Ce blog se voulant un espace de culture, un peu comme les salons viennois du dix-neuvième siècle, j'ai décidé qu'il était de mon devoir de vous ouvrir les yeux sur la littérature, en vous inondant de critiques éclairées et autorisées. Il y en aura au moins une. Celle-ci, que j'ai par ailleurs écrit pour un autre site. Mais si ça ne me permettait pas de mettre un peu à mon jour mon blog, je serais un sacré couillon, non ?
Toujours est-il que je viens donc vous parler, en cette fraîche journée de février, de manga. Et, afin de gagner des lecteurs potentiels, je vous causerai de ce phénomène de mode qu'est le manga pour le pinard, dénomitulé les Gouttes de Dieu. Certes, le phénomène de mode est déjà ancien. Et alors, dirais-je ? Il reste un des rares machins qui aient franchi la frontière du « bon c'est du manga, mais on peut le lire quand même » posée par je ne sais plus qui, car la caractéristique de ce manga, c'est d'être lu en France même par des gens qui « n'aiment pas le manga » ou « n'y connaissent rien en BD », parce que ça a dû être encensé dans Télérama (ou un truc du genre), parce que ça parle d'un truc typiquement français : le vin.
Je vous résume le pitch : un super critique japonais de vin, appelons-le Robereto Parekeru-san – ce n'est pas son vrai nom, mais j'ai oublié – est mort, sans doute tué par une barbe bizarre plaquée sur la moitié inférieure de son visage. Il a un fils beau gosse, qui n'aime pas le vin parce que son père aimait le vin et que non mais des fois hein, on est rebelle ou on l'est pas et lui il l'est, et donc il bosse dans une entreprise de bière, et quand il arrive à la lecture du testament de son père il découvre que celui-ci a un fils adoptif beau gosse ténébreux, et qu'il va y avoir un duel de beaux gosses pour hériter du magot et de la super-cave du papa, duel consistant en la recherche, une par une, de 12 bouteilles que le papa a décrites. Ouf.
Pour corser les choses, le fils adoptif beau gosse est un super champion du vin à lunettes, qui fait oh oh oh en écartant les bras et laisse sans doute des taches dans le fond de son slip quand il déguste un truc. Notre héros beau gosse, lui, n'y connait rien sauf qu'il découvre qu'il a eu un entraînement secret en léchant des couteaux quand il était petit ce qui fait que c'est un super dégustateur, et en plus il a un super pouvoir, celui de décanter en contre-plongée n'importe quelle bouteille pourrie pour la faire devenir comme une fleur qui s'épanouit et que les gens qui disaient avant « bon sang, ce vin est pourri » se mettent la main sur la joue et s'exclament « bon sang, ce vin n'est pas pourri du tout ».
Et donc, au fil des vingt-cinq tomes (jusqu'à maintenant), on va chercher 12 vins. Au tome 19, on en est au cinquième. Mais il faut du temps, pour que le lecteur découvre des noms de pinards et des méthodes de fermentation, qui constituent, il faut l'avouer, le point intéressant de la série. Parce que sinon, c'est quand même un poil lassant de voir des gens ouvrir des bouteilles et faire oh oh oh il est bon en écartant les bras. Bon, il y a aussi un peu de fesses, parce que le fils adoptif ténébreux se tape quelques gonzesses, par exemple quand il va quelques semaines dans le désert chinois pour être sûr d'avoir soif.
Parce que oui, il y a aussi des aventures, entre les ouvertures de vin, mais elles sont quand même un poil excessives, et nos amis pinardophiles ont généralement un bol assez incroyable, et ils rencontrent partout des gens dont le pinard est l'unique passion dans la vie, ou a ruiné la vie à un point qu'on ne soupçonnerait pas le pinard d'être capable : on trouve donc des amateurs de vin dans le désert de Gobi (enfin, pas encore amateurs, mais en passe de devenir super-dégustateurs), mais aussi dans le moindre bar à sushis dans lequel pénètre un des héros, et si leur vin doit représenter un premier amour, sur qui croyez-vous qu'ils tombent dans les douze pages qui suivent ? Bingo. Leur premier amour, qu'ils n'ont pas vu depuis des années, mais qui entretemps est devenu pro du vin. Et s'ils doivent trouver un vin qui représente le mont Cervin, sur qui tombent-ils, accrochée à une touffe d'herbe au-dessus du précipice ? Une nana dont le petit copain disparu a promis de lui faire goûter un vin qui représente le Cervin japonais, bing.
En bref, niveau scénario, c'est quand même un peu facile de sortir des deus ex-machina à chaque tome. Si vous faites ça, arrangez-vous pour que ce soit drôle, quoi (quelqu'un a réclamé la police végétalienne ?).
Dans le même domaine, le truc hyper-récurrent (et essentiel à l'histoire) c'est la réaction disproportionnée à la moindre goutte, qui évoque forcément un truc hyper-précis et identique pour tout le monde. Alors je sais pas vous, mais moi, je n'ai jamais rencontré personne capable de dire en buvant du pinard « ha oui, c'est une prairie remplie d'orchidées au soleil couchant avec des bébés renard qui jouent devant leur terrier et mon premier amour qui joue du violoncelle – argh, c'est pas le vin que je cherchais, elle devait jouer de la vielle à roue ! ». Et si c'est pas ça, c'est un totem, ou l'amour d'une mère, ou un coup d'un soir (je vous jure). Franchement, dans Yakitate !! Ja-pan, c'est plus drôle et presque plus crédible.
Tout ça pour dire, mais bon sang, il y a tant de chouettes mangas, pourquoi faut-il que les médias ne parlent et n'encensent que des bouses sous prétexte que « y'a du pinard donc c'est bien puisque ça fait français » ? Pour le pinard, lisez les Ignorants de Davodeau, merde.
En plus, s'il dessine vachement bien les bouteilles, le dessinateur sait pas faire les barbes et les filles ont des ongles de douze centimètres, berk.
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