Célébrant les cent ans de la Comédie des Champs-Elysées, Stéphanie Fagadau-Mercier programme la très jolie fable surréaliste de Jean Giraudoux que son père Michel (directeur du théâtre jusqu'à sa disparition en 2011) souhaitait remonter pour l'occasion, quatre décennies après l'avoir inscrite au répertoire de la Comédie Française. Elle réunit une impressionnante troupe de dix-neuf comédiens dirigée par Didier Long qui signe une mise en scène plaisante, élégante, appliquée, mais presque paresseuse, et qui commet l'erreur, selon nous, d'une fidélité trop grande à la version de 1971 (dvd disponible aux Editions Montparnasse, extrait plus bas) forcément datée, pour ne pas dire désuète. Un hommage qui rime (un peu) avec "dommage"...
"La Folle de Chaillot", c'est l'histoire de cette vieille femme, mi-clocharde mi-comtesse, sans doute plus utopiste que véritablement folle, amoureuse de la vie, porte étendard des marginaux, des artistes, aux idées écologiques et humanistes souvent avant-gardiste, qui sauvera Paris et son peuple de capitalistes avides et sans scrupule, désireux de raser la ville afin d'extraire le pétrole qu'ils sont persuadés trouver sous ses constructions. Pour ce faire, entourée de ses amis, des petits, des laissés pour compte, elle mettra au point un plan qui enverra l'ennemi périr à la source-même de sa fortune espérée, dans les entrailles de la terre...
La Folle, c'est Anny Duperey, dont la composition honnête mais sans effort pourrait gagner en épaisseur, en mystère, en fantaisie. Elle qui expliquait dans un récent entretien qu'il convient de "chercher sa Folle comme on cherche son clown" n'a de toute évidence pas encore mené à terme le travail. Autour d'elle, des partenaires auxquels nous ferons, avec bienveillance, des reproches similaires. Dominique Pinon campe "tranquilement" le Chiffonnier chargé de se faire l'avocat du diable au cours de la parodie de procès organisée pour condamner les magnats de la finance. La partition est pourtant superbe et irrésistible. Catherine Salviat, amusante mais timide "Folle de Saint-Sulpice" (sourde ou myope selon les jours), devrait tirer davantage son épingle du jeu... C'est encore vrai pour les rôles de la Folle de Passy, d'Irma la jolie plongeuse féministe, du jongleur, du muet, de l'égoûtier, du vendeur de lacets, de la fleuriste... Pardon de ne citer les dix neufs interprètes.
La langue, l'univers, les personnages de Giraudoux constituent une poésie hors du temps qu'il est toujours réjouissant de réentendre. Sa réflexion sur le monde que l'Homme choisit de façonner n'a rien d'obsolète. Encore faut-il la faire résonner au mieux au coeur de notre époque. Aussi sommes-nous en droit de nous interroger sur la pertinence de continuer à "surthéâtraliser" les personnages de folles (maquillages, costumes, attitudes...), pour tomber dans le grotesque plutôt que de rester dans l'énigmatique, l'onirique, et même si cela ne fait pas tout, d'ancrer esthétiquement la pièce dans une France d'après guerre (où quelques ordinateurs et téléphones portables viennent ici jouer les anachronismes). Didier Long aurait sans doute dû s'emanciper de ces images d'un autre temps qui étouffent le propos et ringardisent le conte.
Reste un spectacle de belle facture, doté de moyens conséquents, porté par une équipe pleine d'entrain qui devrait le faire grandir au fil des représentations.
Et un grand texte !
Alors pourquoi pas.
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Photo Anny Duperey : LOT