Le Sénat est saisi en deuxième lecture d’une proposition de loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte. Un texte dont l’objet est aussi important que l’apport est incertain.
De bonnes intentions
Il est incontestable que nombre de drames environnementaux et sanitaires auraient pu être évités ou mieux traités si les personnes qui avaient tenté d’alerter l’opinion ou les pouvoirs publics avaient pu être entendues et, surtout, écoutées. Qu’il s’agisse du drame de l’amiante, du médiator ou des risques relatifs aux OGM, des personnes se sont élevées pour avertir mais elles ont d’abord prêché dans le désert. A ceux qui doutent de l’utilité de protéger les lanceurs d’alertes, je conseille la lecture des rapports passionnants de l’Agence européenne de l’environnement : « signaux précoces, leçons tardives ».
Lors du Grenelle de l’environnement, certains participants avaient proposé la création d’un cadre juridique destiné à protéger les lanceurs d’alertes. L’intention est louable mais comporte des inconvénients que la proposition n’évite qu’en s’appauvrissant. Plus encore : à vouloir protéger les lanceurs par la loi, on peut aussi obtenir l’effet inverse de celui recherché.
La présente proposition de loi tend,
- D’une part, à créer une « Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement ;
- D’autre part à créer une procédure d’alerte en droit du travail et au sein de l’entreprise.
La première partie de ce texte, relative à la création d’une nouvelle commission est assez faible. La deuxième est plus ambitieuse.
Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?
La définition actuellement retenue du projet de loi, après une première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale et au Sénat, est la suivante :
« Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement.
L'information qu'elle rend publique ou diffuse doit s'abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse. »
Il ne fait aucun doute que des personnes ont lancé des alertes fondées, réfléchies et qu’il aurait été nettement préférable de les écouter. Reste que des personnes se revendiquent aussi lanceurs d’alertes sans en avoir aucune qualité.
En premier lieu, se prétendent aussi lanceurs d’alertes des illuminés, des fanatiques de la théorie du complot, des voisins haineux, des adeptes de la victimisation, des scientifiques en mal de reconnaissance et des élus en mal de mandats. Il est donc nécessaire de faire le tri parmi tous ceux qui crient au scandale sanitaire sans en avoir aucune preuve. Pour un motif simple : les vrais lanceurs d’alertes sont les premières victimes de ceux qui crient sans cesse au loup.
Or, la proposition de loi comporte une définition assez imprécise de ce qu’est un « vrai » lanceur d’alerte. A titre d’exemple, qu’est-ce en effet qu’une personne « de bonne foi » ? Comment se prouve la « bonne foi » ? Qui sera chargé de le vérifier ? Le texte comporte plus de questions que de réponses et l’on voit mal ce qu’apportera son inscription en droit. Surtout, le droit de rendre publique une alerte n’avait sans doute pas besoin d’un texte pour pouvoir être exercé. En réalité, le problème tient à l’attention qui est accordée à un lanceur d’alerte. Et, sur ce sujet, il est à craindre que le droit n’y puisse pas grand-chose.
En second lieu, il convient d’avoir présent à l’esprit que le statut de lanceur d’alerte pourra aussi être employé à des fins purement commerciales dans des rapports concurrentiels entre entreprises. Ne doutons pas qu’un jour ou l’autre une entreprise soufflera sur les braises d’une vraie fausse alerte pour nuire aux intérêts d’une entreprise concurrente. Tout comme il existe déjà de fausses associations qui, sous couvert de défendre l’environnement ou la santé publique, défendent en réalité des intérêts politiques, financiers ou commerciaux.
En troisième lieu, la présente proposition de loi procède de l’idée que les lanceurs d’alerte ont besoin d’être protégés. Je ne suis pas certain qu’ils aient surtout besoin d’être entendus. Or, de ce point de vue, la proposition de loi est assez limitée.
Lanceurs d’alertes et représentants du personnel
La création d’un cadre juridique propre aux lanceurs d’alertes comporte un inconvénient de taille : celui d’affaiblir les représentants syndicaux du personnel. Pour ma part, j’aurais de loin préféré que l’on débatte du rôle environnemental et sanitaire des représentants du personnel plutôt que de créer un nouveau droit.
J’entends parfois dire que les syndicats de salariés sont de culture productiviste, ne se préoccupent que d’emploi et n’écoutent pas les écologistes. Mais depuis le Grenelle et grâce au dialogue fructueux qui s’y est noué - force est de constater que les syndicats ont aussi beaucoup évolué. Des spécialistes du développement durable ont été désignés en leur sein – comme Jean-Pierre Bompard à la CFDT – qui contribuent à sensibiliser les représentants syndicaux au long terme.
Par ailleurs, la critique des représentants du personnel me paraît pouvoir être écartée. Il est sans doute plus judicieux d’agir pour renforcer la représentativité, la légitimité et le pluralisme de la représentation syndicale que prendre le risque de nouvelles concurrences entre défenseurs des salariés. L’urgence me paraît être de renforcer les corps intermédiaires, pas d’en souligner les carences.
La commission de déontologie : une compétence limitée
Ce qui devait être, dans la proposition de loi initiale une « Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement » est devenue, au fil des débats, une simple « commission de déontologie ».
L’article 1er bis de la proposition de loi, dans son état actuel, procède donc à la création d’une « Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement » dont les compétences sont ainsi énumérées :
« Il est institué une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement chargée de veiller aux règles déontologiques s'appliquant à l'expertise scientifique et technique et aux procédures d'enregistrement des alertes en matière de santé publique et d'environnement.
À cette fin, elle :
1° Émet des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l'expertise scientifique et technique dans les domaines de la santé et de l'environnement, et procède à leur diffusion ;
2° Est consultée sur les codes de déontologie mis en place dans les établissements et organismes publics ayant une activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou de l'environnement dont la liste est fixée dans les conditions prévues à l'article 1er bis. Lorsqu'un comité de déontologie est mis en place dans ces établissements ou organismes, elle est rendue destinataire de son rapport annuel ;
3° Définit les critères qui fondent la recevabilité d'une alerte ainsi que les éléments portés aux registres tenus par les établissements et organismes publics mentionnés au 2° ;
4° Transmet les alertes dont elle est saisie aux ministres compétents, qui informent la commission de la suite qu'ils réservent aux alertes transmises et des éventuelles saisines des agences sanitaires et environnementales placées sous leur autorité résultant de ces alertes. Les décisions des ministres compétents concernant la suite donnée aux alertes et les saisines éventuelles des agences sont transmises à la commission, dûment motivées. La commission tient la personne ou l'organisme à l'origine de la saisine informé de ces décisions ;
5° et 6° (Supprimés)
6° bis Identifie les bonnes pratiques, en France et à l'étranger, et émet des recommandations concernant les dispositifs de dialogue entre les organismes scientifiques et la société civile sur les procédures d'expertise scientifique et les règles de déontologie qui s'y rapportent ;
7° Établit chaque année un rapport adressé au Parlement et au Gouvernement qui évalue les suites données à ses recommandations et aux alertes dont elle a été saisie ainsi que la mise en œuvre des procédures d'enregistrement des alertes par les établissements et organismes publics mentionnés au 2°. Ce rapport comporte, en tant que de besoin, des recommandations sur les réformes qu'il conviendrait d'engager pour améliorer le fonctionnement de l'expertise scientifique et technique et la gestion des alertes. Il est rendu public et est accessible par internet. »
En résumé, cette commission possède deux types de compétences.
En premier lieu, elle aura un rôle de proposition : règles déontologiques, bonnes pratiques, recommandations, rapport... Un rôle de proposition mais pas de contrôle ou de sanction des règles dont elle propose l’élaboration.
En second lieu, elle pourra traiter les alertes et tel est sans doute là son rôle premier, celui qui motive la rédaction de cette proposition de loi. Reprenons le texte sur ce point précis. La Commission :
« 4° Transmet les alertes dont elle est saisie aux ministres compétents, qui informent la commission de la suite qu'ils réservent aux alertes transmises et des éventuelles saisines des agences sanitaires et environnementales placées sous leur autorité résultant de ces alertes. Les décisions des ministres compétents concernant la suite donnée aux alertes et les saisines éventuelles des agences sont transmises à la commission, dûment motivées. La commission tient la personne ou l'organisme à l'origine de la saisine informé de ces décisions ; »
En clair, la Commission a un seul rôle de courroie de transmission : elle transmet les alertes aux ministres compétents, reçoit leurs observations – la réponse devant être dûment motivée - et les transmet dans l’autre sens au lanceur d’alerte. La Commission n’est pas compétente pour trier les alertes, donner son avis, s’assurer de leur traitement et, surtout, agir sur les causes de l’alerte si celle-ci s’avère « de bonne foi ». La Commission sert surtout de boite aux lettres. Certes, la personnalité de son président et de ses membres pourra en faire évoluer la fonction et l’importance mais il faut se demander s’il était vraiment nécessaire d’en passer ici par la loi.
Qui peut saisir la commission de déontologie ?
L’article 2 de la proposition de loi énumère les personnes qui peuvent saisir : surprise, les lanceurs d’alertes ne peuvent pas saisir la Commission de déontologie :
« La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement peut se saisir d'office ou être saisie par :
1° Un membre du Gouvernement, un député ou un sénateur ;
2° (Supprimé)
3° Une association de défense des consommateurs agréée en application de l'article L. 411-1 du code de la consommation ;
4° Une association de protection de l'environnement agréée en application de l'article L. 141-1 du code de l'environnement ;
5° Une association ayant une activité dans le domaine de la qualité de la santé et de la prise en charge des malades agréée en application de l'article L. 1114-1 du code de la santé publique ;
6° Une organisation syndicale de salariés représentative au niveau national ou une organisation interprofessionnelle d'employeurs ;
6° bis (nouveau) L'organe national de l'ordre d'une profession relevant des secteurs de la santé ou de l'environnement ;
7° Un établissement ou un organisme public ayant une activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou de l'environnement. »
La proposition de loi n’est pas parvenue à trouver un équilibre entre lanceurs d’alertes et respect du rôle des corps intermédiaires (syndicats et associations). Du coup elle réserve aux seuls corps intermédiaires le droit de saisir la Commission de déontologie.
En clair, si un lanceur d’alerte veut saisir la commission : il ne peut pas le faire directement. Il lui faudra d’abord saisir un élu, une association ou un syndicat pour que ce dernier porte son alerte à sa place devant la Commission. Cette dernière ne pourra alors que la transmettre au Ministre. A mon sens le lanceur d’alerte aura plus vite faire d’écrire directement au Ministre en mettant en copie la presse, les élus et les réseaux sociaux pour assurer le traitement de son alerte par son destinataire. Au demeurant, il est étrange que le ministre soit ici le personnage central du dispositif. Si l’alerte procède d’un dysfonctionnement d’une entreprise, ce sont davantage ses responsables, les représentants du personnel ou des Juges qui devraient être saisis.
Qui compose la Commission de déontologie ?
On retrouve ce souci de ne pas « froisser » les corps intermédiaires (associations, syndicats..) à l’article 3 de la proposition de loi, relatif à composition de la Commission:
« La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement comprend notamment des députés et des sénateurs, des membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation, des membres du Conseil économique, social et environnemental et des personnalités qualifiées au titre de leurs travaux dans les domaines de l'évaluation des risques, de l'éthique ou de la déontologie, des sciences sociales, du droit du travail, du droit de l'environnement et du droit de la santé publique, ou appartenant à des établissements ou des organismes publics ayant une activité d'expertise ou de recherche et ayant mené des missions d'expertise collective.
Un décret en Conseil d'État précise les modalités de fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement ainsi que sa composition, de manière à assurer une représentation paritaire entre les femmes et les hommes».
Il conviendra en réalité d’attendre le décret d’application pour analyser les équilibres qui seront créés au sein de cette commission, la loi étant encore assez imprécise sur le sujet. Il est regrettable que la loi ne comporte pas plus de données sur les catégories de membres et leurs conditions de travail.
Le droit d’alerte en entreprise
La proposition de loi ne se réduit pas à la création d’une nouvelle commission de déontologie. Elle prévoit également de créer un droit d’alerte en entreprise en insérant de nouvelles dispositions à cet effet au sein du code du travail.
En premier lieu, l’article 9 de la proposition de loi prévoit un droit pour un travailleur d’alerter son employeur, lequel doit enregistrer cette information et préciser la suite qu’il lui réserve :
« Art. L. 4133-1. - Le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement.
« L'alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire.
« L'employeur informe le travailleur qui lui a transmis l'alerte de la suite qu'il réserve à celle-ci.
En second lieu, la proposition de loi reconnaît le même droit de saisine au représentant du personnel qui, à mon sens, pouvait déjà agir :
« Art. L. 4133-2. - Le représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe un risque grave pour la santé publique ou l'environnement en alerte immédiatement l'employeur.
« L'alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire.
« L'employeur examine la situation conjointement avec le représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui lui a transmis l'alerte et l'informe de la suite qu'il réserve à celle-ci. »
L’intérêt de la disposition tient donc à la production d’un écrit. L’imposer à l’employeur est-il la meilleure solution ? Il est également possible de saisir la médecine du travail ou les autorités administratives de contrôle (inspection du travail, inspection des installations classées..). S’agissant des autorités administratives, il serait intéressant de revenir à l’idée de la « demande d’action » (directive 2004/35) qui oblige l’administration à instruire les alertes qui lui sont adressées plutôt que de concentrer l’effort sur les réponses écrites de l’employeur.
En troisième lieu, la proposition de loi autorise le travailler ou le représentant du personnel à saisir le Préfet :
« Art. L. 4133-3. - En cas de divergence avec l'employeur sur le bien-fondé d'une alerte transmise en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 ou en l'absence de suite dans un délai d'un mois, le travailleur ou le représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut saisir le représentant de l'État dans le département.
En quatrième lieu, un nouvel article du code du travail garantira l’information du CHSCT :
« Art. L. 4133-4. - Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est informé des alertes transmises à l'employeur en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2, de leurs suites ainsi que des saisines éventuelles du représentant de l'État dans le département en application de l'article L. 4133-3.
Les dispositions qui viennent d’être citées n’ont, à elles seules, qu’une portée assez limitée. Imposer la production d’un écrit à l’employeur, informer le CSCHT : autant de procédures dont l’intérêt n’est pas immédiatement démontré pour que l’information sanitaire ou environnementale circule mieux dans les entreprises et dans la société plus généralement.
C’est peut-être la proposition d’article L.4133-5 du code du travail qui est susceptible de leur donner un intérêt plus prégnant.
Quelle protection pour le lanceur d’alerte ?
La proposition de loi en propose la rédaction suivante.
« Art. L. 4133-5. - Le travailleur qui lance une alerte en application du présent chapitre bénéficie de la protection prévue à l'article L. 1350-1 du code de la santé publique. »
Ainsi, le lanceur d’alerte pourrait, au sein même de son entreprise, tirer la sonnette d’alarme, tout en bénéficiant d’une protection. Laquelle ? La proposition de loi propose le dispositif suivant qui serait codifié à l’article L.1350-1 du code du travail :
« PROTECTION DES LANCEURS D'ALERTE
« Art. L. 1350-1. - Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, ni être sanctionnée ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l'environnement dont elle aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
« Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.
« En cas de litige relatif à l'application des deux premiers alinéas, dès lors que la personne établit des faits qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l'environnement, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »
La portée de cette disposition dépendra bien sûr de ce que les salariés et les Juges en feront. Pour l’heure, le doute est permis. Il est peu probable qu’un employeur sanctionnera ouvertement un lanceur d’alerte au motif précise de cette alerte. Il existe de multiples moyens pour décourager, « placardiser » ou sanctionner un salarié sans besoin d’écrire les motifs officiels du traitement qui lui est ainsi réservé.
En outre, il faut aussi faire le pari du dialogue : un employeur peut avoir tout intérêt à une alerte et lui réserver bon accueil. Déclencher une procédure de retrait de produits du marché le plus en amont possible, grâce à une information précoce sur le défaut de qualité d’un lot est certainement dans l’intérêt d’une entreprise. Organiser ce dialogue peut apparaître tout aussi important que d’anticiper un conflit.
L’incrimination de la fausse alerte.
De manière à établir un équilibre et à ne pas encourager des dérives liées à la multiplication des alertes, la proposition de loi précise à son article 19 :
« Toute personne physique ou morale qui lance une alerte de mauvaise foi ou avec l'intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits rendus publics ou diffusés est punie des peines prévues au premier alinéa de l'article 226-10 du code pénal.
Droit d'alerte et responsabilité du fait des produits défectueux
De manière à encourager les employeurs à respecter la procédure d’alerte au sein de l’entreprise, la proposition de loi précise :
« Article 20
Tout employeur saisi d'une alerte en matière de santé publique ou d'environnement qui n'a pas respecté les obligations lui incombant en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 du code du travail perd le bénéfice des dispositions du 4° de l'article 1386-11 du code civil. »
Rappelons que l’article 1386-11 du code civil précise :
« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. »
Conclusion
L’objet de cette proposition de loi est louable : il faut en effet réfléchir à la place des lanceurs d’alerte dans notre société, assurer la circulation de l’information, garantir son traitement. La bonne application du principe de précaution suppose que les autorités publiques puissent entendre et écouter les chercheurs, médecins, militants associatifs et élus qui décèlent les causes d’un risque sanitaire ou environnemental.
Reste qu’il n’est pas certain que cette proposition atteigne son objectif en créant une commission administrative et en créant une nouvelle obligation à la charge de l’employeur. L’honnêteté commande de dire que je ne suis pas tout à fait convaincu. Ce qui est d’autant plus difficile à admettre que je nourris une réelle admiration pour la sincérité et la continuité de l’engagement de la sénatrice Marie-Christine Blandin que j’ai notamment pu vérifier lors du Grenelle de l’environnement.
Plutôt que de créer une nouvelle commission, il eut sans doute été préférable de créer et de renforcer des mécanismes existants. Voici quelques pistes : créer un droit de pétition /de saisine du Parlement français à l’image de celui qui existe devant le Parlement européen ; débattre du fonctionnement de la Justice : donner des moyens au Juge d’instruction, réformer en profondeur la procédure d’expertise judiciaire, faciliter l’accès à l’avocat ; Renforcer le dialogue entre syndicats et associations de défense de l’environnement ou des consommateurs, renforcer la formation des représentants du personnel aux questions sanitaires et environnementales etc…
De manière générale, il serait également intéressant, plutôt que le point de vue de la contrainte, d’adopter celui du dialogue environnemental et de démontrer à chacun, employeurs, élus, représentants du personnel ou tout autre décideur, qu’une bonne gestion du risque sanitaire et environnementale est économiquement intelligente.
Enfin, du point de vue du droit, cette proposition de loi démontre que, depuis le vote de la Charte de l'environnement en 2005 et le Grenelle de 2007 le droit de l'environnement ne cesse pas de poliniser les autres branches du droit.