Oyez, oyez, gens de Bussang et d’ailleurs, esprits rêveurs, joueurs, amusés amoureux passionnés de la scène : les zouaves du Peuple ont engagé le combat. Bussang ousqu’est ? Dans les vallons vosgiens. L’histoire, quoi qu’est-ce ? Un « cabaret spectral », qu’on dit. Spectral, parce que spectaculaire et théâtral. Théâtral, car verbal. Un « Grand fracas issu de rien », qu’il s’intitule, le numéro. C’est à qui aura le dernier mot, le dernier geste. Pierre Guillois, le patron de cette grange à miracles, de ce théâtre de la variété au cœur de l’été, de ces bouffes vosgiens, a orchestré un joyeux fatras artistique dans l’esprit des as du cabaret, des malices foraines.
Sur la piste un Monsieur Loyal (Dominique Parent) en costume clair. Il a emprunté ses tournures alambiquées au bon Valère, le poète Novarina, un familier de l’acteur. Entre les quatre murs d’un petit poste qu’on penserait de télé, simplement projeté sur un tulle tendu en fond de scène, il entame les joyeusetés. Il est le mettre-mot de la cérémonie, un homme à chercher les points sur les « y » du gymnaste. Le gymnaste ? Diable ! Un athlète de la région (Younesse el-Hariri), aussi à l’aise aux agrès que Loyal au monologue. En artiste, il pratique l’arçon et les anneaux, file droit aux barres parallèles, se dresse, se hisse, s’empare de la diva (Sevan Manoukian) qui ne cesse de chanter, faisant la planche sur les épaules du bel homme. Lui prend à bras le corps ce que Loyal prend au pied de la lettre.
Un collègue à eux n’est ni corps à corps, ni mot à mot, il est plutôt du genre balle au bond : c’est le jongleur. Un habile homme (Adrien Mondot) qui a créé, grâce soit rendue à ses talents d’informaticien, l’ensemble des projections vidéo qui enchantent le spectacle. Un film pour accompagner la geste des acrobates et des phraseurs. Sur l’écran de toile fine, des pluies de lettres, des déluges de points, des dégelées de mots escortent les artistes. Rare : plutôt que de voir courir les uns et les autres après l’image, comme trop souvent, s’inquiéter d’être placé ci ou là, dans la zone de projection idoine, la « scénographie numérique », par les bons soins d’une technicienne (Claire Bardainne), suit chacun dans ses déplacements, dans ses humeurs.
À la conquête du crachoir
Car cette fable foraine, sorte d’allégorie de la lutte pour l’expression où une diva, des jongleurs, un expressionniste, un percussionniste et sa batterie d’arguments (Benjamin Sanz) se disputent le bout de gras, à la conquête du crachoir, est fondée sur l’exploration de la palette humoro-chromatique : joie, tristesse, colère… Au final, « tout va de guingois quand tu cours droit devant toi » – parole du discoureur, qu’on imaginerait volontiers d’ailleurs plus clownesque : un Loyal, un vrai ! N’empêche qu’il a raison, cette euphorie de cabaret – en un timing parfait : une heure et quelques dizaines de minutes et l’affaire est pliée – n’est pas loin d’avoir ni queue ni tête. Pas de suspens ; on espère un moment, pourtant. La diva zyeuterait-elle, folle de concupiscence, entre deux airs de Gounod et Purcell, l’athlète ? Le présentateur-Loyal en concevrait-il quelque jalousie ? Nenni. Les artistes sont des autistes, une « accumulation de solitudes » renchérit l’ami Guillois : soit, disons qu’ils excellent dans leur bulle.
On aimerait tant voir une histoire poindre… on en est pour nos frais. Exit le mélodrame (on réserve ça pour l’après midi ; voir le Brame des biches). Mais à couper ainsi la poire du cabaret en deux, ménageant la chèvre circassienne et le chou novarinesque, Pierre Guillois complique le spectacle. Si notre prologue athénien gardait son espièglerie de téléprésentateur rattrapé par son propre délire logorrhéique, perdant pied, noyé qu’il est dans son discours (un numéro de bravoure !), s’il trouvait la chaussure du Loyal à son pied, bref avec un brin moins de Novarina et un soupçon plus de suspens, ne serait-ce qu’une historiette, ce fracas issu de rien pourrait bien aller loin ! ¶
Cédric Enjalbert
Les Trois Coups