chantent en anglais, je ne sais pas comment c'est possible. Ils écrivent le texte en français et après ils traduisent le texte en anglais façon google trad. C'est horrible. On est beaucoup plus riche dans notre langue maternelle. C'est comme si Rimbaud s'était demandé s'il allait écrire ses textes en anglais. Je ne sais pas pourquoi les gens se mettent des contraintes comme ça.
12- Quand on fait attention aux paroles de vos chansons, vous n'avez pas l'impression d'exprimer une vision très violente de la société ?
Pas si violente que ça. Ça part en général de ce qu'on a vécu, ça part de la réalité. Les gens sont tellement habitués à la naïveté. Quand j'écoute les clips, par exemple, sur M6. Là on entend toute la naïveté des chansons. Il y a quelques années, quand Gainsbourg était encore là, il y avait plus de gens comme Isabelle Adjani... Il y avait plus d'intelligence dans les textes. Ce qui choque, ce n'est pas que Orties soit violent. Ce qui me choque, c'est toutes les conneries qu'on entend. Les mecs ils écrivent un couplet en huit minutes et ils se disent « c'est tellement cons que ça va se vendre ». Dommage que Amy soit morte, car c'était une des seules à cette heure-ci chez qui il y avait quelque chose de plus.
13- Pouvez-vous me dire chacune le titre que vous préférez dans l'album ?
[Antha] Franchement, je pourrais pas te dire, car ils ont tous une touche à apporter. Ils vont tous ensemble et sont dans une espèce de continuité et on arrive au dernier titre « Orgasme ». C'est une espèce de colonne vertébrale qui s'enchaîne.
[ Kincy] moi c'est « Panne de courant » car j'aime bien son format qui change. C'est un peu comme si on avait fait une petite installation sonore. C'est marrant d'innover sur des formats différents. Il n'y a même plus d'instru, c'est déstructuré. J'ai écrit le morceau dans l'esprit haïku avec des mots détachés.
14- Pour finir, pouvez-vous définir votre musique en cinq mots ?
« Le Mouvement Des Astres Morts » ou « Racaille De Paris Á Hawaï ».

Site du groupe Orties
Prochain concert : 15 février au Scop Club ( Paris)
(Photo : Chill O.
Stylisme : Harmony Coryn
Make up : Chloé Ribero)