Contrairement à sa cousine européenne, la nouvelle année asiatique est une affaire de famille.
Mais ça n’a rien d’un Noël occidental. On ne fait pas la gueule parce que le cousin ChingChong qu’on ne peut pas encadré a été invité. Si on ne l’aime pas, on ne l’invite pas.
Surtout on ne revend pas ses cadeaux. De toutes façons, y en a pas.
Les adultes distribuent les traditionnelles petites enveloppes rouges aux plus jeunes, qui respectueusement transmettent leurs voeux dans une langue maternelle plus ou moins maîtrisée (je parle surtout pour moi dans ce cas précis). Je me souviens d’avoir toujours eu un mal fou à élucubrer les miens, parfois griffonnés sur un papier de manière phonétique (je n’écris pas le vietnamien, je le parle juste) ou appris par coeur le matin même. Je mélangeais toujours les mots. Je te souhaite la bonne santé pouvait ainsi se transformer en Je te souhaite le bon loto, car généralement j’enchaînais avec Je te souhaite de gagner au loto. Personne n’a jamais gagné au loto grâce à moi, mais je continue de le faire espérer. En revanche, pour la longévité, ça a plutôt bien fonctionné. J’ai grandi jusqu’à l’âge adulte en ayant la chance de connaître mes grands parents. Je te souhaite la bonne santé. C’était bien la seule phrase que j’avais jamais merdée.
Je me suis améliorée depuis avec le temps – j’espère – mais j’ai toujours parlé vietnamien comme un français moyen parle anglais, en faisant de la bouillie pour les petits cochons.
Je revoyais donc cousins, cousines, oncles et tantes une fois dans l’an. Les uns prenaient quelques centimètres supplémentaires, d’autres un air sévère. J’ai toujours trouvé que les hommes asiatiques en vieillissant prenaient un air de prof de maths à la retraite. Les femmes quant à elles sont sans âge. C’est comme si elles vivaient dans un album photo qui n’aurait qu’une page. Peut être que lorsque je serais vieille on me demandera encore ma carte d’identité pour acheter de la bière chez Tesco. Ca serait un drôle de trophée.
Pour le nouvel an on ne boit pas de champagne, mais on festoie comme des ogres, autour de repas ridiculement gargantuesques et fastes. Durant plusieurs heures, c’est un formidable feu d’artifices de saveurs et de couleurs (le foyer est fleuri en abondance pour l’occasion) qui dansent le Gangnam style dans votre estomac.
Mon met préféré c’est le nem.
Chez nous, le nem n’est pas ce que vous occidentaux appelez le nem. D’ailleurs je me demande qui est l’abruti qui s’est mis à prénommer ainsi nos Chả giò.
Pour moi, le nem, c’est un petit carré de viande de porc cru mélangé à de la couenne de porc, du nuoc nam, du sucre, du sel et des épices, puis fermenté jusqu’à ce qu’il prenne une certaine acidité.
Je vais volontairement omettre de vous parler des oisillons (oui des oisillons déjà formés) parce que vous me traiteriez autrement de barbare.
Pour les proches décédés, on laisse une chaise vide autour de la table, afin qu’ils puissent revenir partager un bout du festin avec nous. J’accueille toujours cet invité surprise avec une larme, lorsque je me remémore le son de sa voix ou des blagues qu’il pourrait dispenser.
Pour la première fois cette année j’ai dérogé à la tradition. Je me suis sentie neurasthénique. Je suis de l’autre côté de la Manche et ma famille me manque. Il manquait également l’odeur du graillon, le rire bruyant des enfants, les cris des femmes qui hurlent depuis la cuisine, les hommes qui parlent un peu ébréchés vers la fin du repas.
Putain, dire que j’ai mangé un chirashi à midi.